Exporter l'eau du Québec

Cinq fois le dividende d'Hydro

EAU - Commerce de l'eau



Bergeron, Maxime - Exporter ou pas l'eau québécoise? Le débat enflammé entourant cette question a repris un nouveau souffle, hier, avec la publication d'une étude controversée de l'Institut économique de Montréal.
Selon Marcel Boyer, économiste en chef de l'IEDM, l'État québécois pourrait empocher chaque année des recettes de 6,5 milliards de dollars en acceptant qu'une partie de son eau douce soit exportée. Cinq fois le dividende versé par Hydro-Québec au gouvernement.
"Le Québec doit prendre les devants et se préparer à exploiter de façon rationnelle et responsable cette ressource dans une perspective de création de richesse", a avancé M. Boyer pendant un déjeuner-causerie.
La thèse défendue par l'IEDM est audacieuse. Le Québec possède 3% du stock mondial d'eau douce et n'utilise que 0,5% de son eau douce renouvelable, fait-on valoir. Si bien qu'il pourrait exporter sans problème 100 milliards de mètres cubes tous les ans... assez pour remplir 300 000 stades olympiques!
Selon l'étude, l'exportation de 10% des réserves d'eau douce renouvelable de la province à un coût de 0,65$ par mètre cube (le coût actuel du dessalement de l'eau de mer) pourrait générer des revenus de 65 milliards par année. Dont 10% irait directement dans les coffres du gouvernement.
Malaise
L'étude de Marcel Boyer est loin d'avoir suscité l'enthousiasme, hier. Les deux universitaires invités à en débattre par l'IEDM ont soulevé d'importantes réserves quant à ce projet d'exportation massive, qui repose sur les pénuries d'eau anticipées dans plusieurs pays d'ici 2025.
"J'ai un grand malaise à ce qu'un plan d'affaires repose sur une crise qui affecte essentiellement les autres, a lancé Pierre-Olivier Pineau, spécialiste des politiques énergétiques à HEC Montréal. Un peu comme si on attendait qu'il y ait des conflits armés dans certains pays et qu'on se lançait dans une industrie de l'armement, en espérant bien sûr que les conflits armés se maintiennent."
M. Pineau prône en premier lieu un contrôle beaucoup plus serré de l'eau au Québec, où la consommation par habitant est parmi les plus élevées au monde. Un souci partagé par l'IEDM, qui espère au moins que son étude incitera les Québécois à réduire leur consommation effrénée.
Frédéric Lasserre, directeur de l'Observatoire de recherches internationales sur l'eau, a lui aussi plaidé en faveur d'une gestion plus efficace de la ressource. Il propose notamment de cesser de subventionner l'eau utilisée par les agriculteurs nord-américains, de gigantesques consommateurs.
Le professeur doute par ailleurs qu'il existe un marché pour l'exportation massive d'eau, une expérience très coûteuse qui n'a jamais été réalisée à large échelle. D'après lui, le dessalement représente la solution d'avenir.
"Les coûts du dessalement sont devenus beaucoup plus compétitifs et à court terme, ça va être la solution qui va répondre à la demande croissante à travers le monde", a-t-il affirmé.
Comment faire?
Dans son étude, l'IEDM - réputé pour prôner le libéralisme économique - expose plusieurs mécanismes qui permettraient d'exporter l'eau canadienne. Elle pourrait être transportée par d'immenses aqueducs vers les États-Unis, par navire-citerne ou encore par membrane flottante, explique-t-on.
Marcel Boyer reconnaît que la question de l'exportation demeure sensible auprès des citoyens et des gouvernements, mais il espère au moins que son étude permettra de faire avancer la réflexion. Il admet aussi que certaines dispositions de l'ALENA pourraient entraver l'exportation massive vers les États-Unis.
Plusieurs groupes ont dénoncé le projet présenté par l'IEDM, hier. Marc Hudon, directeur de programme chez Nature Québec, craint que cette nouvelle étude vienne donner des idées à des sociétés ou des États américains qui pourraient être tentés de détourner une partie de l'eau des Grands Lacs, par exemple.
"On ne veut pas donner des argument inutiles à des gens qui sont beaucoup plus extrémistes dans leurs projets de développement économique que ne le sont les présentateurs du projet aujourd'hui", a-t-il dit en marge du déjeuner-causerie.
Karel Mayrand, directeur général de la Fondation David Suzuki au Québec, a pour sa part dénoncé les effets potentiels d'une exportation massive sur les écosystèmes canadiens. La coalition Eau Secours a elle aussi fortement critiqué l'étude.
Il a été impossible d'obtenir la réaction de la ministre du Développement durable et de l'Environnement, Line Beauchamp. L'attaché de presse de la ministre n'a pas rappelé La Presse Affaires en fin d'après-midi.
Selon l'IEDM, le gouvernement pourrait définir le cadre réglementaire du commerce de l'eau en accolant une tarification réaliste à la ressource. "L'absence de prix et de marchés encourage le gaspillage, contribue au développement d'une économie moins efficace et maintient la population dans l'ignorance quant à la valeur de l'eau", indique l'organisme dans un communiqué.
L'IEDM se présente comme "un organisme de recherche et d'éducation économique indépendant, non partisan et sans but lucratif".


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