Difficile de féliciter Jean Charest

Accommodements et Charte des droits



Il n'y a pas tant de dossiers où Jean Charest m'impressionne vraiment. En fait, il n'y en avait qu'un. Celui des accommodements raisonnables, des relations interculturelles et de tout ce qui touche à l'immigration.

Contre vents adéquistes et populistes, il tenait le cap. Non, il n'y a pas trop d'immigrés au Québec. Non, l'identité québécoise n'est pas malmenée par une avalanche d'accommodements honteux. Je le trouvais bon.
Sauf que la pression monte. Chez les francophones, la popularité du Parti libéral du Québec est à un plancher historique.
Alors, pour mettre un peu de zeste identitaire dans son discours, le premier ministre annonce qu'il veut modifier, peut-être cet automne, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Eh! misère, que c'est difficile de le féliciter longtemps, celui-là!
Il veut s'inspirer du rapport du Conseil du statut de la femme pour faire en sorte que le droit à l'égalité soit clairement à l'abri des accommodements religieux. Que le droit à l'égalité prime en toutes circonstances la liberté de religion.
Quoi qu'en dise le Conseil, la chose est inutile. Mais, même si c'était utile, on ne change pas un document fondamental sur le coin de la table politique, au moment même où une commission est chargée de dresser un état de la situation et de faire des recommandations.
Il faut savoir que la Charte québécoise, qui a fêté ses 30 ans l'an dernier, n'est pas un document constitutionnel. Ce n'est qu'une simple loi de l'Assemblée nationale. On lui a donné un statut quasi constitutionnel, en ce sens qu'on peut s'en servir pour faire annuler une loi. Mais en 1996, la Cour suprême, dans une décision controversée, a dit qu'on pouvait faire primer une loi ordinaire votée après cette charte.
Quoi qu'il en soit, un simple vote majoritaire de l'Assemblée nationale suffit à la modifier. La chose est d'autant plus bizarre que, pour nommer le président de la Commission des droits de la personne, qui applique cette charte, il faut le vote des deux tiers des députés.
Si Jean Charest voulait faire quelque chose d'important pour les droits, ce devrait d'abord être le renforcement de ce document symbolique fondamental: il devrait rendre la Charte québécoise plus difficile à modifier qu'une loi ordinaire.
La Charte canadienne des droits et libertés, elle, fait partie de la Constitution. Elle ne peut être modifiée qu'avec l'accord du fédéral et d'au moins sept provinces représentant au moins la moitié de la population canadienne.
La charte québécoise a cependant une force que n'a pas la canadienne: elle ne s'applique pas seulement dans les rapports entre les individus et l'État, mais également aux rapports privés, par exemple entre une personne et un commerçant.
La thèse du Conseil du statut de la femme, exposée dans un très long rapport historique publié il y a deux semaines, est que le droit à l'égalité entre hommes et femmes est mieux protégé dans la charte canadienne que dans la charte québécoise.
Un samedi soir pas de hockey, vous lirez le rapport, si le coeur vous en dit. En gros, on nous raconte que la charte canadienne a l'immense avantage de comporter un article d'interprétation (l'article 28) qui précise que les droits et libertés sont garantis également aux deux sexes. Il y en a peut-être que cela excite mais, jusqu'ici, ça n'a pas produit le moindre jugement important au Canada, ça n'a en rien fait avancer la cause des femmes.
On pourrait d'ailleurs répliquer aux auteures de ce rapport que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, où se trouve la charte canadienne, se lit comme suit: «Attendu que le Canada est fondé sur les principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit».
On pourrait donc, dans ce jeu assez futile de la chasse aux arguments avocassiers de troisième ordre, invoquer la «suprématie de Dieu» pour dire que la liberté de religion prime les autres droits. Ce ne serait pas retenu, mais ce ne serait pas plus stupide que le recours au très cosmétique article 28.
Au-delà de ce débat pour juristes sans loisirs, la question se pose: que veut-on réparer? Le Conseil commence son rapport en admettant qu'on a largement exagéré les incidents d'accommodements et que, en général, on a détourné le sens de ce terme. La Commission des droits a reçu 85 plaintes entre 2000 et 2005 concernant la religion, la plupart venant de chrétiens. Aucun jugement défavorable aux femmes n'est cité pour justifier une modification de la charte québécoise.
À quoi veut-on remédier, alors? À une hypothétique fragilité.
Le rapport du Conseil a des passages étonnants. On y lit qu'une personne pourrait renoncer à sa liberté de religion, mais pas à son droit à l'égalité. En effet, une personne peut changer de religion ou devenir athée, peut-on lire. Tandis que le droit à l'égalité serait fondé sur des caractéristiques «quasi immuables». Drôle d'argument: changer de croyance, ne pas en avoir, c'est une partie de la liberté de religion.
On essaie surtout de nous faire croire qu'il est «urgent» de faire quelque chose.
Ce n'est pas le cas. Pas besoin de changer la charte pour protéger les droits des employées de la SAAQ. Une directive intelligente fera l'affaire. Le droit à l'égalité est très bien protégé juridiquement et, surtout, socialement: les Québécois, comme le reste des Canadiens, sont profondément attachés à cette égalité, sans cesse réaffirmée par les tribunaux - justement à cause du consensus social.
Une commission a été créée. Un rapport sera produit. Attendons. On ne change pas un acte fondateur de l'identité québécoise moderne dans la précipitation. Surtout quand c'est totalement injustifié.
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