Découverte d'un surprenant rapport

« en politique tout ce qui est imposé de l’extérieur est faux » - Jean-Marc Ferry

Chronique de José Fontaine

C’est sur le passé que se fondent nos opinions politiques. Même chez ceux qui dédaignent l’histoire tout en ayant des certitudes au sujet de ce passé forcément à l’origine de leur conviction (car l’instant présent est évanescent et l’avenir n’existe pas). L’historien doit donc éclairer la conscience de ses compatriotes pour les empêcher de partir sur de mauvaises bases et un passé totalement ignoré. Il me semble que c’est cela que dit M. Séguin. Il y a beaucoup d’ignares en Belgique, en particulier chez les dirigeants politiques et des médias...
Paul Delforge (déjà auteur principal d’une vaste Encyclopédie du mouvement wallon, seul ouvrage du genre en Belgique francophone portant sur un mouvement politique), vient de publier La Wallonie et la Première Guerre mondiale, (IJD, Namur, 2009) (1). Ces 500 pages scrutent les quatre années d’occupation allemande (1914–1918). L’Empire allemand, sûr de gagner la guerre songe d’abord, au début de celle-ci, à déstructurer la Belgique qu’il occupe presque entièrement. Il soutient le mouvement flamand. En 1917, certains milieux allemands admettent que le peuple vraiment dominé en Belgique ce sont les Wallons. L’Allemagne change sa politique tout en poursuivant ses propres intérêts dans une Belgique qu’elle espère garder sous tutelle, la paix revenue.
Elle envisage en 1917 deux Etats (fédérés), Flandre et Wallonie, ce que réclamait le mouvement wallon (seul) avant 1914. Certains Flamands acquiescent (d’autres très nombreux refusent, ils sont avec le roi dans la Belgique restée libre, mais obtiendront de nouveaux avantages pour le néerlandais). Les Wallons, même nationalistes, demeurés au pays, refusent. Un Raad van Vlaanderen, parlement flamand qui se veut légal (Conseil des Flandres), est reçu à Berlin par l’Empereur, proclame l’indépendance de la Flandre… Si le français dominait en Belgique comme langue (de la monarchie, la bourgeoisie, l’élite politique, le haut clergé etc.), la Wallonie avant 1914, pour reprendre les termes d’un historien flamand dans Le chant du coq (M. Van Ginderachter, Gand, 2005), était « pratiquement écartée du pouvoir central ». Les Wallons parlent le français, langue des dominants, mais ils sont dominés (le gouvernement belge sans Wallons ou presque délibère en français). Un rapport étonnant d’un informateur de Bruxelles (sous la botte allemande), daté du 3 mai 1918, parvient à l‘ambassadeur belge en Hollande (pays resté neutre), et est ensuite envoyé au gouvernement belge et au roi. Ce document découvert par P. Delforge dit tout. Compte tenu du fait que la Flandre a toujours eu la majorité numérique en Belgique, majorité elle-même longtemps acquise au conservatisme clérical. Contre une Wallonie bien plus laïque, mais minorisée. Voici la phrase essentielle de ce rapport d’une pénétration rare découvert dans les archives par notre historien. Et qui sera envoyé au gouvernement belge et au roi siégeant sur la petite portion du territoire belge que les 300.000 soldats belges défendront toute la guerre, avec une section assez longue du front allié occidental.
« Par le jeu de notre politique intérieure, la direction des affaires du pays appartient à un parti qui s'appuie principalement sur les régions flamandes et agricoles de la Belgique, alors qu'elle échappe entièrement aux régions industrielles wallonnes du pays. C'est là une situation qui n'est pas normale, qui procède d'une application défectueuse du régime parlementaire (...) qui était déjà visible avant-guerre et qui va empirer. La différence entre la question flamande et la question wallonne, c'est que les Flamands poursuivent l'accomplissement graduel d'un idéal d'ordre intellectuel et moral, tandis que les Wallons exigent l'abolition immédiate d'un état de choses qu'ils regardent comme abusif et vexatoire. »
Le programme moral des Flamands c’est d’imposer le néerlandais en Flandre contre le français. En soi, c’est légitime. Mais c’est entrepris dans un Parlement belge où les Wallons sont minoritaires. Sous la houlette d’un Gouvernement dont ils sont pratiquement écartés. Les Wallons vont donc être contraints de parler et de comprendre cette langue étrangère qui va devenir celle de la majorité, conséquence logique de la politique d’un Etat, certes démocratique, mais dont les hautes autorités les excluent, en somme légalement. Il n’y aura pas de Wallons dans la délégation belge aux négociations du traité de paix à Versailles.
Les Wallons sont dans une impasse terrible, un rapport de force quasiment impossible à surmonter. Pourtant, ils se battent. Surtout quand on tente de leur imposer un régime autoritaire comme avec un Léopold III, admirateur des dictateurs lors de la guerre européenne suivante (1940-1945), demeurant au pays (malgré la victoire nazie), proche des Allemands (il est déporté en Allemagne en 1944 lors du débarquement allié en Normandie). La Wallonie était dans la résistance, la Flandre plus attentiste. Le roi ne peut rentrer car son retour déclencherait la révolution dans les régions industrielles. En 1950, référendum. La Wallonie s’oppose par son vote au retour du roi , la Flandre l’approuve et, majoritaire, l’impose. Le roi revient en juillet. Logiquement, la Wallonie est d’emblée dans une situation pré-révolutionnaire. Le gouvernement belge négocie. La révolution n’a pas lieu. L’ état de choses abusif et vexatoire que serait le maintien du roi est supprimé. Rare victoire wallonne. Qui n'est que justice. Mais il faut aller plus loin, jusqu’à l’autonomie pour échapper aux effets de la minorisation. Les Wallons l’imposent. Mais la propagande nationaliste belge fait toujours des ravages. Persuade les Wallons les moins éclairés qu’ils sont belges. Les culpabilise car ils ne font pas l’effort de parler le néerlandais. Etc. Et donc, se moque d’eux si tant est que, comme l’écrit Jean-Marc Ferry,« en politique tout ce qui est imposé de l’extérieur est faux ».
(1) Compte rendu sur le site de la revue en ligne Toudi

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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