DISCOURS HAINEUX

Des juristes s’allient contre un «canon législatif»

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Le gouvernement Couillard menace la liberté d'expression






Le projet de loi 59 se heurte à une très vive opposition de juristes redoutant des « entraves majeures et injustifiées » à la liberté d’expression et à la liberté scolaire si la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, maintient le cap.


 

Les représentants des Juristes pour la défense de l’égalité et des libertés fondamentales, Julius Grey et Julie Latour, exprimeront leur « vive inquiétude » à l’égard du projet de loi anti-discours haineux lundi après-midi à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale, chargée de passer le projet de loi au crible.


 

Ces juristes spécialisés en droit constitutionnel et en droit public tenteront de dissuader Mme Vallée d’inscrire dans la législation québécoise — y compris la Charte des droits et libertés de la personne — des dispositions contre les discours haineux ou incitant à la violence. Le Code criminel canadien réprime déjà les discours haineux, rappelle d’entrée de jeu le groupe, également formé de Pierre Brun, Marie-Laure Leclercq, Denis L’Anglais, Guy Tremblay et Daniel Turp.


 

Le projet de loi 59 confère à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) un pouvoir d’enquête sur les discours haineux ou incitant à la violence ciblant un groupe de personnes comme les femmes, les homosexuels, les minorités visibles, les groupes religieux, les communautés ethniques, ou encore les militants d’un parti politique, bref tout groupe formé de personnes protégées par l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.


 

Ces mesures sont « totalement inconciliables avec les assises d’une société libre et démocratique », selon les Juristes pour la défense de l’égalité et des libertés fondamentales.


 

L’ancienne bâtonnière du Barreau de Montréal Julie Latour reproche à la ministre Vallée d’avoir « recours à un canon législatif pour tuer une mouche hypothétique ». À l’heure actuelle, la CDPDJ peut intervenir seulement si la personne visée par des propos haineux porte plainte.


 

Mme Latour se questionne sur l’impact financier d’une brigade d’enquête à la CDPDJ « en cette époque d’austérité économique étatique, où d’importants programmes sociaux sont supprimés ou significativement réduits ».


 

« Rectitude politique »


 

Loin de « favoriser le vivre-ensemble et la cohésion sociale », comme le prétend le gouvernement libéral, le projet de loi 59 créerait un « climat social de suspicion aux effets délétères », selon M. Grey et Mme Latour.


 

« On l’aurait adoptée, cette loi-là, en 1947 ou 1948 quand on a découvert le réseau d’espionnage soviétique. On aurait adopté une loi identique. Les Américains l’ont fait avec le maccarthysme, et ce que ça a donné était terrible », souligne l’ardent défenseur des libertés individuelles Julius Grey dans un entretien avec Le Devoir.


 

La liberté d’expression est à la fois la plus célébrée et la plus honnie des libertés fondamentales, poursuit Mme Latour, appelant dans la foulée à limiter les exceptions à des « cas extrêmes et bien circonscrits ». « C’est pour dire des choses qui dérangent la société, qui sont à l’encontre des idées reçues que l’on a besoin de la protection constitutionnelle », insiste-t-elle.


 

Les Juristes pour la défense de l’égalité et des libertés fondamentales s’interrogent sur leprétendu « péril » que veut éloigner le gouvernement libéral au moyen de son projet de loi 59. « Y a-t-il en l’instance des exemples concrets et documentés d’abus clairs qui constitueraient un danger pour le caractère libre et démocratique de la société et nécessiteraient la promulgation d’une loi anti-haine au Québec ? Force est de répondre que non », peut-on lire dans leur mémoire.


 

Le projet de loi 59 est présenté « à contretemps » à l’Assemblée nationale puisque le traitement des plaintes anti-haine est remis en question à travers le pays, notent M. Grey et Mme Latour.


 

Effritement de la liberté scolaire ?


 

Des « atteintes » à la liberté scolaire sont aussi susceptibles de résulter de l’adoption du projet de loi 59, craignent les deux avocats. Le projet de loi 59 octroierait « un pouvoir unilatéral et non balisé » au ministre de l’Éducation, lui permettant d’« enquêter sur tout comportement pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité physique ou morale des élèves », soulignent-ils. « Verrons-nous ressurgir l’Index et la censure dans nos établissements scolaires afin de protéger une notion aussi floue et tendancieuse que celle de la “sécurité morale” des élèves ? »



Asymétrie des deux projets de loi


 

Par ailleurs, les Juristes pour la défense de l’égalité et des libertés fondamentales s’étonnent de l’« inexplicable asymétrie » entre ce projet de loi et le projet de loi 62 (Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux), qui ont été dévoilés tous deux le 10 juin dernier.


 

« Le projet de loi 62 réduit la neutralité religieuse de l’État à une peau de chagrin […], ne reconnai[ssant] pas le principe de laïcité et de neutralité religieuse de l’État dans la Charte, ce qui est une omission d’importance pour les assises sociétales d’un État de droit », conviennent M. Grey et Mme Latour. Ceux-ci étaient pourtant dans des camps opposés lors du débat sur le projet de charte de la laïcité du gouvernement Marois : M. Grey était contre, Mme Latour était pour.







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