L'entrevue

Une paix encore possible, mais...

Pour Barack Obama, c'est maintenant ou jamais au Proche-Orient, estime l'historien israélien Élie Barnavi

Proche-Orient - le chaos à l'horizon

La semaine dernière, Barack Obama recevait le prix Nobel de la paix. S'il y a un endroit au monde où le président américain est en mesure de changer radicalement la donne, c'est bien au Proche-Orient, dit l'historien israélien Élie Barnavi. Encore faut-il qu'il y mette tout son poids et qu'il n'hésite pas à faire pression sur Israël. Car, bientôt, il sera peut-être trop tard.
Paris -- Dans les mois qui viennent, Barack Obama aura amplement l'occasion de donner un sens au prix Nobel de la paix qu'il vient de recevoir. Si cette occasion doit être saisie, c'est bien au Proche-Orient, croit Élie Barnavi. Membre du Parti travailliste israélien, cet historien a participé aux négociations parallèles qui avaient suivi les accords d'Oslo et il a même été ambassadeur d'Israël en France.
Si l'universitaire a choisi de délaisser un temps le Musée de l'Europe à Bruxelles, dont il est le directeur scientifique, c'est pour interpeller directement le président américain avec un livre en forme de signal d'alarme: Aujourd'hui, ou peut-être jamais (André Versaille éditeur). Attablé dans un café à deux pas de la gare Montparnasse, Élie Barnavi explique que les mois qui viennent seront cruciaux à bien des égards et que Barack Obama n'aura pas une seconde chance. Le Proche-Orient vit aujourd'hui, dit-il, une période comme il en existe peu dans l'histoire des peuples. Une période où tous les paramètres peuvent s'inverser. Mais une période qui ne durera pas toujours et qu'il faut savoir saisir au vol.
Et pourtant, à lire les dépêches qui annoncent la construction de 250 nouveaux appartements dans les territoires occupés, à suivre les péripéties de la guerre larvée que se mènent le Hamas et l'Autorité palestinienne, on pourrait croire que jamais les conditions d'une paix au Proche-Orient n'ont été aussi mauvaises.
«Je ne suis pas d'accord, dit l'historien. Les conditions sont mauvaises à cause de la lassitude des opinions publiques qui ne croient plus à la paix. Elles sont mauvaises à cause de la faiblesse des gouvernements des deux côtés de la barricade. Mais elles ne sont pas mauvaises sur le plan régional. Une faille s'est créée entre les États modérés sunnites et l'arc chiite plus radical. Il existe donc une alliance objective entre ces États sunnites et Israël. L'Autorité palestinienne est en train d'accomplir ce qu'Arafat aurait dû faire en arrivant de Tunis: créer des structures stables en Cisjordanie. Il y a aussi un consensus international autour d'une solution raisonnable au conflit. Enfin, il y a un président américain qui semble avoir tiré les enseignements du passé et vouloir faire ce qu'il faut. Encore faut-il qu'il le fasse.»
La solution est connue
Le plus frustrant dans le conflit palestinien, c'est que la solution est évidente et qu'on la connaît presque dans les moindres détails, soutient Élie Barnavi. Trente ans de négociations ont préparé le terrain.
«On sait qu'il faudra rétrocéder pratiquement 100 % de la Cisjordanie, en ne gardant que quelques blocs de colonies en échange de territoires israéliens. On sait qu'il faudra diviser Jérusalem selon le principe énoncé par Clinton: ce qui est juif à Israël, ce qui est arabe aux Palestiniens. On sait qu'il n'y aura pas de retour massif des réfugiés palestiniens, que ce sera réglé par une compensation et peut-être un nombre symbolique de retours sur une base humanitaire. On sait que l'État palestinien sera démilitarisé et qu'il faudra négocier avec les Syriens et concéder le Golan. Enfin, une Convention palestinienne devra proclamer immédiatement l'État palestinien qui sera aussitôt reconnu par la communauté internationale. Cela rendra toute occupation illégitime. Tout cela est bien connu.»
Selon Élie Barnavi, la question qui se pose n'est donc pas tant de savoir quelles concessions Israéliens et Palestiniens sont prêts à faire, mais jusqu'où les Américains sont prêts à aller. «Les Américains s'occupent trop des problèmes de coalitions en Israël. De toute façon, il y aura toujours une coalition pour négocier. Si Nétanyahou ne peut pas le faire avec les orthodoxes, il s'alliera aux centristes. Peu importe. Les Américains devraient ignorer tout cela et mettre les parties devant leurs responsabilités. Or, je soutiens qu'il n'y a pas un gouvernement à Jérusalem capable de tenir tête aux Américains. Surtout pas Nétanyahou qui est plus un opportuniste qu'un idéologue. La seule chose que l'opinion israélienne ne pardonnerait jamais à ses dirigeants, c'est une rupture avec les Américains.»
Une question de survie
Selon Élie Barnavi, la reddition aux Palestiniens des territoires occupés ne doit pas être perçue comme une concession, mais comme une question de survie pour les Israéliens eux-mêmes. Sinon, il n'y aura bientôt plus d'État d'Israël, mais un État binational.
«Vous savez, il y a des Palestiniens qui commencent à dire: "continuez à vous implanter et créons un État binational, une démocratie où nous aurons les mêmes droits que vous". Si on ne règle pas le problème national palestinien, d'ici 10 ou 15 ans, les Juifs seront minoritaires en Israël. Ils seront forcés d'accepter la loi de la majorité, et ce sera la fin du projet sioniste... ou bien l'apartheid.»
D'ailleurs, Élie Barnavi se désole de la montée des extrêmes en Israël aussi. Israël compte aujourd'hui entre 15 et 20 % d'orthodoxes. On en trouve maintenant partout. «Il y a une judaïsation du conflit, comme il y a eu une islamisation. Il y a une montée en puissance de l'idéologie religieuse parce que les orthodoxes font plus d'enfants que nous, mais aussi parce qu'en face, on a relâché la garde.» Si des élections avaient lieu aujourd'hui, les travaillistes qui ont fondé Israël n'obtiendraient que 6 députés sur 120! Bien sûr, dit le diplomate, la mondialisation a joué son rôle. «Aujourd'hui, les jeunes qui terminent l'armée prennent leur sac à dos et s'en vont au Népal. Ils ne sont plus mobilisés. La géographie d'Israël l'illustre bien. D'un côté, Tel-Aviv qui ne pense qu'à jouir et, de l'autre, Jérusalem où l'on ne peut pas circuler en voiture dans certains quartiers le samedi. Le terrorisme a anesthésié le camp de la paix.»
Des signes de faiblesse?
Mais la clef de la paix est à Washington, répète l'historien. Élie Barnavi est pourtant conscient que, pour l'instant, le combat essentiel du président américain ne se mène pas sur le plan international, mais intérieur. Si Obama ne gagne pas sa lutte pour l'assurance maladie, il sera un «lame duck» [canard boiteux] comme Clinton avant lui, dit-il. Mais, l'ancien ambassadeur est confiant. Ce qui l'inquiète beaucoup plus, ce sont les signes de faiblesse qu'Obama a récemment laissé voir.
«Il y a actuellement une valse-hésitation. Toutes les initiatives qu'Obama a prises semblent en souffrance: la main tendue aux Iraniens, l'arrêt de la colonisation dans les territoires occupés, le partenariat stratégique avec les Russes, la vision d'une alliance avec l'Europe. Quel est le prix de dire non au président américain? Personne ne le connaît. On a parfois l'impression qu'on peut dire impunément non au président des États-Unis et que rien ne se passe. Obama a lâché sur le bouclier antimissile, ce qui est une bonne chose. Mais on n'a pas encore vu la contrepartie. Pour réussir, il doit donner l'impression que, dans le gant de velours, il y a une main de fer et que, si l'on ne saisit pas la main du président américain, il y a un prix à payer.»
Pour Israël, ce prix à payer ce pourrait être de ne plus bénéficier des dernières innovations dans l'armement de pointe ou un réalignement de la politique américaine. Selon Élie Barnavi, Obama pourrait même menacer les Israéliens de faire adopter son plan de paix par le conseil de sécurité de l'ONU.
«Qui tiendrait devant une telle pression? Qui ira mourir pour des colonies que personne ne souhaite conserver, à part quelques cinglés? Tout cela va se jouer dans les mois qui viennent. Nous n'avons pas beaucoup de temps. Vous savez, les hommes sont encore importants dans l'histoire.» Plus que les prix Nobel, serait-on tenté d'ajouter.
Correspondant du Devoir à Paris


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