Le Québec n’échappe pas à cette géopolitique, car l’arrivée d’une république québécoise, avec à sa tête un gouvernement progressiste, un peu à l’exemple du gouvernement de Lula au Brésil, perturberait l’échiquier nord-américain et changerait la donne dans les relations nord-sud. Notre puissant voisin du sud n’est pas intéressé par de tels bouleversements juste de l’autre côté de sa frontière, peut-on s’entendre là-dessus? Il tient mordicus au statu quo et ce n’est pas l’arrivée d’un président noir aux États-Unis qui va changer cette stratégie.
Aussi, il est certain qu’actuellement, même si le mouvement souverainiste n’a plus la force qu’il avait il y a à peine dix ans, même s’il ne représente pas pour l’instant une «menace à la stabilité», on s’active dans les officines à Ottawa pour préparer toutes sortes de scénarios et élaborer des plans pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement du Parti québécois à Québec. Avec l’appui discret du grand frère étasunien. Une de ces stratégies consiste à diviser les forces du changement, à encourager l’apparition de partis politiques radicaux qui ne sont pas menaçants pour l’instant, même si ces partis remettent en question le système capitaliste et revendiquent un changement de l’ordre social. La CIA l’a fait à maintes reprises, en Afghanistan, entre autres, en organisant et en armant les Moujahidines pour qu’ils luttent contre les forces soviétiques et le gouvernement en place.
Je ne nie pas qu’il est important de revendiquer un programme politique contenant des mesures sociales visant à lutter contre la pauvreté, le chômage, l’insécurité, le décrochage scolaire, la détérioration de l’environnement, l’affaiblissement de notre identité culturelle. Mais on se tire dans le pied si on pense faire avancer cette noble cause en divisant les forces progressistes, en appuyant des petits partis qui contribuent joyeusement à marginaliser, au total, les forces du changement et qui risquent justement de faire élire les ennemis de notre projet souverainiste, en reportant encore à plus tard l’heure des vrais changements.
On se donne bonne conscience en affirmant qu’on va voter, cette fois-ci, pour un parti de gauche. C’est devenu presque une mode, parmi une certaine catégorie d’intellectuels et parmi une certaine jeunesse, de dire qu’on ne croit plus en l’indépendance du Québec, de ridiculiser le Parti québécois et ses candidats et de pratiquer l’amalgame facile en disant que les trois partis, PQ, Parti libéral et ADQ, c’est du pareil au même. Quelle tristesse! Quelle paresse intellectuelle!
Comme si, parce que l’idée d’indépendance a enfin réussi à faire petit à petit son chemin parmi les classes populaires, de peine et de misère, au prix d’efforts et de dévouement inouïs, après des dizaines d’années de luttes diverses et multiformes, on s’en désintéressait désormais parce que ce projet n’est pas assez à gauche ou qu’il a trop vieilli, parce qu’il ne parle pas d’une révolution sociale, parce qu’il n’y a plus d’urgence, parce que «Québec solidaire, lui, au moins... » et que sais-je encore. On semble ne pas se souvenir, malheureusement, qu’au début des années soixante, nous n’étions qu’une poignée, dans la rue, à réclamer le «Québec aux Québécois», «le Québec aux travailleurs.» Cette idée noble a fait son chemin, a su gagner le cœur de milliers et de milliers de Québécois, en ville comme dans les campagnes et même dans les régions les plus éloignées du Québec. Elle a suscité un immense sentiment de fierté et de sécurité chez ce «petit peuple» à qui on avait fait croire qu’il était né pour un petit pain. Va-t-on abandonner maintenant ces milliers de souverainistes aux mains des branleux de toutes sortes à la sauce Charest ou Dumont?
Il s’agit de vieux débats qui avaient cours dans les années soixante: doit-on faire d’abord l’indépendance ou doit-on d’abord lutter pour un projet socialiste? Cela se discutait, à l’époque, au RIN, à Parti pris, au Parti socialiste du Québec, dans les syndicats et les fédérations d’étudiants. Je pensais ces débats dépassés et réglés depuis belle lurette, surtout depuis la disparition des groupes ML des années soixante-dix, qui revendiquaient «l’unité de la classe ouvrière canadienne.» Je pensais qu’il était clair qu’il faut d’abord faire l’indépendance avant de créer les outils nécessaires au changement social, parce que nous formons une nation reconnue, nous formons un peuple et qu’il nous faut d’abord les pleins pouvoirs, ici au Québec, pour pouvoir décider par nous-mêmes ce que nous voulons comme avenir.
Mais à entendre un certain discours, aussi bien chez de vieux militants désabusés comme chez de nombreux jeunes bien intentionnés, on se rend vite compte que cette vieille question a refait surface, «comme par hasard»!
Dans notre système électoral actuel, à qui va profiter la division du vote progressiste? Poser la question, c’est y répondre.
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