Crises bancaires et financières récurrentes aux États-Unis : le contexte historique et réglementaire

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Chronique de Rodrigue Tremblay

Jeudi 23 mars 2023


Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l’industrie et du commerce québécois, auteur du livre de géopolitique « Le Nouvel empire américain », l’Harmattan, 2004 et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018.


« Toutes les crises financières mettent en cause des dettes qui, d’une manière ou d’une autre, deviennent dangereusement décalées par rapport aux moyens de paiement disponibles. »


John K. Galbraith (1908-2006), économiste américain né au Canada (dans «A Short History of Financial Euphoria», 1994).


« L’histoire enseigne qu’une fois qu’un pays a contracté une énorme dette, il n’y a que deux façons de s’en sortir : l’une est simplement de déclarer faillite, l’autre est de gonfler la monnaie et de détruire ainsi la richesse des citoyens ordinaires. »


Adam Smith (1723-1790), économiste écossais, considéré le père de la science économique moderne (dans « La Richesse des Nations », 1776).


« L’inflation est de tous les temps et dans tous les pays un phénomène monétaire, en ce sens qu’elle n’est et ne peut être générée que par une augmentation plus rapide de la quantité de monnaie en circulation que les quantités produites de biens et de services. » 


Milton Friedman (1912-2006) (dans ‘The Counter-Revolution in Monetary Theory’, 1970).


On marquera, dans six ans, le 100e anniversaire du krach boursier de 1929, lequel annonçait le début de la Grande Dépression de 1929-1939.


Ce furent des événements cruciaux dans l’histoire américaine et dans celle de plusieurs autres pays. Aux États-Unis, en particulier, il a mis en marche un processus de nationalisme, de protectionnisme et de réglementation bancaire radicale.


Le crash de 1929 s’est produit après une période appelée les « années folles », qui a suivi la Première Guerre mondiale (1914-1918) et la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919. C’était une période de prospérité économique générale, avec de nombreuses innovations industrielles et économiques (automobile, électricité, téléphone, radio, films, etc.), le tout propulsé par des taux d’intérêt bas et une spéculation incessante.


Ce qui transforma le krach boursier en un sérieux ralentissement économique, c’est la faillite de nombreuses banques et la crise du crédit qui s’en suivit.


De nombreuses banques américaines avaient fait leur une pratique bancaire risquée, laquelle consistait à prêter une grande partie de leurs avoirs en dépôts à la spéculation boursière, et elles ne purent survivre au krach. Au total, au cours de la décennie des années 1930, on estime que jusqu’à 9 000 banques firent faillite, causant de ce fait une forte contraction du crédit.


Même si la banque centrale de la Réserve fédérale avait été créée en 1913, elle était peu versée dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique monétaire efficace. Par exemple, elle recourait rarement à des achats sur le marché des capitaux pour y injecter des liquidités monétaires, dont l’économie avait cruellement besoin quand la masse monétaire se contractait. Elle était aussi menottée par le système international de l’étalon-or, lequel était en vigueur à l’époque. Celui-ci obligeait la Fed à hausser son taux d’escompte pour endiguer un exode d’argent et d’or des États-Unis.  De telles hausses ont certes favorisé l’avènement d’une déflation.


La crise financière s’est véritablement transformée en crise internationale lorsque la grande banque autrichienne Creditanstalt fit faillite, le 11 mai 1931. C’était une banque qui avait des dettes auprès de nombreuses autres banques à l’étranger. Sa faillite a eu un impact fort négatif sur d’autres banques internationales et elle contribua à faire de la crise financière étasunienne une crise vraiment internationale.


Tout cela pour dire qu’une cascade de faillites bancaires est un phénomène très dangereux dans une économie de marché. C’est pourquoi il y va de l’intérêt public de faire en sorte que les banques commerciales ne se lancent point dans des investissements indûment risqués. Cela exige, cependant, que les pouvoirs publics aient la sagesse d’adopter une réglementation qui soit appropriée aux risques que peut courir le système bancaire national.


Pourquoi les banques commerciales qui acceptent des dépôts peuvent devenir la cible d’une ruée bancaire ?


Il faut savoir que les banques commerciales opèrent dans le cadre d’un système dit de « réserve fractionnaire ». Essentiellement, cela signifie que les banques se financent à court terme, principalement à partir de dépôts bancaires, et elles investissent la majeure partie de ces fonds dans des prêts rentables, à plus long terme. Pour des raisons de sécurité et de liquidité, elles sont tenues de garder un pourcentage minimum obligatoire des dépôts sous forme de réserves de trésorerie — c’est la réserve dite fractionnaire — laquelle doit être disponible à tout moment, en cas de retrait des dépôts. Le reste est considéré être du capital à prêter et à investir, en prêts aux entreprises ou aux consommateurs et en titres.


Cependant, si une banque perd la confiance de ses déposants, comme cela peut arriver si ses prêts ou ses investissements tournent mal, (tel que consigné sous la rubrique ‘pertes non réalisées’ dans ses livres), cette banque peut être victime d’une panique bancaire ou d’une ruée bancaire. Cela peut se produire quand un trop grand nombre de déposants, craignant pour la sécurité de leurs dépôts, tentent de retirer leurs mises en même temps. Comme la majorité des avoirs de la banque sont immobilisés dans des prêts, celle-ci fait alors face à une crise de liquidité. À moins d’avoir rapidement accès à des emprunts à court terme, alors que ses maigres réserves bancaires s’épuisent, la banque n’a d’autre choix que de fermer les guichets.


En l’absence d’un apport extérieur rapide, la banque peut être amenée à fermer définitivement boutique et à déclarer faillite. Si plusieurs banques se retrouvent dans la même situation de crise de liquidité, c’est  l’ensemble du système bancaire qui peut plonger dans une crise bancaire systémique, par effet de contagion ou par un effet de dominos.


Deux exemples de réglementation bancaire et deux exemples de déréglementation bancaire par voie législative, aux États-Unis.


L’avènement du krach boursier de 1929 et l’arrivée de la Grande Dépression, cette dernière ayant causé la perte d’emploi pour 15 millions d’Américains et provoqué la faillite de la moitié des banques du pays, à compter de 1933, ont rendu nécessaire l’adoption de réformes bancaires.


Le président Franklin D. Roosevelt (1882-1945) promulgua la célèbre loi dite de Glass-Steagall de 1933, laquelle loi imposa une nette séparation entre les banques commerciales (qui dépendent des dépôts du public), et les banques d’affaires (qui empruntent de l’argent en émettant des actions ou d’autres titres d’emprunt). De plus, en vertu du fait que les banques commerciales ont un mandat fiduciaire de protéger l’argent des déposants, elles ont également dû se plier à des directives strictes concernant leurs politiques de prêts, tout particulièrement en ce qui concerne le degré de risque de leurs investissements, de manière à ne pas mettre leur solvabilité en danger.


De plus, afin d’éviter les paniques financières et les ruées bancaires déstabilisatrices, la loi bancaire étasunienne de 1933 créa la “Federal Deposit Insurance Corporation” (FDIC), dont l’objectif était de rétablir la confiance dans le système bancaire américain. L’organisme garantissait que les petits déposants ne perdraient pas leur argent si une banque devenait insolvable. En contrepartie, les banques ainsi assurées se devaient de suivre des règles strictes de placement.


Même si la loi Glass-Steagall a été légèrement modifiée par après, ses règles bancaires de base ont fortement contribué à stabiliser le système bancaire américain, et cela, pendant quelque soixante-six ans, soit jusqu’en 1999.


La loi américaine dite de ‘Gramm-Leach-Bliley’ visant à déréglementer le système bancaire américain, en 1999


Au cours des ans, les banques américaines avaient souvent fait pression sur le Congrès et le gouvernement américains pour qu’ils assouplissent les règles de placement prévues dans la loi Glass-Steagall. Cela culmina, en novembre 1999, à ce que le président démocrate Bill Clinton signe la mise en vigueur d’une nouvelle loi pour déréglementer le système bancaire américain. On réfère ici à la loi dite de ‘Gramm-Leach-Bliley, du nom des trois membres républicains du Congrès qui l’avaient présentée. Le Congrès étasunien l’avait fortement approuvée, avec un vote de 90 contre 8 au Sénat et par un vote de 362 contre 57 à la Chambre des Représentants.


Cette nouvelle loi abrogeait des sections importantes de la loi Glass-Steagall. Sa principale caractéristique était de supprimer les obstacles juridiques à la fusion des banques commerciales, des banques d’affaires et des sociétés d’assurance, en une seule grande entité. On visait ainsi à autoriser une plus grande consolidation de l’industrie bancaire américaine, afin de permettre la création de grands conglomérats financiers, réputés être financièrement plus stables.


Des membres du Congrès et plusieurs économistes firent valoir que la nouvelle loi représentait un retour en arrière, car elle risquait de rendre les banques géantes trop grandes pour être bien gérées et aussi, parce qu’elle allait faciliter une augmentation dans les prises de risques bancaires. On craignait surtout qu’en bout de ligne les grands conglomérats financiers, ainsi constitués, ne deviennent “too big too fail“ ou « trop gros pour faire faillite ». En effet, on pensait que confronté à l’insolvabilité de l’un d’entre eux, le gouvernement étasunien n’aurait guère d’autre choix que celui de le renflouer à l’aide de fonds publics.


La loi ‘Dodd-Frank de 2010’ et une nouvelle loi de dérèglementation bancaire, en 2018


La crise des subprimes éclata aux États-Unis, en 2007-2008, avec la faillite de trois grandes banques d’affaires (Bear Stearns, Merrill Lynch et Lehman Brothers). Cette fois, les coupables étaient surtout des produits financiers dérivés non réglementés, tels que des titres adossés à des créances hypothécaires (connus aussi sous le vocable de créances hypothécaires titrisées), de même que des titres de créance garantis. En effet, ces produits financiers perdirent beaucoup de valeur lorsque la bulle immobilière éclata et qu’il s’en suivi une cascade de défauts de paiement.


La faillite de ces grandes banques d’affaires joua un rôle central dans la récession mondiale de 2008-2009, surnommée la « Grande Récession ».


Après la débâcle économique de 2008-2009, le gouvernement démocrate du président Barack Obama et le Congrès étasunien en vinrent à la conclusion qu’il était nécessaire d’édicter de nouvelles normes bancaires, si l’on voulait éviter de futures crises financières. C’est pourquoi le président Obama signa la loi dite de ‘Dodd-Frank‘, le 21 juillet 2010.


Le but de cette loi était de contrer le penchant naturel des institutions bancaires et financières à prendre de trop grands risques, comme ceux qui avaient conduit à la crise financière de 2007-2008. Cette crise avait forcé le gouvernement étasunien à dépenser des centaines de milliards de dollars pour renflouer des institutions financières en faillite. Dans cet esprit, la loi réglementaire de 2010 visait à supprimer la classification des grands conglomérats, jugés « trop gros pour faire faillite ». Il s’agissait aussi de soumettre les banques de taille moyenne à la même surveillance réglementaire rigoureuse que les très grandes banques.


Cependant, un scénario politico-bancaire bien connu est à nouveau entré en jeu.


Certains banquiers ont commencé à soulever des plaintes contre les nouvelles règles de placement, conçues pour prévenir la prise de risques excessifs. À leur dire, ces règles étaient trop strictes. Ils en avaient surtout contre le nouveau seuil d’application des nouvelles règles, lesquelles devaient s’appliquer désormais à toutes les banques dont les avoirs atteignaient 50 milliards de dollars et plus. Leur demande était de relever ce seuil pour qu’elles ne s’appliquent qu’aux seules banques avec 250 milliards de dollars et plus d’avoirs.


En termes plus simples, leurs demandes étaient que les nouvelles réglementations bancaires ne devaient s’appliquer qu’aux seules très grandes banques, celles dites "too-big-to-fail", et non pas aux banques de taille moyenne, dont l’actif et le passif étaient inférieurs à 250 milliards de dollars.


Le Congrès américain, dominé alors par des membres républicains, a finalement acquiescé aux demandes formulées par le lobby bancaire. — En effet, le 14 mars 2018, le Sénat américain adopta une loi portant sur « la croissance économique, l’allégement de la réglementation et la protection des consommateurs », laquelle exempta des centaines de banques américaines qui étaient auparavant soumises aux règles de la loi Dodd-Frank, soit celles dont les avoirs se situaient entre 50 milliards  et 250 milliards de dollars.


Petit point technique mais qui a son importance : la déréglementation bancaire de 2018 affaiblissait également la règle de Volcker, laquelle empêchait les institutions bancaires de se livrer à des transactions spéculatives pour leur propre compte et leur interdisait d’investir ou de parrainer des fonds spéculatifs de couverture dits ‘hedge funds’, de même que ceux des fonds d’actions privés. — Finalement, ce fut le président Donald Trump qui signa l’abrogation partielle de la loi Dobb-Frank de 2010, le 24 mai 2018.


Le déclenchement d’une nouvelle crise bancaire aux États-Unis, en mars 2023


Au cours du week-end fatidique du 10 au 12 mars 2023, trois banques américaines, dont le total des avoirs financiers était inférieur au seuil de 250 milliards de dollars, ont fait faillite et ont exigé une intervention immédiate des agences de réglementation, afin de stopper tout effet de contagion.


Il s’agit de la Silicon Valley Bank (212 milliards de dollars d’actifs), laquelle était très spécialisée dans le secteur technologique, de la Signature Bank (110 milliards de dollars d’actifs) et de la plus petite Silvergate Bank (11 milliards de dollars d’actifs), les deux dernières banques s’adressant en partie à des utilisateurs de cryptomonnaies et à des entreprises liées aux cryptomonnaies.


La fusion forcée, le 19 mars 2023, de la grande banque Crédit Suisse avec la plus grande banque suisse UBS, est la preuve également que les grandes banques internationales peuvent aussi se retrouver fragilisées et nécessiter une intervention de la part des régulateurs.


Le rôle de la banque centrale américaine dans la création de conditions monétaires conduisant à des crises bancaires et financières


Dans la foulée des turbulences financières et économiques de 2006-2009, la Fed américaine et d’autres grandes banques centrales européennes se sont lancées dans une politique monétaire non conventionnelle et risquée de création monétaire massive, avec la soi-disant politique d’assouplissement quantitatif, en plus de pousser artificiellement les taux d’intérêt très bas, voire jusqu’à des taux d’intérêt nominaux négatifs, dans certains cas.


Une nette indication de la façon dont la banque centrale de la Réserve fédérale américaine a injecté de grandes quantités de liquidités dans le système monétaire apparaît avec la rapidité avec laquelle son bilan, lequel est une part importante de la base monétaire de l’économie, a augmenté. Celui-ci s’élevait à environ 0,9 billions (trillions en anglais) de dollars américains en 2007, mais il est passé à 8,34 billions de dollars américains au 8 mars 2023, soit un accroissement de plus de 900 pourcent.


Cela a eu pour conséquence que la Fed a ramené les taux d’intérêt nominaux à un niveau proche de zéro, tout comme l’ont fait d’autres banques centrales en Europe et au Japon.


Cependant, un résultat certain du maintien des taux d’intérêt artificiellement ultra bas, pendant trop longtemps, est de créer des bulles financières, sur le marché obligataire, sur le marché boursier et sur le marché immobilier. Et voilà comment, ces dernières années, ces marchés ont atteint des niveaux de prix bien supérieurs à leur moyenne historique.


Cela a peut-être plu à certains investisseurs et à certains trafiquants, mais cela a peut-être aussi plongé la banque centrale dans une impasse, si l’inflation devient problématique et que la banque centrale doive augmenter les taux d’intérêt pour la combattre.


Pour référence : au milieu de l’été 2021, il était évident que l’inflation aux États-Unis était bien supérieure au taux cible de 2 % et qu’elle augmentait, mais la Fed a néanmoins poursuivi sa politique d’assouplissement quantitatif consistant à acheter pour 140 milliards de dollars d’obligations gouvernementales et de titres privés adossés à des hypothèques, chaque mois.


Le point de vue de la Fed à l’époque était que l’inflation était un phénomène "transitoire", lequel ne devait pas durer. Par conséquent, la Fed a continué à injecter des liquidités dans l’économie américaine jusqu’en mars 2022, date à laquelle elle fut forcée de faire marche arrière, alors que l’inflation montait dangereusement. À ce moment-là, en effet, le taux d’inflation avait déjà atteint 8,5 %.


Le fait est que lorsque les banques centrales augmentent les taux d’intérêt après les avoir maintenus trop bas et trop longtemps, il devient très difficile pour elles de lutter contre l’inflation sans mettre leur secteur bancaire en péril.


En effet, une hausse soutenue des taux d’intérêt fait chuter le prix des obligations et des autres titres déjà émis, ainsi que le prix de l’immobilier et des actions. Les banques peuvent alors se retrouver avec de soi-disant « pertes non réalisées », et elles peuvent se retrouver dans une situation financière critique. Ce peut certes être surtout le cas si elles ne peuvent point hausser les taux sur les dépôts, ni faire appel à de l’aide extérieure.


Conclusions


Premièrement, on peut comparer la régulation publique des nouveaux médicaments et celle de nouveaux produits financiers.


Lorsqu’il s’agit de la santé des personnes, et lorsque les sociétés pharmaceutiques proposent de nouveaux médicaments, ces nouveaux produits médicaux doivent être soumis, testés et approuvés par une agence publique. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), fondée en 1906, est chargée de réglementer et d’approuver les nouveaux médicaments, avant qu’ils ne puissent être distribués et vendus.


Cependant, lorsqu’il s’agit de la santé de l’économie, il est beaucoup plus facile pour le secteur bancaire d’inventer de nouveaux produits financiers risqués et de les vendre au public. En effet, il n’y a pas de tests légaux de la viabilité de ces nouveaux produits financiers avant leur distribution. Ce n’est qu’après coup — lorsqu’on découvre qu’ils ont été toxiques pour le système financier et l’économie en général — que leur utilisation est réduite et peut être davantage réglementée.


On pourrait penser que le secteur bancaire devrait être vu davantage comme une infrastructure d’utilité publique, absolument essentielle au bon fonctionnement de l’économie. Cela empêcherait les économies de marché d’être victimes d’un cycle déstabilisateur d’expansion et de contraction, à tous les 15 ou 20 ans.


Deuxièmement, les périodes récurrentes d’instabilité financière et économique pourraient être une conséquence du ‘double mandat’ que certains gouvernements confient à leur banque centrale. En effet, en plus de servir de prêteur de dernier recours, en période de crise de liquidité, le rôle primordial d’une banque centrale est de superviser le processus de création de monnaie fiduciaire, afin de prévenir à la fois l’inflation et la déflation.


Cependant, aux États-Unis, le Congrès américain a adopté le ‘Full Employment and Balanced Growth Act’ de 1978, lequel a donné à la Réserve fédérale un « double mandat » explicite. Ainsi, non seulement la Fed doit gérer et superviser le système bancaire et suivre l’évolution de la masse monétaire, mais elle doit également « promouvoir efficacement les objectifs d’emploi maximum, de prix stables et de taux d’intérêt modérés à long terme ».


Or, il arrive qu’un tel double mandat risque de s’avérer contradictoire et peut venir compliquer l’élaboration d’une politique monétaire appropriée. Cela peut également expliquer le type de politique monétaire yoyo que la Fed a récemment poursuivie, tantôt en poussant les taux d’intérêt fortement à la baisse et tantôt fortement à la hausse.


La croissance économique, la stimulation des investissements et la création d’emplois à long terme relèvent principalement de la responsabilité du gouvernement, par le biais de ses politiques budgétaires, industrielles et autres politiques économiques. Ce n’est qu’à court terme que la politique monétaire influence l’activité économique et l’emploi.


Tout particulièrement en période inflationniste, une banque centrale, aux prises avec un double mandat, peut se retrouver dans une impasse. En effet, pour contrôler l’inflation, elle se doit de ralentir le taux d’accroissement de la masse monétaire tout en haussant les taux d’intérêt, ce qui ralentit nécessairement la croissance économique et l’emploi à court terme.


Il convient de souligner que la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas de double mandat explicite. Elle n’a qu’un seul objectif premier et c’est la stabilité des prix, sous réserve de quoi elle peut poursuivre des objectifs additionnels. Il en va de même de la Banque du Canada, dont le mandat principal est de maintenir une inflation faible et stable, tout en soutenant « un emploi durable ».


Enfin, d’une manière générale, il faut garder à l’esprit que plus les banquiers privés sont mis à l’abri de leurs erreurs et de leurs mauvaises décisions, avec l’aide de généreux renflouements publics, plus ils sont incités à inventer des produits financiers ésotériques et risqués, et plus l’économie peut être victime de crises financières récurrentes.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018 (Fides). Il est titulaire d’un doctorat en finance internationale de l’Université Stanford.


On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com


Il est l’auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.


Site internet de l’auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com


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Mis en ligne jeudi 23 mars 2023.


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© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay

 



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2 commentaires

  • François Champoux Répondre

    27 mars 2023

    Merci de prendre cette version au lieu du précédent commentaire.


    Bonjour, M. Tremblay, et bonjour M. Pomerleau,


    Merci beaucoup de vos justes analyses très complexes et compliquées; nous devons en tenir compte plus que jamais dans la gestion terre-à-terre de nos économies individuelles pour vivre. Mais quand la confiance s’écroule et que la course au guichet devient le réflexe des gens ordinaires, les explications savantes ne tiennent plus.


    Ce qui me surprend dans tout ce brouhaha financier complexe c’est que nous n’entendons pas parler du Mouvement Desjardins, lequel se vante d’avoir plus de 7 millions de membres et des centaines de milliards à son bilan.


    Je sais cependant que la Caisse d’économie solidaire Desjardins (siège social à Québec) ne ristourne pas un sou à ses «membres individuels» pour concentrer totalement ses trop-perçus (issus de l’exploitation de ses 21 000 membres) sur quelques «membres entreprises». En 2022, seulement 302 «membres entreprises» se sont partagés 1 600 000. $ soit seulement 1,4 % des membres de la Caisse. Le coopératisme qui devient du favoritisme! Ou encore, une coopérative de services financiers (loi du Québec : L.R.Q., c. C-67.3) qui devient une patente philanthropique! Ou encore, une Caisse Desjardins qui devient un gouvernement pour aider des entreprises nécessiteuses en manque de liquidité. 


    Le risque de course au guichet n’est certes pas uniquement qu’aux États-Unis.


    Comment expliquez-vous que Desjardins a réussi à passer au travers de la longue crise financière débutée en 1929? N’était-ce pas justement parce qu’il était une coopérative, une vraie coopérative et qu’il était prudent dans la gestion des avoirs de ses membres? Ce qui ne semble plus être le cas aujourd’hui. La faillite de la Caisse Économique s’est bien réalisée au Québec et des milliers de membres ont perdu des milliers de dollars de leurs économies.


    «Trop gros pour faire faillite» Desjardins? Je ne pense pas. Desjardins fait des dons, des commandites, des subventions et cré des fonds sociaux pour dorer son image, mais qu’en est-il de sa solvabilité alors que son président nous annonce qu’il n’arrive plus à gérer seul «SA» «coopérative»? 


    Desjardins est-il encore OUI ou NON une coopérative ou n’est-il pas devenu une patente ou le président se prend pour son propriétaire unique? Ou une oligarchie qui fait ce qu’elle veut du «retour sur investissement» (RSI) à ses «sociétaires propriétaires»? 


    Les courses au guichet peuvent avoir de multiples causes et elles ne sont pas toutes «savantes» et incompréhensibles par le commun des mortels : quand la confiance est brimée, le divorce est déclaré et c’est la fin du mariage d’amour et de raison.


    François Champoux, Trois-Rivières 


  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    24 mars 2023



    Lors de la crise financière de 2008, les États sont intervenus pour recapitaliser les banques à risque. En 2013, des dispositions ont été prises pour recapitaliser les banques à risque avec l'argent des déposants. Ces dispositions dont contenu ( cachées ) dans le Budget fédéral de 2013 :

     

    Lors du dépôt du budget fédéral , le ministre des Finances Flaherty a déposé simultanément un document intitulé « Plan d’action économique 2013 ». Vous en trouverez les morceaux éparpillés à cette adresse.


    http://www.budget.gc.ca/2013/doc/plan/toc-tdm-fra.html


    Bien cachée complètement au bas du Chapitre 3.2 dont le titre « Aider les fabricants et les entreprises à prospérer dans l’économie mondiale » est sans rapport avec le sujet traité, se trouve une section intitulée :



    Instaurer un cadre de gestion des risques pour les banques nationales d’importance systémique


    Le Plan d’action économique de 2013 instaurera un cadre exhaustif de gestion des risques pour les banques canadiennes d’importance systémique.


    Les grandes banques canadiennes sont une source de vigueur pour l’économie du pays. Elles connaissent de plus en plus de succès sur les marchés internationaux et créent des emplois au pays.


    Le gouvernement reconnaît aussi qu’il faut gérer les risques associés aux banques d’importance systémique – celles dont les difficultés ou la faillite pourraient perturber le système financier et, partant, nuire à l’économie. Cela exige une supervision prudentielle solide, de même qu’un ensemble robuste d’options permettant la résolution de ces institutions sans faire appel à l’argent des contribuables dans le cas peu probable où l’une d’elles ne serait plus viable. [Mes caractères gras]


    Le gouvernement compte mettre en place un cadre exhaustif de gestion des risques pour les banques canadiennes d’importance systémique. Ce cadre s’harmonisera avec les réformes instaurées par d’autres pays et les principales normes internationales, comme les Caractéristiques essentielles de systèmes performants de résolution pour les établissements financiers (Key Attributes of Effective Resolution Regimes for Financial Institutions) du Conseil de stabilité financière, et fonctionnera en parallèle avec le régime canadien des fonds propres réglementaires déjà en place. Le cadre de gestion des risques comprendra les éléments suivants :



    • Les banques d’importance systémique seront assujetties aux normes de fonds propres plus élevées que déterminera le surintendant des institutions financières.


    • Le gouvernement propose d’établir un régime de recapitalisation interne pour les banques d’importance systémique. Ce régime sera conçu de manière que, dans le cas peu probable où une banque d’importance systémique épuiserait ses fonds propres, elle pourra être recapitalisée et redevenir viable grâce à la conversion très rapide de certains de ses passifs en fonds propres réglementaires. Cette mesure réduira les risques pour les contribuables. Le gouvernement consultera les intervenants sur la meilleure façon d’instaurer un régime de recapitalisation interne au Canada. Le calendrier de mise en œuvre assurera une transition en douceur pour les institutions touchées, les investisseurs et les autres participants au marché. [Mes caractères gras]


    • Les banques d’importance systémique demeureront assujetties aux exigences existantes sur la gestion des risques, y compris une surveillance plus étroite et l’obligation de préparer des plans de reprise des activités et de résolution. Ce cadre de gestion des risques limitera l’avantage injuste dont profiteraient les banques canadiennes d’importance systémique du fait que les investisseurs et les autres participants au marché croiraient, à tort, que ces institutions sont trop grandes pour faire faillite.




    ....


    (Note : Dans un langage tout ce qui a de plus aseptisé, le gouvernement fédéral explique le plus banalement du monde que dans le cas où une banque d’importance systémique comme l’une des cinq grandes banques canadiennes (RBC, TD, CIBC, BMO, ou Scotia et dans certaines circonstances possiblement aussi la BN et certaines autres banques régionales importantes), épuiserait ses fonds propres, elle pourrait être recapitalisée et redevenir viable grâce à la conversion très rapide de certains de ses passifs en fonds propres réglementaires, dans le but de réduire les risques pour les contribuables.


    Cela veut tout simplement dire que les dépôts de ses déposants (passifs pour elle) pourraient être convertis (quel euphémisme !) en fonds propres de la banque, sans le consentement des intéressés, pour éviter que le gouvernement ne soit lui-même obligé de la recapitaliser. Il s’agit d’une expropriation, d’une confiscation des dépôts, d’un vol au sens du code criminel (aller au delà de l’intérêt spécifique qu’on a dans la chose), en toute légalité. ).