Alcan, l'un des plus beaux joyaux industriels du Canada, ne sera plus canadienne une fois qu'aura été approuvée son acquisition par Rio Tinto au montant de 38 milliards de dollars. Il s'agit d'une autre prise de contrôle d'une société canadienne par des intérêts étrangers, qui s'ajoute à des centaines d'autres effectuées ces cinq dernières années. Le phénomène est inquiétant et il y a lieu de soulever des questions.
Lorsqu'elle sera confirmée, cette transaction proposée par Rio Tinto mettra fin à un chapitre de l'histoire centenaire d'Alcan commencée en 1901 avec la construction d'une première usine à Shawinigan. Filiale de la Pittsburgh Reduction Company (aujourd'hui Alcoa), elle acquiert son autonomie en 1928 lorsque celle-ci est forcée de se départir de ses usines à l'étranger en vertu des lois antimonopolistiques. Depuis, Alcan est devenue l'un des plus grands producteurs d'aluminium au monde avec un actif de 29 milliards de dollars et 68 000 employés.
Pensant à cette histoire remarquable, mais aussi au rôle qu'Alcan aurait pu continuer de jouer, son président du conseil, Me Yves Fortier, disait jeudi avoir eu «le motton dans la gorge» en approuvant cette transaction. Même si les activités de Rio Tinto et d'Alcan dans le secteur de l'aluminium seront regroupées et que le siège social de cette entité sera à Montréal, ce ne sera plus pareil. Alcan perd son autonomie et est intégrée à Rio Tinto. Les grandes orientations de l'entreprise seront décidées à Londres et l'influence que pourront exercer les trois administrateurs canadiens qui seront ajoutés au conseil de la multinationale britannique ne pourra être déterminante.
Cette transaction était inévitable, a-t-on expliqué. De telles prises de contrôle font partie de la réalité de la mondialisation et Alcan, qui avait avalé la française Péchiney il y a quelques années, ne pouvait éluder les propositions d'où qu'elles viennent. Ce n'est toutefois pas la première entreprise canadienne à être confrontée à une telle situation. Si on ne compte plus les prises de contrôle petites et grandes survenues ces dernières années, leur effet cumulé soulève l'inquiétude, surtout lorsqu'elles surviennent dans le secteur névralgique des ressources. Comme Alcan, Falconbridge n'a pu résister à la suisse Xstrata, qui en a pris le contrôle au prix de 25 milliards de dollars. Non plus qu'Inco, achetée par la brésilienne CVRD au montant de 19 milliards de dollars. Certes, les Canadiens investissent aussi à l'étranger, mais il reste que ces prises de contrôle affaiblissent l'économie du pays et affectent sa souveraineté.
Le nationalisme économique qui a déjà été un courant puissant au sein du gouvernement fédéral n'est plus en mesure d'exercer un «tamisage» des investissements étrangers comme le faisait une agence du même nom sous les gouvernements libéraux de Pierre Trudeau. L'actuelle loi fédérale sur les investissements étrangers prévoit un processus d'approbation des transactions comme celle entre Alcan et Rio Tinto, mais il est difficile d'imaginer le ministre de l'Industrie, Maxime Bernier, opposant son veto. Il aurait peu de poignées pour le faire et, de toute façon, il est tout sauf interventionniste.
La multiplication des transactions des dernières années a néanmoins conduit le gouvernement Harper à confier à un comité d'étude l'examen des politiques en matière de concurrence et d'investissement. Entre les lignes du mandat qu'il a rédigé, on pressent l'intention du gouvernement d'introduire une règle de réciprocité entre les pays, ce qui pourrait justifier une libéralisation des quelques restrictions existant dans le secteur des télécommunications, où les pressions des investisseurs étrangers sont très fortes pour faire disparaître l'actuel plafond fixé à 47 % du capital d'une entreprise. Par contre, on pourrait introduire une clause dite de sécurité nationale pour bloquer, notamment, des prises de contrôle par des intérêts étrangers hostiles (chinois par exemple). Il faudra suivre avec soin cet exercice de réflexion. Il ne s'agit pas de revenir aux années 70. Mais si la mondialisation est une réalité, elle n'autorise pas tout. Elle ne nous condamne pas obligatoirement à l'impuissance.
Le Québec n'a guère de prise, pour sa part, pour exercer un contrôle sur les investissements étrangers, si ce n'est en investissant dans certaines sociétés, comme cela fut fait dans le passé avec Domtar, ou encore par des ententes de partenariats. L'entente de continuité signée entre Alcan et le gouvernement québécois en 2006, dans laquelle l'entreprise s'engageait à des investissements majeurs en contrepartie d'une garantie de 50 ans sur l'exploitation des ressources hydroélectriques, est ce qui a permis de sauver la mise dans la transaction avec Rio Tinto, garantissant entre autres le maintien d'activités de siège social à Montréal et des emplois dans les alumineries du Québec. Cette entente était prémonitoire et un levier à utiliser de nouveau dans l'avenir pour favoriser l'émergence d'entreprises fortes.
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