Élections irakiennes sous occupation : le Canada complice

2005



Libre opinion: Les élections prévues le 30 janvier en Irak -- s'il est même possible de les tenir dans les conditions actuelles d'occupation militaire américaine, de violence, et dans le contexte d'un boycott important par la communauté sunnite -- ne visent qu'à légitimer l'occupation militaire états-unienne et à justifier l'invasion de l'Irak par les États-Unis sans l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies. [...]
Il s'agit, en d'autres termes, de justifier, ex post facto, maintenant que le prétexte des armes de destruction massive est définitivement discrédité, les violations les plus graves du droit international, dont le crime suprême d'agression, qui constitue un crime contre la paix, et ce, au nom d'une improbable «démocratie» imposée par les États-Unis.
Le Canada, même s'il n'a pas participé à la coalition des envahisseurs états-uniens, prête aujourd'hui main-forte, par son soutien au «processus électoral» (qui n'est ni «indépendant» ni l'expression d'une quelconque véritable souveraineté irakienne), à l'entreprise de légitimation de cette guerre qu'on a tenté de justifier par tant de prétextes, voire de désinformation et de mensonges.
Le Canada accepte ainsi d'être complice d'une campagne de relations publiques pour rehausser l'image de l'administration Bush en Irak qui, malgré un transfert (plutôt factice) de souveraineté à une institution «intérimaire», maintient néanmoins des effectifs de 150 000 soldats dans ce pays prétendument «souverain». [...]
On en vient à questionner ce rôle typiquement canadien, accompli avec une ferveur presque missionnaire, qui consiste à se porter au secours de ce que d'aucuns qualifient de «démocraties émergentes» et de favoriser des élections dites «libres et transparentes» comme l'a fait Élections Canada dans 94 pays, à 355 reprises, depuis la fin de la guerre froide.
Donner une reconnaissance
L'implication canadienne en Irak n'aura rien à voir avec la démocratie ou la promotion des droits de la personne. Elle vise, au contraire, à légitimer, en Irak, les structures imposées par l'occupation militaire américaine, et ce en toute connaissance de cause.
Jean-Pierre Kingsley, directeur général d'Élections Canada, décrit ainsi la fonction des missions d'observation électorales : «La participation d'acteurs internationaux auprès d'un pays en voie de démocratisation ou qui souhaite consolider ses assises démocratiques joue un rôle fondamental de légitimation à plusieurs niveaux.»
Si, selon Kingsley, le rôle fondamental est de légitimer, alors dans le cas de l'Irak, ce qui doit être légitimé -- et justifié -- c'est l'invasion et l'occupation meurtrières dont le pays a été victime ! Ainsi, l'Irak «gagne» en démocratie ce qu'il a perdu en vies humaines (100 000 selon la revue The Lancet), en infrastructures (à être rebâties à coup de millions par des entreprises américaines) et en respect de la souveraineté de son territoire, ou de ce qu'il en reste.
De plus, selon Kingsley, une participation à une mission d'observation constitue une reconnaissance de la validité d'un processus électoral en place, et sert à communiquer ce message de «reconnaissance» : «Autrement dit, accepter une mission électorale, c'est reconnaître à prime abord que l'exercice électoral est légitime, que les éléments essentiels sont présents et que les objectifs sont réalisables. Ce message de reconnaissance joue aussi bien sur la scène internationale que nationale, c'est-à-dire auprès des intervenants locaux.» [...]
D'abord une agression
Comment peut-on accepter de «légitimer» une invasion et une occupation violant les principes fondamentaux établis, il y a un demi-siècle, par le Tribunal de Nuremberg, qui qualifiait l'agression de «crime suprême» en ces termes : «L'agression est le crime de guerre suprême. Il se distingue des autres crimes de guerre seulement en ce qu'il contient en lui le mal accumulé de tous les autres.»
Et quant aux autres crimes de guerre, dont «l'accession à la démocratie» servirait d'alibi avec la complicité d'Élections Canada et de son «partenaire» dans la mission d'observation, l'International Foundation for Electoral Systems (IFES), ils sont parmi les plus graves aux yeux du droit international. Ce n'est pas un hasard si l'IFES -- qualifiée par Élections Canada de «non partisane» et d'«indépendante» --, qui tire son financement et son mandat du gouvernement américain par le truchement de USAID, a la réputation d'être passée maître dans l'art des «changements de régime».
L'invasion de l'Irak par les États-Unis constitue en premier lieu une violation de la Charte des Nations unies, qui interdit formellement aux États de recourir à la force dans le règlement de leurs différends. La guerre contre l'Irak constitue une agression. L'occupation de l'Irak s'est illustrée par des violations importantes des conventions de Genève sur le traitement de la population civile, et de la convention contre la torture à la prison d'Abou Ghraïb. Les Irakiens font l'objet de violations massives de leurs droits au quotidien. L'occupation américaine n'assure aucunement la sécurité d'une population civile terrifiée. Le Canada n'a aucun mandat qui lui permette de légitimer, de quelque manière que ce soit, ces crimes et ces violations des droits de la personne en Irak. Encore moins en engageant le pays dans une entreprise de faire-valoir pour une guerre américaine illégale et illégitime.
Et comme, de l'avis de Kingsley, les missions d'observation sont de puissants outils de légitimation, il n'est pas toujours opportun, selon lui, d'y participer : «Cette fonction de légitimation ne saurait cependant être inconditionnelle. Ainsi, lorsque les conditions essentielles à la démocratie ne sont pas présentes, en commençant par la tenue d'élections libres et justes, on devrait refuser de participer à une mission ou encore s'en retirer lorsque ces conditions ne sont plus rencontrées.»
Il ne saurait y avoir un exemple plus éloquent d'une mission pour laquelle «les conditions essentielles à la démocratie ne sont pas présentes» que la mission internationale pour les élections en Irak. Ni un exemple plus éloquent d'une politique étrangère canadienne servant -- exclusivement -- les intérêts de nos voisins du sud. Conséquemment, les signataires demandent qu'Élections Canada et le gouvernement canadien se désengagent de toute implication dans le processus électoral actuellement en cours en Irak.
Michel Chossudovsky
_ Professeur à l'Université d'Ottawa et auteur, entre autres, de Mondialisation de la pauvreté et Guerre et Mondialisation, deux ouvrages parus aux éditions Écosociété et traduits en plusieurs langues.
Liste des personnes endossant cette déclaration :
Omar Aktouf, Sébastien Aubé, Élaine Audet, Isabelle Baez, Vivian Barbot, Normand Baillargeon, Stéphane Batigne, Isabeau Bergeron, Judith Berlyn, Louky Bersianik, Daniel Bouchard, Roméo Bouchard, Françoise Boudrias, Francine Brault, Anne-Marie Brunelle, David Chicoine, Michel Chartrand, Paul Cliche, Véronique Couture, Françoise David, Richard Desjardins, Yan Desjardins, Christian Dessureault, Tiphaine Dickson, Robert Dickson, Jean-Luc Dion, Bruno Dubuc, Gilles Dubuc, Pierre Dubuc, Rezeq Faraj, Andrée Ferretti, Normand Fleury, Benoit Foisy, Fernand Foisy, Anne-Marie Fragasso, Jean-Claude Germain, Jean-Louis Grosmaire, Clôde de Guise, Isabelle Hayeur, Christine Hudon, Amir Khadir, Robert Lachance, Micheline Ladouceur, Yves Lambert, Ève Lamont, Julie Lavallée, Nathalie Lefebvre, Raymond Legault, Paul Lévesque, Suzanne Loiselle, Sophie Maheu, David Marquis, Yves Michaud, Serge Mongeau, Julie Mongeau, Maria-Luisa Monreal, Christian Nadeau, Sam Noumoff, Lorraine Pagé, Julie Perron, Martin Poirier, André Poulin, Suzanne Renaud, Monique Richard, Claude Rioux, Normand Robert, Paul-Émile Roy, Isabelle Senécal, Sophie Thouin, Éric Vachon, Denise Veilleux, Michel van Schendel, Eric Waddell.


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