Papa, Maman,
Si je fais la grève, ce n’est pas pour vous emmerder.
Si j’ai décidé de ne plus aller à mes cours, de manifester dans les rues au cours des derniers mois, ce n’est pas pour faire la fête, pour m’amuser avec mes amis au lieu d’étudier. Même si j’étais encore au cégep, ça ne serait pas pour ça.
Si je me présente à mes assemblées générales et que j’y débats, ce n’est pas pour tourner en rond, pour lancer des paroles en l’air, pour pelleter des nuages et imaginer un monde utopique.
Je sais bien que vous avez fait de nombreux sacrifices durant votre vie pour que je puisse être éduquée, en santé et avoir tout ce dont j’avais besoin.
Je sais bien que vous pensez qu’on se trompe de cible. Que la hausse des droits de scolarité n’est pas le pire problème qui existe au Québec. Mais il faut bien commencer quelque part, non ?
Militer pour du vent ?
Papa, Maman, je sais pertinemment que vous n’êtes pas d’accord avec moi sur bien des points. Que même si notre système d’éducation supérieure n’est pas le meilleur au monde, il reste plus satisfaisant, moins cher que partout en Amérique du Nord. Se battre contre le système, selon vous, c’est perdu d’avance.
Mais pourquoi faudrait-il arrêter d’essayer ?
Quand vous me dites que « nous, les jeunes », on est des enfants gâtés, qu’on n’a jamais rien eu à payer, vous avez un peu raison.
Quand vous martelez qu’on nous a toujours laissé nous exprimer, qu’on ne nous a jamais dit non, vous n’avez pas tort.
Mais quand vous dites que c’est à cause de ça que nous refusons de plier face au gouvernement, quand vous insinuez qu’on milite pour du vent et de beaux discours, quand vous me criez qu’on ne voudra tout simplement rien payer de notre vie parce qu’on l’a eu facile jusqu’à présent, vous avez tort.
Quand vous me dites que nous ne pensons qu’à nous, que nous sommes égoïstes parce que nous voulons le beurre et l’argent du beurre, que nos beaux idéaux vont disparaître quand nous aurons à payer des impôts, je ne crois pas que vous saisissiez l’ampleur de notre remise en question de la société.
Des p’tits cons
Nous sommes jeunes, certes. Nous commençons à peine à découvrir le monde dans lequel on vit.
Mais je trouve ça triste que lorsque « nous, les jeunes », on se mobilise enfin pour quelque chose, vous nous accusiez d’être « des p’tits cons ». On commence enfin à prouver qu’on l’est peut-être un peu moins qu’on en a l’air.
Nous qui avons grandi avec la télévision, avec la facilité, avec Internet, à l’abri du besoin, nous pourrions rester silencieux, nous dire que nos parents payeront la hausse, qu’elle nous ne touchera même pas, en fait. Que dans le pire des cas, on s’endettera, comme on le fait déjà avec tous nos biens de consommation. Qu’à la limite, pourquoi devrait-on essayer de se battre contre un système déficient, mais fonctionnel et confortable ?
On pourrait être fatalistes, défaitistes, égoïstes et égocentriques, comme on nous a si souvent accusés de l’être.
Arrêter de réfléchir
Au lieu de ça, on s’est réveillés. On a décidé de ne pas se laisser gagner par l’apathie générale. Il était temps.
Nous qui avons si souvent ignoré les problèmes de ce monde, nous avons entrouvert la porte du placard. Et toutes les boîtes qui tenaient jusque-là en équilibre précaire tant que la porte était fermée sont en train de nous tomber sur la tête.
Vous qui avez investi tant d’efforts pour que je sache réfléchir, vous voulez maintenant que j’arrête ? Vous voulez que j’étudie, mais que cette éducation ne serve que sur papier, pour que je me trouve un emploi honnête ?
Papa, Maman, je commence tout juste à prendre conscience des efforts, des sacrifices que ma génération devra faire pour changer les choses. Le mieux, au lieu de me décourager, ça serait de m’aider. De vous rappeler ce que c’est que d’avoir vingt-deux ans et des projets d’avenir complètement fous. De comprendre ce que c’est que de vouloir être la goutte d’eau qui fait déborder l’océan. De vous souvenir pourquoi vous vivez encore au Québec et pas ailleurs en Amérique du Nord.
Papa, Maman, si le combat que je mène me pousse à perdre ma session, eh bien, je la perdrai. Oui, si je croyais encore aussi fermement qu’il y a treize semaines que la grève était le meilleur moyen de pression, je serais pour qu’elle continue, même au détriment de mes études.
Sacrifice important
Non, je ne pourrai pas faire ma maîtrise l’an prochain.
Oui, je devrai travailler fort pour reprendre tout le travail scolaire que je n’ai pas fait ce printemps.
Oui, je suis consciente qu’il s’agirait d’un sacrifice important. Tant pour vous que pour moi. Contrairement à ce que vous pensez, je ne vous oublie pas. Mais je n’oublie pas non plus les générations futures.
Enfin, j’ai réalisé qu’on ne peut pas toujours avoir tout tout cru dans le bec. Enfin, je réalise qu’il faut parfois sacrifier son bien-être personnel au profit du bien commun.
Je ne vous demande pas d’être d’accord avec moi. Mais j’aimerais que vous soyez contents que votre fille ne se satisfasse pas de la société dans laquelle elle vit. Qu’elle demande plus, non pas pour elle, mais pour les autres.
Si je suis éduquée, c’est grâce à vous. Ce sens critique que j’exige en ce moment de mes confrères étudiants, de vous, de notre société, de notre gouvernement prouve que vos sacrifices pour mon éducation n’ont pas été vains.
Vous avez tout fait pour que je sois éduquée. Ne devriez-vous pas être fiers d’avoir réussi?
Éloïse Choquette
_ Étudiante en architecture à l’Université de Montréal
Articles de Éloïse Choquette publiés par Mondialisation.ca
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