Le gouvernement du Québec a décidé de fermer 12 de ses 22 représentations outre-mer, parmi lesquelles la délégation générale à Düsseldorf dont le rayon d'action touche tous les pays germanophones en Europe (Allemagne, Autriche, Suisse allemande).
Tout en comprenant la nécessité de la nouvelle politique d'austérité et la volonté d'équilibrer le budget du gouvernement, je prie M. Bouchard de bien vouloir prêter l'oreille à une voix soucieuse des rapports entre son pays et le nôtre.
Vu l'importance des pays de langue allemande pour le Québec - l'Allemagne étant son deuxième partenaire commercial après les États-Unis -, la délégation de Düsseldorf a été une des plus efficaces des représentations en Europe. Outre des résultats économiques considérables, inspirés par les contacts directs mis en place par le personnel de cette délégation au coeur de l'Europe germanophone, elle a entraîné et accompagné six centres de recherches universitaires sur le Canada francophone, dont trois viennent d'être fondés depuis l'unification allemande.
Parmi ceux-ci, deux se trouvent dans les nouveaux Länder (à Dresde et Leipzig). Sans oublier bien sûr les relations spécifiques et suivies entre l'État libre de Bavière et la province de Québec: en effet, celui-ci n'hésite pas à envoyer ses hauts fonctionnaires - dans le cadre d'une formation poussée à l'étranger - sur place au Québec, aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne afin d'acquérir une connaissance plus fournie des relations internationales.
La fermeture de la délégation à Düsseldorf réduirait le nombre des représentations québécoises en Europe continentale à deux, celles de Paris et de Bruxelles, donc en terre francophone «amie». Le reste de l'Europe (non francophone), dont tout le centre et l'est vit son retour difficile dans l'ensemble continental, se retrouverait désormais «orphelin» du Québec.
Penser, donc, que pouvoir remplacer des relations humaines comme noyau des relations économiques par des liens virtuels et indirects «disponibles dans des banques de données connectées en réseau sur des inforoutes sophistiquées», comme semble le recommander Michel Venne dans Le Devoir du 1er avril 1996, nous semble conduire à une impasse, voire à une nouvelle ignorance sophistiquée. Le fait que ce même Michel Venne situe Caracas en Argentine (sic), peut nous donner la certitude qu'aucun ordinateur ne peut remplacer la connaissance directe! M. Bouchard qui était en «mission d'amitié» en France sait mieux que tout autre - comme il l'écrit si bien dans son livre À visage découvert - que «la diplomatie est affaire de réseau» et que «les gens de carrière ne cessent de tisser des liens».
Le rayonnement du Québec dans le monde
Le rayonnement du Québec dans le monde est lié à son image et les médias internationaux (plutôt à l'écoute du monde anglophone) n'en sont pas toujours les meilleurs réflecteurs. L'argumentation de Michel Venne, visant à réduire la tâche dévolue aux délégations outre-mer du Québec à «la promotion de la langue française» et à justifier ainsi la fermeture de 12 représentations sur 22, nous semble passer à côté de l'objectif essentiel qui est de tisser des liens personnels et durables entre la Belle Province et le reste du monde.
L'ouverture des Bavarois ou des Saxons envers le Québec n'est certainement pas fondée sur leur volonté commune de défendre la «francophonie»! Se tourner vers Montréal ou Québec ne relève pas uniquement de la préservation des intérêts de la langue française mais procède avant tout d'une ouverture d'esprit et d'intérêts générale qui a néanmoins prise sur le concret. Les citoyens des États libres de Bavière et de Saxe en sont des preuves tangibles au sein d'une Allemagne qui, même unie, ne fait toujours que presque le cinquième de la superficie totale du Québec!
Nous-mêmes, en ancienne Allemagne de l'Est, voisins proches de la Pologne et de la République tchèque, nous nous faisons forts de cultiver avec soin cette chance de l'ouverture dont jouissent le Québec et le reste du Canada francophone. Notre création d'un Centre interdisciplinaire de recherches franco-canadiennes-Québec-Saxe (CIFRAQS) à Dresde ne se restreint pas uniquement au monde universitaire, mais est largement ouvert au monde politique, économique, culturel et médiatique et nous sommes fortement redevables à la délégation de Düsseldorf d'avoir accompagné fidèlement notre travail depuis 1994. Et cela dans le cadre d'une Europe centrale et orientale, où la perception culturelle et économique de l'Amérique du Nord anglophone mais aussi francophone ne fait que commencer.
Par ailleurs, étant donné l'importance des rapports franco-allemands dans tous les domaines, sans exception, il nous semble opportun d'élargir l'horizon des acteurs culturels et économiques de ce bilatéralisme franco-allemand, du côté allemand, en direction d'un autre univers francophone éloigné mais néanmoins très proche de nous. Et nous ne pensons pas que Paris ou Ottawa prendront sur eux de motiver les Allemands à s'engager de manière décidée au Québec.
Toujours sensible aux contraintes budgétaires, je prierais néanmoins M. Bouchard de réenvisager sa décision concernant la représentation en Allemagne, dont l'importance stratégique au coeur d'un continent réuni n'est plus à rappeler. Force est de constater qu'une présence québécoise en Allemagne reste une nécessité pour enrichir et développer le tissu relationnel et institutionnel déjà existant.
Ne revenons pas sur le fait que la fermeture d'un bureau dans un des quartiers les plus chers de Düsseldorf est intangible. Pourquoi ne pas envisager des mesures palliatives plus économiques? Nous croyons savoir que l'État libre de Bavière, lié par des traités de coopération avec le Québec ainsi qu'avec trois régions françaises, serait plus que favorable à un nouveau cadre relationnel. Ne serait-il pas bienvenu de trouver entre la chancellerie d'État à Munich et le gouvernement québécois une formule d'accueil de type nouveau sur le modèle mis en place entre la région allemande du Palatinat et la Bourgogne en France, où l'un fournit le bureau, l'autre le personnel? On pourrait donc imaginer un à trois fonctionnaires québécois, versés dans les affaires germaniques, dans un local modeste en plein centre de Munich, qui serait mis à disposition par la chancellerie d'État de Bavière.
Loin de vouloir m'immiscer dans des affaires propres au gouvernement Bouchard, mon seul souci est d'entretenir les meilleures relations possibles entre nos deux pays. J'ai été à ce propos très sensible à ses voeux de succès dans mon «entreprise germano-québécoise», formulés lors de notre rencontre à Ottawa en février 1994.
Kolboom, Ingo
Professeur à l'Université technique de DresdeTitulaire de la Chaire France et Mondes francophones
Directeur du Centre interdisciplinaire de recherches franco-canadiennes/Québec-Saxe (CIFRAQS)
Fermeture de 12 représentations québécoises outre-mer:
Des liens virtuels pour remplacer des relations humaines
L'Europe non francophone se retrouvera orpheline du Québec à la suite de la disparition de la délégation à Düsseldorf
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