Des juifs rompent le silence - La politique d'Israël est remise en question

Proche-Orient - le chaos à l'horizon



La médiation américaine visant à ranimer les discussions de paix entre Israël et l'Autorité palestinienne est accueillie, chez les uns, avec scepticisme ou, chez d'autres, hostilité. Dans le monde arabe, certes, la division est moindre, mais le Hamas s'oppose à la démarche. Entre-temps, le discours dans la région est à peine moins belliqueux. Surtout, les bruits d'attaque sur Israël ou de frappe contre l'Iran se font plus inquiétants.
Le cabinet Nétanyahou, faut-il comprendre, écarte moins que jamais une guerre «préventive» contre l'Iran «atomique». Une telle attaque n'est possible, disait-on, qu'avec la «permission» de Washington. Or, depuis l'ouverture du président Obama au monde musulman, les États-Unis sont vus par certains comme trop accommodants. En plein Jerusalem Post, d'aucuns même réclament qu'Israël agisse seul.
Ailleurs, dans Haaretz par exemple, l'accent est plutôt mis sur les missiles, fort nombreux et plus puissants, installés désormais autour du pays. Au Liban, le Hezbollah, qui a résisté à l'armée israélienne en 2002, en posséderait «plus que la plupart des gouvernements», selon Robert Gates, secrétaire américain à la Défense. La priorité, disent des analystes militaires, ne devrait pas être l'Iran, mais les bases de missiles tapies en Syrie et au Liban.
Or, voilà qu'un interlocuteur inattendu vient de s'inviter dans la crise qui menace de nouveau le Proche-Orient. Lundi dernier, à Bruxelles, des juifs européens ont lancé un «appel à la raison», déclaration fort critique de la politique israélienne, notamment de la colonisation des territoires palestiniens occupés. L'État hébreu, soutiennent-ils, comment «une erreur politique et une faute morale» qui menacent jusqu'à sa propre survie nationale.
Réaction des jeunes juifs américains
Ce point de vue n'est pas nouveau dans la diaspora juive ni même en Israël. Ou le pays, dit-on, perdra son caractère juif si les Palestiniens y deviennent la population majoritaire, ou il cessera d'être démocratique si une minorité juive y domine une majorité palestinienne. Ce dilemme, un Shimon Pérès, l'actuel président, l'avait déjà évoqué. Depuis, d'autres politiciens, jusqu'ici marginaux, considèrent, eux, qu'il faut en expulser la population non juive...
Ce qui est nouveau, c'est le refus d'un nombre grandissant de juifs aux États-Unis d'appuyer aveuglément la politique d'Israël.
Les promoteurs sionistes d'un État juif, d'abord minoritaires sinon marginaux en Amérique, y avaient néanmoins gagné l'appui de leur communauté, après la destruction des juifs d'Europe. Les dirigeants israéliens ont, depuis, réussi à obtenir l'appui de la diaspora juive mondiale, pour construire le nouveau pays, mais aussi pour contribuer à sa sécurité politique et militaire.
Ces dernières années, cependant, ces communautés, notamment aux États-Unis, ont été conscrites pour la défense non plus seulement d'Israël, mais aussi de ses politiques même les plus inacceptables. Les juifs américains qui prônaient une entente avec les Palestiniens ont été de moins en moins écoutés. Plus récemment, les diverses organisations juives ont été embrigadées dans la stratégie israélienne, et la dissidence y est tenue pour intolérable.
La guerre menée à Gaza au milieu d'une population civile sans défense aura été un tournant décisif. L'élection d'un cabinet plus radical encore en Israël, le mépris d'un ministre comme Avigdor Lieberman pour les Palestiniens (alors que les juifs américains votaient en grand nombre pour Barack Obama) et le jugement hautain d'Israéliens sur la diaspora, tout cela aura heurté les jeunes juifs aux États-Unis, notaient les observateurs A. Horowitz et P. Weiss, en novembre, dans The Nation.
Les jeunes juifs ne sont pas seuls à protester. Un rabbin de l'Illinois, Brent Rosen, a perdu ses hésitations à la lecture des informations sur Gaza. À son invitation, plus de 70 rabbins du pays se sont engagés à un jeûne mensuel, le Ta'anit Tzedek (Jewish Fast for Gaza), auquel se sont joints des leaders d'autres confessions et des gens préoccupés de la situation. Leur but: «mettre fin au silence de la communauté juive sur la punition collective d'Israël à Gaza».
D'autres groupes juifs militant pour la paix au Proche-Orient ou protestant contre l'intolérance des organisations officielles envers l'opinion dissidente ont vu se multiplier leurs adhérents et leurs appuis. Déjà un mouvement baptisé J Street avait réussi à mobiliser les juifs de la jeune génération. Ces protestataires sont désormais entendus à Washington. Ils entendent influer, eux aussi, sur la politique des États-Unis. Ces voix ne sont pas encore majoritaires. Elles sont du reste attaquées par les milieux pro-israéliens. Mais le président Obama pourrait y trouver un signal significatif du changement qui s'impose.
Au Canada
Au Canada, par contre, les signes de changement sont moins nombreux. Toutefois, le même embrigadement dans la politique du gouvernement israélien, voire la même intolérance à l'endroit d'opinions différentes, explique l'unanimité apparente des communautés juives au pays. Plusieurs groupes pro-israéliens y sont sur un pied de guerre. Et ils ont trouvé à Ottawa un gouvernement disposé à les suivre dans leur lutte.
Mais pour ces groupes-là aussi, l'heure de vérité approche. En s'en prenant à des institutions religieuses ou à des organismes comme Droits et Démocratie, en y jetant le discrédit, la pagaille sinon le sabotage, ces groupes n'auront guère servi les intérêts d'Israël. Ils auront, par contre, en prétendant dicter leur choix politique aux autres citoyens du Canada, créé un malaise dont la communauté juive d'ici risque de souffrir à son tour.
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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