Peur ou angoisse devant ce voile que je ne saurais voir

Accommodements et Charte des droits



Avec Gaby Hsab ([Le Devoir, page Idées, le lundi 22 octobre 2007->9750]), je m'étonne que «ces femmes musulmanes "voilées" [fassent] l'objet de tous les fantasmes et [de toutes] les fabulations de l'homme, ici occidental». Loin d'attribuer cette attitude à l'ignorance ou à la peur, je risquerai une autre explication: l'angoisse.

Mes aïeux sont venus dans ce pays pour abriter leurs amours interdites entre protestants et catholiques. L'émergence de ce peuple, parlant français en Amérique, est surtout due à ses conquêtes amoureuses et un peu aussi à quelques conquêtes politiques ou culturelles, envers et contre la conquête armée. Ce peuple a dans son inconscient une certaine culture de l'intégration. D'abord avec les autochtones, puis avec les Irlandais, un peu avec les Anglais et les Écossais, et ensuite, nommez-les, c'est beaucoup dans le lit -- vos fils épousant nos filles, vos filles épousant nos fils -- que l'intégration s'est faite. Même la stratégie politique -- préservation d'une masse critique sur le plan démographique -- est passée par le lit; ce fut la revanche des berceaux.
Que se passe-t-il avec ce voile que d'aucuns voudraient voir voler au vent? Il symbolise une réalité: les filles de l'islam, voilées ou non, sont réservées aux fils de l'islam et à aucun autre. L'interdit qu'on croyait avoir pulvérisé lors de la Révolution tranquille réapparaît! L'«homme occidental» a deux options pour satisfaire son fantasme: il épouse cette femme et, pour ce faire, il devient musulman (l'islam n'est pas la seule religion à avoir des règles semblables, mais les familles musulmanes les appliquent davantage). Ou alors il crée un espace affranchi des religions et des «tabous» culturels où il attire sa bien-aimée. Le voile affirme le refus de celle-ci de se laisser attirer dans un tel espace. Le niqab hurle: «N'y pense même pas. Pour toi, je n'existe pas.» Il rétorque: «Pour moi non plus, tu n'existes pas. La preuve: tu ne voteras pas!»
Quelque part dans son inconscient collectif, la société québécoise est angoissée: une fibre vitale est touchée. Sa stratégie d'intégration sinon professée, du moins pratiquée depuis des siècles ne fonctionne plus à cause de ce voile ou, plutôt, de ce qu'il symbolise.
Pour soigner son angoisse, la société québécoise pourrait ajuster sa stratégie d'intégration aux nouvelles réalités: la mondialisation et les contacts plus suivis des immigrants avec leur société d'origine; les splendeurs et les misères des mariages interreligieux ou interculturels; les codes religieux et culturels, appliqués ou non, régissant ces unions. Au lieu de s'apitoyer sur son sort dans la chambre à coucher, elle peut explorer d'autres pièces de sa maison: la cuisine, la salle à manger, le salon, l'atelier, la salle de jeux, la salle de réunion, la salle d'études, le jardin...
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Louise Royer, Montréal, le 23 octobre 2007
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