École catholique: l'Ontario va-t-il connaître sa crise identitaire?

Financement public des écoles confessionnelles

Il serait exagéré de prédire une guerre de religion en Ontario, mais la question confessionnelle y prend une tournure polémique, le Parti conservateur ayant laissé entrevoir, pour les minorités religieuses, un statut égal à celui des catholiques, seule communauté à bénéficier d'écoles publiques. À l'approche des élections, en octobre, le gouvernement de Dalton McGuinty, qui s'oppose à ce changement, en fait un enjeu d'intégration. À l'instar du Québec, l'Ontario va-t-il connaître sa crise identitaire?

John Tory, le chef de l'opposition, a promis aux minorités religieuses d'examiner l'idée de financer leurs écoles à même les deniers publics. Il va confier à un ancien premier ministre, Bill Davis, l'étude de la question. M. Davis jouit d'un grand prestige. Les catholiques lui doivent l'extension à leurs écoles secondaires d'un financement jusque-là accordé à leurs seules écoles primaires. D'autres minorités avaient, à l'époque, réclamé un tel privilège, mais les tribunaux ne l'ont pas reconnu.
Le problème se posait dans les termes suivants. Puisque, en vertu de la Charte des droits et libertés, les gouvernements du pays doivent traiter les citoyens sur un pied d'égalité, pourquoi Queen's Park refuse-t-il aux juifs, aux musulmans et à d'autres ces écoles publiques qu'il accorde aux catholiques? La réponse se trouvait dans la Constitution de 1867. La garantie qui y est donnée aux catholiques d'avoir des écoles payées à même les fonds publics n'a pas été abolie par la charte de 1982.
Les «sujets catholiques romains» de Sa Majesté ont ce privilège depuis plus d'un siècle en Ontario. À la naissance de la Confédération, les politiciens canadiens et les autorités impériales jugèrent approprié de protéger les écoles confessionnelles. La loi constitutive étendit alors cette protection aux catholiques romains et aux protestants de la province de Québec.
Au Québec, catholiques et protestants ont renoncé, depuis peu, à cette garantie et la Constitution a été changée en conséquence. Mais, en Ontario, les catholiques l'ont conservée. Le gouvernement, sous Bill Davis justement, en a même étendu l'application aux écoles secondaires. C'était il y a 23 ans.
Aujourd'hui, John Tory n'est pas le seul à trouver que le privilège catholique est anachronique et inéquitable pour les autres confessions. Mais, plutôt que de le supprimer, une voie politiquement périlleuse, il envisage de l'étendre, sans apporter plus de changement à la Constitution, aux confessions qui voudraient, elles aussi, avoir leurs propres écoles en bénéficiant, comme les catholiques, d'un financement public.
Près de quatre millions de catholiques vivent en Ontario. Voilà une grosse minorité à laquelle aucun parti aspirant au pouvoir n'oserait enlever ses écoles. Certes, les autres minorités peuvent avoir leurs propres établissements. Mais à leurs frais. Aussi ces écoles privées ne comptent-elles que 53 000 élèves environ, soit à peine 2 % de la population écolière de la province. Mais, à Toronto, où la moitié des citadins appartiennent à des minorités, l'école confessionnelle publique, si elle était acceptée pour eux, pourrait rivaliser sérieusement avec le système public général.
Le premier ministre McGuinty veut s'en tenir au statu quo. Pour lui, la proposition du chef conservateur remet en question non seulement l'école publique, mais l'apprentissage social qu'elle offre aux enfants dans un milieu pluraliste. Les partisans de l'école publique y voient, eux, une menace pour les effectifs et le financement du système en place. Certains d'entre eux réclament plutôt l'abolition du financement public des écoles catholiques.
L'Ontario aura du mal à trouver, ailleurs au pays, un modèle qui lui permette de résoudre enfin un tel problème.
Le Québec a aboli le double système qui privilégiait catholiques et protestants. Mais il subventionne substantiellement des écoles privées confessionnelles. À Terre-Neuve-et-Labrador, le gouvernement a aussi supprimé les multiples réseaux protestants. Toutefois, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, les écoles confessionnelles reçoivent un important financement public.
Aucun système ne fait l'unanimité. Ainsi, en Ontario, l'école catholique serait, dit-on, aussi médiocre que le système public auquel elle est intégrée. Le système public lui-même, censé favoriser l'intégration harmonieuse des diversités, connaît un grave échec chez les jeunes de certains quartiers urbains. Par contre, des immigrants aux moyens modestes sont heureux d'avoir accès à l'école publique. D'autres, privilégiant leur héritage, préfèrent l'école privée, plus respectueuse de leurs valeurs.
Le Parti conservateur n'a rien promis, sauf une étude. Mais déjà plusieurs voient là un virage dangereux. Ainsi, le Globe and Mail estime que, au lieu d'affaiblir l'école publique ouverte à tous, il faudrait en faire l'instrument primordial d'une société «inclusive». D'autres ne se gênent pas pour voir dans l'école confessionnelle, publique ou privée, un lieu d'isolement sinon d'intolérance. Bref, l'Ontario serait mal avisé de favoriser la balkanisation des écoles et la ségrégation des appartenances.
Les répliques, bien sûr, n'ont pas tardé. Nombre de catholiques et de protestants, mais aussi de juifs, de musulmans et d'autres, ont été éduqués, rappelle-t-on, dans des écoles confessionnelles. Cela n'en a pas fait pour autant des gens mal préparés à vivre dans une société diversifiée. Plusieurs, au contraire, sont des exemples d'engagement au service de l'ensemble de la population. Mais déjà le spectre d'écoles dominées par des sectes fanatiques surgit à l'horizon.
S'il fallait refaire aujourd'hui la Constitution du Canada, il serait difficile d'y accorder aux seuls catholiques ou protestants des privilèges semblables. Toutes les religions sont présentes au pays. Mais il n'est pas certain que la majorité des gens voudraient que les fonds publics aillent aux écoles confessionnelles. Un système ouvert à tous coexistant avec quelques exceptions ne soulèverait sans doute pas plus de tollé que ce n'est le cas ces années-ci. Mais accepterait-on un système d'éducation largement dépendant des diverses religions?
Par ailleurs, est-il vrai que l'école publique apprend à ses élèves l'ouverture et la tolérance mieux que ne le fait l'école confessionnelle? L'armée aussi est un milieu d'intégration des différences. Là où le service militaire est obligatoire, a-t-on éliminé les tensions intercommunautaires? Comment l'école pourrait-elle s'acquitter de son mandat de socialisation si, ailleurs dans la société, les milieux du travail, des médias et de la culture pratiquent encore diverses formes de ségrégation?
Pour l'heure, les catholiques de l'Ontario risquent de faire les frais du débat. Ils passent déjà pour des privilégiés qui touchent des fonds publics aux dépens d'autres contribuables qui n'ont pas droit à l'école de leur choix. Le financement des catholiques priverait le secteur public de fonds dont il a, dit-on, grandement besoin. Par contre, s'ils se solidarisent avec les autres communautés, on accusera les catholiques d'affaiblir davantage l'école publique.
Dans un cas comme dans l'autre, les catholiques et leurs écoles laisseraient l'impression qu'ils donnent à leurs enfants une éducation qui en fait, au mieux, des citoyens mal préparés pour la vie en société multiculturelle ou, au pire, des gens étroits d'esprit, sinon portés à ces divisions et tensions qu'on prête aux religions. On ne saurait souhaiter pareil statut à aucune des confessions présentes en Ontario. Tel est le risque que leur fait courir le Parti conservateur. Son ancien leader, Bill Davis, aura fort à faire pour trouver l'accommodement qui leur rendra justice.
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redaction@ledevoir.com
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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