Si le projet de loi 59 présentement à l'étude avait été adopté il y a 60 ans, les Témoins de Jéhovah, les communistes et les homosexuels en auraient fait les frais, selon l'avocat Julius Grey.
Reconnu pour sa défense farouche des droits de la personne, Me Grey s'est présenté en commission parlementaire, lundi, bien déterminé à dire tout le mal qu'il pensait du projet de loi 59 déposé en juin par la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.
Il juge le libellé du projet de loi tellement flou, qu'il ouvre la porte, selon lui, à toutes les dérives.
«Chaque époque punit le discours qui est «politically incorrect' à cette époque-là. Il y a toujours un danger que ça tourne, que les gens soient punis», prévient l'avocat, persuadé que la loi pourrait être contestée devant les tribunaux.
La seule inconnue consiste à découvrir contre quel groupe de la société ce projet de loi va se retourner dans quelques années s'il est adopté tel quel, a dit l'avocat, en point de presse, dans une mise en garde sans équivoque au gouvernement.
Avec cette pièce législative, Québec veut en fait s'attaquer aux discours haineux ou incitant à la violence, de même que prévenir les crimes d'honneur et les mariages forcés de jeunes filles âgées de 16 ou 17 ans.
Le projet de loi consent également davantage de pouvoir d'enquête à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), lorsqu'elle jugera qu'un groupe ou une communauté peut faire l'objet d'un discours haineux.
Selon Me Grey et aussi selon Me Julie Latour, des Juristes pour la défense de l'égalité et des libertés fondamentales, l'organisme disposerait alors d'un pouvoir arbitraire d'enquête et de sanctions beaucoup trop vaste, voire dangereux.
«On postule qu'on a une société pluraliste, mais on veut un discours homogène. Et protéger la liberté d'expression, ce n'est pas une liberté fondamentale qui est là pour le discours communément admis ou les choses banales ou qui confirment les idées reçues de la société, c'est lorsqu'on dit des choses dérangeantes, qui choquent, mais c'est parfois ce qui fait avancer la société», a plaidé en point de presse Me Latour, ancienne bâtonnière du Barreau de Montréal et farouchement opposée au projet de loi.
«Plus on muselle le discours, plus il y a un risque de glissement vers la violence», selon elle.
La ministre Vallée, qui préside le processus de consultation menée sur son projet de loi, s'est fait rassurante. Elle a fait valoir en point de presse que la Commission des droits de la personne était le chien de garde des droits et libertés au Québec, et demeurait la gardienne de la liberté d'expression.
Mais cette loi n'a aucune utilité, selon Me Grey, qui juge qu'elle pourrait même au contraire causer beaucoup de tort à bien des gens en cherchant à régler un problème qui n'existe pas. «Personne n'a montré la nécessité de limiter la liberté de parole», a-t-il soutenu.
Surtout, les partis d'opposition estiment que le projet de loi ne réglera pas le problème de radicalisation chez les jeunes.
Du côté de l'opposition péquiste, la porte-parole, la députée Agnès Maltais, a rappelé que le projet de loi devait maintenir l'équilibre «entre la liberté d'expression et la sécurité des personnes».
Chose certaine, le projet de loi ne répond pas, selon elle, aux attentes de la population en matière de lutte à la radicalisation des jeunes Québécois.
La porte-parole caquiste, la députée Nathalie Roy, estime elle aussi que le gouvernement ne va pas assez loin, en «ne s'attaquant pas à la vraie problématique qui est la radicalisation» des jeunes.
Le coprésident de l'Association des musulmans et des arabes pour la laïcité au Québec, Haroun Bouazzi, recommande pour sa part au gouvernement de mieux préciser le concept de «haine», rappelant que le champ d'action de la loi devrait se limiter aux «cas extrêmes» et tenir compte des «conséquences réelles» sur le groupe minoritaire stigmatisé.
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