On se demande bien qui a su que le premier ministre canadien était hier en visite officielle dans la capitale française et qui saura qu'il rencontrait aujourd'hui le président Chirac. La nouvelle n'a guère dépassé les cercles diplomatiques et les rares spécialistes français de la politique canadienne. Et encore, plusieurs étaient déjà en vacances. Rarement visite d'un premier ministre canadien aura été aussi discrète et peu médiatisée.
Il s'agissait pourtant de la première visite de Stephen Harper dans la capitale française. L'occasion d'un premier véritable contact même si Jacques Chirac avait déjà croisé le premier ministre quelques jours plus tôt à Saint-Pétersbourg à l'occasion du sommet du G8.
Si cette visite est à peu près passée inaperçue, ce n'est pas seulement parce qu'elle s'est déroulée en plein coeur du mois de juillet. C'est aussi parce que les relations qui unissent la France et le Canada se sont refroidies depuis quelques mois.
Bien sûr, on n'en est pas à se tirer des tomates et encore moins des missiles. Mais, pour deux pays qui aiment clamer sur les toits qu'ils n'ont aucun contentieux et qu'ils s'entendent à merveille sur la plupart des grandes questions internationales, la froideur des contacts depuis quelques mois a de quoi surprendre.
Jacques Chirac et Stephen Harper ont beau avoir signé la même déclaration au sommet de Saint-Pétersbourg, les différences de points de vue entre les deux hommes n'auront échappé à personne. Le 14 juillet, le président français dénonçait la réaction disproportionnée d'Israël au Liban. Peu après, Stephen Harper choisissait d'occuper l'exact opposé du spectre politique en jugeant cette réaction parfaitement mesurée.
Il faut dire que le président français avait auparavant tiré une autre salve dirigée, celle-là, directement contre Ottawa. À la veille de la conférence du G8, il adressait une lettre à la presse dans laquelle il s'inquiétait de «l'affaiblissement du régime international de lutte contre le changement climatique». À mots à peine couverts, Jacques Chirac dénonçait la tiédeur du Canada par rapport au protocole de Kyoto et sommait le Canada et le Japon de «donner l'exemple dans le respect de leurs engagements, comme le font l'Europe et la France».
Deux attitudes
L'évacuation des réfugiés libanais vient de nous fournir un autre exemple de l'attitude presque opposée qu'adoptent les deux pays. Alors que la France a dépêché son premier ministre en personne à Beyrouth afin d'assurer les Libanais de son soutien, le Canada semble tout faire pour qu'on ne le remarque pas. Pendant que Dominique de Villepin enfilait le costume du défenseur de la veuve et de l'orphelin, Stephen Harper se faisait transparent, oubliant même de transmettre ses condoléances à la famille El-Akhras de Montréal qui a perdu 11 de ses membres dans les bombardements.
À quoi faut-il attribuer cet éloignement entre deux pays qui partageaient depuis des années une véritable complicité? Qu'on se rappelle les familiarités qu'échangeaient Jean Chrétien et Jacques Chirac il n'y a pas si longtemps! La première cause est évidemment le rapprochement entre Stephen Harper et George Bush. Le premier ministre canadien semble en effet avoir choisi d'étouffer toute critique à l'égard du président américain. L'attitude de Stephen Harper est à cent lieux, par exemple, du soutien critique d'Angela Merkel. Malgré son appui à l'allié américain, la chancelière n'a pas hésité à critiquer ouvertement l'horreur de Guantánamo. Rien de tel chez Stephen Harper qui a choisi l'alignement sans nuance.
Mais il y a aussi une autre raison, moins apparente, à ce refroidissement des relations entre Paris et Ottawa. Si le Canada a toujours accordé la plus grande attention à ses liens avec la France, c'est en bonne partie à cause du Québec. Chaque fois que le Québec a mené une politique offensive à Paris (où il jouit du statut diplomatique), Ottawa a redoublé d'efforts pour courtiser la France. Or, depuis quelque temps, le Québec ne fait guère preuve d'initiative dans ses relations avec la France. Certes, Jean Charest n'a ni réduit le personnel de la délégation de Paris ni retraité sur les principales revendications québécoises dans le domaine international, mais l'action du Québec en France est caractérisée par une mollesse évidente.
À l'exception de la préparation des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec, un dossier sans grands enjeux, on ne voit guère à l'horizon de projet susceptible de relancer ces relations. Les visites commerciales conjointes, comme celle faite au Mexique en novembre 2004, n'ont pas eu de suite, la ratification de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle par les pays signataires n'a pas donné lieu à des actions communes, et le projet d'un centre culturel québécois à Paris, ajourné après l'élection de Jean Charest, n'est pas près de sortir des limbes.
Engagements non respectés
Ces relations passent tellement inaperçues que la France ne sent pas le besoin de respecter ses engagements concernant les visites alternées des premiers ministres français et québécois. Cela fait plus de trois ans qu'un premier ministre français n'est pas venu au Québec. En décembre dernier, Dominique de Villepin avait été retenu par les émeutes qui venaient d'éclater dans les banlieues françaises. Depuis, le premier ministre aurait eu tout le loisir d'honorer l'engagement de son pays. En termes strictement diplomatiques, il y avait même quelque chose d'humiliant à voir Jean Charest visiter la semaine dernière son homologue français pour la seconde fois de suite à Paris, alors que c'est Dominique de Villepin qui aurait dû se rendre au Québec.
Si le premier ministre français ne trouve pas le temps de venir à Québec, c'est probablement parce que le Canada, qui n'a de cesse d'approuver tout ce que font les États-Unis, arrive dorénavant assez loin dans les priorités françaises. Comment l'en blâmer lorsqu'on sent par ailleurs que la France n'arrive pas beaucoup plus haut dans les priorités de Stephen Harper.
Ce manque de sensibilité à l'égard du monde francophone explique en partie le cafouillage canadien dans l'évacuation des citoyens canadiens du Liban. Avant les événements de cette semaine, Stephen Harper connaissait-il seulement la force des liens qui unissent le Québec au pays du Cèdre? Québec aurait dû le lui rappeler sans attendre. Cette même insensibilité explique aussi que Stephen Harper, de passage à Paris, n'ait pas jugé utile de solliciter un rendez-vous avec le numéro un de la Francophonie, Abdou Diouf. L'affaire serait banale si le premier ministre n'avait pas, quelques mois plus tôt, refusé de s'excuser formellement lorsque l'ancien président sénégalais avait été menacé d'être fouillé à l'aéroport de Toronto, contrairement aux usages diplomatiques. Cette visite à Paris était l'occasion de clore l'incident qui a heurté les pays africains. Est-ce par inconscience que Stephen Harper a plutôt choisi de pousser l'insulte à son comble?
À deux mois du sommet francophone de Bucarest, la distance qui se creuse entre les deux principaux membres de la Francophonie n'augure rien de bon. Elle devrait inquiéter tous ceux qui ont à coeur la convention sur la diversité culturelle adoptée à l'UNESCO - qui demeurera lettre morte sans les efforts conjoints de la France et du Canada pour la faire ratifier par les pays signataires.
Elle devrait aussi convaincre les responsables québécois qu'en politique étrangère, il ne suffit pas d'avoir quelques atomes crochus avec le gouvernement Harper. Tant que le Québec aura un profil bas à Paris et dans le monde francophone, Ottawa se contentera du service minimum.
Correspondant du Devoir à Paris
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