Texte publié dans Le Devoir du lundi 13 septembre 2010
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Le 8 septembre dernier, j’ai présenté à la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale un mémoire portant sur le projet de loi no 103 concernant ce qu’on appelle les « écoles passerelles ». Ces écoles passerelles sont un moyen de contourner l’obligation qu’impose la Charte de la langue française de recevoir l’enseignement primaire et secondaire en langue française, en utilisant le droit que l’article 23(2) de la Charte canadienne des droits confère aux enfants qui ont déjà reçu une partie de cet enseignement en anglais dans des écoles purement privées (ainsi qu’à leurs frères et sœurs), de continuer à recevoir cet enseignement dans des écoles subventionnées.
Le recours aux écoles passerelles avait été bloqué par la loi 104, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2002, mais la Cour suprême du Canada a décidé que cette loi était inconstitutionnelle parce qu’elle ne permettait pas de procéder à une évaluation qualitative du parcours scolaire authentique de l’enfant concerné.
Pour répondre à ce jugement, le gouvernement québécois a proposé le projet de loi 103 qui l’autoriserait à encadrer le recours aux écoles passerelles en le soumettant à des conditions de temps et autres critères d’appréciation. Malheureusement, cette façon de procéder comporte plusieurs inconvénients qui la rendent inacceptable aux yeux de plusieurs et, notamment, à ceux de l’Opposition.
Le premier inconvénient – et il est majeur, c’est qu’en encadrant le recours à l’école passerelle, on se trouve, qu’on le veuille ou non, à le légitimer. Ce recours est certes rendu difficile, mais, pour la première fois, la loi québécoise rendrait légal et possible le recours aux écoles passerelles, permettant ainsi à ceux qui en ont les moyens de contourner la Loi 101.
Le deuxième inconvénient, c’est qu’en donnant la recette à suivre, on rend le recours à l’école passerelle moins risqué et plus certain quant à son résultat. On connaitra d’avance le chemin à parcourir et, pourvu qu’on remplisse chacune des conditions qui seront exigées, on est peu près sûr d’être ensuite accepté à l’école anglaise subventionnée. Le « prix » est donc connu d’avance pour tous ceux qui seront prêts à le payer.
On risque donc que, au lieu de diminuer le recours aux écoles passerelles, on ne réussisse qu’à l’augmenter, surtout si on tient compte de tous les élèves qui sont déjà engagés dans le système des écoles purement privées et qui pourraient se servir des nouveaux critères pour demander immédiatement leur transfert dans le système subventionné.
C’est pour pallier ces inconvénients que j’ai proposé à la Commission une façon différente de procéder. La procédure que je suggère est la suivante :
• Au moment de l’inscription d’un enfant dans une école non-subventionnée de langue anglaise, ses parents devront produire une déclaration solennelle écrite à l’effet que cette inscription n’a pas pour but de contourner les exigences de la Loi 101 mais s’inscrit dans le cadre d’un parcours scolaire complètement prévu au sein d’institutions qui se sont pas subventionnées. De cette façon, le parcours scolaire authentique de l’enfant sera précisé dès le départ (et non a posteriori).
• Si, malgré cette déclaration initiale, une demande est faite, en vertu de l’article 23(2) de la Charte canadienne des droits, pour un transfert dans une école de langue anglaise subventionnée, la personne chargée par le ministre d’examiner cette demande ne pourra l’accepter que si la preuve lui est faite qu’un tel changement dans le parcours scolaire prévu de l’enfant est justifié par un changement intervenu depuis la déclaration initiale dans les circonstances affectant l’enfant ou la famille.
De cette façon, le recours aux écoles passerelles reste prohibé. Les parents savent, dès le départ, que le choix d’une école non-subventionnée est définitif et ne peut être remis en question qu’en raison d’un véritable changement dans les circonstances pouvant affecter l’enfant ou la famille (par exemple, un revers de fortune ou un accident à l’enfant). D’ailleurs, la seule perspective d’avoir à faire une fausse déclaration solennelle concernant le parcours scolaire authentique d’un enfant (ce qui serait une infraction) rebutera la plupart de ceux qui pourraient avoir envie de contourner la loi. Il n’y aura donc que peu de transferts.
Cette façon de procéder respecte la lettre et l’esprit de l’article 23(2) de la Charte canadienne des droits et est conforme aux prescriptions de la Cour suprême du Canada puisqu’elle permet un examen spécifique des raisons qui amènent un changement dans le parcours scolaire prévu de l’enfant. Elle évite également d’avoir à restreindre la liberté de choix que la Loi 101 a reconnu, dès le début, aux parents qui choisissent de faire éduquer leurs enfants dans les écoles non-subventionnées.
Lorsqu’elles ont été faites à la Commission, ces propositions ont été bien reçues tant par la ministre St-Pierre que par les partis d’opposition et tous ont exprimé leur intention de les étudier davantage. Il est à espérer que ce rapprochement pourra permettre à l’Assemblée nationale de faire l’unanimité sur la réponse à apporter au jugement de la Cour suprême. Car, sur une question comme celle-là, il n’est pas bon que le Québec soit divisé.
L’article 23 de la Charte canadienne, qui est à l’origine de tout ce débat, a été imposé au Québec malgré son opposition. Il est et reste une des raisons principales pour lesquelles le Québec a refusé de ratifier la Constitution de 1982. Les circonstances actuelles montent bien que ce refus était justifié.
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