L'intérêt de la population canadienne pour l'eau demeure pour le moins paradoxal. Celle-ci a fait connaître haut et fort son attachement à l'eau, mais ses actions contredisent très souvent son discours.
Les Européens, et avant eux les Amérindiens, ont exploité le réseau hydrologique à des fins d'exploration, de colonisation et de mise en valeur du territoire. Graduellement, cette appropriation de l'eau-ressource s'est traduite par une modification en profondeur de l'hydropaysage canadien. En favorisant la construction de barrages hydroélectriques et le détournement de rivières nordiques, les provinces, et certaines entreprises, ont favorisé leur développement économique par l'obtention d'une énergie à bon marché.
Cette «mise en valeur» a entraîné la disparition progressive des dernières rivières dépourvues d'ouvrages de retenue, en plus de polluer les cours d'eau. Les Canadiens sont devenus maîtres dans l'art de manipuler leurs ressources hydrologiques.
L'hydronationalisme
L'omniprésence et l'abondance de l'eau ont marqué l'imaginaire collectif, contribuant à en faire l'un des fondements de l'identité canadienne. Si les Canadiens persistent à vendre leur sol (sables bitumineux), il en va tout autrement pour l'eau, objet d'un «hydronationalisme» actif de la part de la société civile.
Pour certains groupes de la société civile, l'ALÉNA a permis d'attirer l'attention de la population sur la question des exportations d'eau et de galvaniser leurs troupes derrière la bannière du nationalisme. Devant le militantisme et la mobilisation des citoyens, le gouvernement fédéral et les provinces ont d'ailleurs procédé à l'adoption d'un appareillage législatif censé empêcher les transferts d'eau en vrac à l'extérieur du pays. Pour plusieurs, le combat semble avoir été gagné. D'où l'impression qu'il n'y a pas, à l'heure actuelle, de transferts d'eau en vrac à l'extérieur du pays. Mais est-ce le cas?
Approvisionnements
Le gouvernement fédéral et les provinces ont reconnu l'impossibilité d'interdire totalement les transferts d'eau en vrac à l'extérieur du pays. Toutes les mesures législatives qui ont été adoptées comportent des exceptions, l'une d'entre elles concernant les approvisionnements transfrontaliers locaux.
La frontière canado-américaine forme le théâtre d'intenses échanges entre les collectivités des deux pays. Depuis quelques décennies, celles-ci oeuvrent à la résolution conjointe des problèmes locaux qui les affectent. La construction de nouvelles infrastructures soulève d'importantes contraintes monétaires que certaines collectivités ne peuvent assumer seules. Pour d'autres, l'avènement de situations de pénurie d'eau à caractère qualitatif ou quantitatif constitue autant de défis qu'un partenariat est le mieux à même de résoudre. [...]
Des approvisionnements se sont développés indépendamment les uns des autres, de manière autonome et en fonction des besoins locaux. Ils consistent en la jonction, à la frontière, de systèmes d'adduction en eau par le biais d'aqueducs, dont le diamètre maximal recensé atteint 66 centimètres (26 pouces). Toutes les provinces partageant une frontière avec les États-Unis hébergent de tels échanges sur leur territoire, mais seulement douze collectivités canadiennes sont concernées. [...]
À titre d'exemple, l'approvisionnement transfrontalier local le plus abouti est certainement celui desservant Stanstead (Québec) et Derby Line (Vermont). De 1906 à 1996, l'eau provenait d'un réservoir situé du côté vermontois. Depuis, cette eau provient de puits situés en territoire québécois. Elle se dirige ensuite vers le nouveau réservoir localisé dans le village de Derby Line, avant de circuler dans l'ensemble du système par le biais de nombreux aqueducs transfrontaliers.
Et l'ALÉNA?
Ces approvisionnements transfrontaliers locaux pourraient-ils faire de l'eau à l'état naturel un produit en vertu de l'ALÉNA? Non, puisque l'eau fait l'objet d'une extraction avant d'être traitée et distribuée par l'action de l'homme. Elle n'est plus à l'état naturel. Cependant, cette même eau ne fait pas l'objet de transactions commerciales dans le cadre desquelles les acheteurs et les vendeurs fixeraient les prix au sein d'un libre marché.
Ces transferts se limitent à un approvisionnement d'eau potable destinée à une consommation locale dans le contexte d'un service public. Il n'y a donc pas exportation d'un produit, mais plutôt un transfert non commercial qui est une partie constituante d'un système permettant l'adduction d'eau potable jusqu'à la frontière.
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Patrick Forest, Postdoctorant en géographie à l'Université McGill - L'auteur a prononcé une allocution dans le cadre du Colloque sur la gouvernance de l'eau dans les Amériques, à l'Université Laval.
Les transferts d'eau Canada-États-Unis
L'intérêt de la population canadienne pour l'eau demeure pour le moins paradoxal.
EAU - Commerce de l'eau
Patrick Forest2 articles
Postdoctorant en géographie à l'Université McGill - L'auteur a prononcé une allocution dans le cadre du Colloque sur la gouvernance de l'eau dans les Amériques, à l'Université Laval.
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