Le café maghrébin le Safir sur la rue Jean-Talon Est.
Olivier Bourque - Ce n’est pas le J’accuse de Zola, mais bien un véritable Je déplore qu’a lancé la communauté maghrébine de Montréal, mardi.
Regroupée à l’intérieur du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), une poignée de «leaders d’opinion» maghrébins ont dénoncé le taux de chômage anormalement élevé de leur communauté.
Et ils n’ont pas tort si on se fie aux derniers résultats de Statistique Canada. Alors que le taux de chômage de la population en général est à 7% au Québec, pour les Maghrébins, la situation est toute autre avec un chiffre qui frôle les 28%.
«Aucun groupe n’a une situation aussi peu enviable au Canada», a souligné Christel Le Petit de Statistique Canada lors de la divulgation des chiffres en février.
Au Québec, les Maghrébins – qui proviennent de cette région formée du Maroc, l’Algérie, la Tunisie, le Libye et la Mauritanie - forment le groupe le moins choyé à ce qui à trait au marché du travail.
Seuls les immigrants provenant de l’Afrique noire – taux de chômage de 20% - et les Haïtiens – à 17,8% - s’approchent de ce triste score, selon des chiffres dévoilés par la coalition.
Ce taux de chômage, on le comprend, a scandalisé la communauté maghrébine qui blâme notamment «l’inaction» du gouvernement face à ce problème.
«Cette situation est une honte pour le Québec», a lancé Lamine Foura, journaliste bien connu et animateur de radio et de télévision.
«Depuis la divulgation des chiffres de Statistique Canada, on remarque un immobilisme total de la part du gouvernement, aucune réaction officielle, c’est comme si c’était un taux de chômage qui s’était déclaré au Maroc, en Algérie ou en Tunisie», indique-t-il.
Exemple frappant de cette inaction, le cas de Lamia Ouamara, une Algérienne qui a obtenu son diplôme de médecin dans son pays et qui a fait ses équivalences au Québec. Mais depuis, rien. Elle n’a pas réussi à se dénicher un emploi – malgré ses compétences – dans une province qui est en déficit de 1600 médecins omnipraticiens et spécialistes.
Elle raconte son expérience, mais l’émotion est forte. Mme Ouamara insiste : elle est totalement intégrée à la société québécoise, elle parle français, a des amis «tricotés serrés», est ici depuis 12 ans, mais la job ne vient pas. Une situation qui l’exaspère tout autant que sa famille.
«Je sens surtout de la frustration de ma fille. Et j’en suis triste. L’autre jour elle m’a dit : quand je vais finir mes études, je vais quitter le pays», dit-elle, un peu résignée.
Car le gazon semble un peu plus vert chez le voisin. Au Québec, le taux de chômage des immigrants récents de l’Afrique du Nord atteint 27,1% alors qu’il est de 19,7% en Ontario.
Les Maghrébins parlent français
La coalition comprend mal les raisons pour lesquelles un groupe qui parle à forte majorité le français peine à se dénicher un emploi.
Plusieurs de ces leaders d’opinion se demandent quelle est la crédibilité d’une société qui souhaite la francisation des immigrants non-francophones alors que les Maghrébins – francophones à très grande majorité – ont un taux de chômage aussi élevé.
«La survie du français passera par la capacité du Québec d’intégrer de façon harmonieuse les immigrants francophones», lance Kamal El Batal, consultant d’origine maghrébine qui a gagné une lutte contre le racisme dans la sélection des CV.
Quant aux raisons de cette «exclusion», les intervenants refusent de jouer la carte du racisme. On indique que les immigrants maghrébins sont trop qualifiés pour les emplois offerts – 45% ont des qualifications universitaires techniques contre 31% pour la population en général.
Aussi, on s’accorde pour dire que la communauté subit encore les contrecoups du 11 septembre, mais «il s’agit d’une raison parmi d’autres».
Du côté de Statistique Canada, on souligne que la crise dans le secteur manufacturier a joué un rôle dans l’important taux de chômage de certains groupes d’immigrants au Québec – malgré que cette situation ne touche pas exclusivement les Maghrébins.
Mais il y a surtout et toujours cette peur de l’inconnu.
«Je dirais qu’il s’agit beaucoup plus de xénophobie. C’est la méconnaissance de l’autre», souligne Abdelghani Dades, journaliste et membre d’une table sur le Maghreb.
Actions du gouvernement
Pour stopper le mouvement, les intervenants demandent au gouvernement et aux employeurs de bouger. Et de poser des actions claires.
Selon eux, l’État doit mettre sur pied des programmes d’accès à l’égalité au sein de la fonction publique. Et surtout des programmes qui marchent.
«En 1981, le ministre Gérald Godin voulait faire passer la représentation des minorités dans l’appareil public de 1,9% à 9% pour l’année 1986. En ce moment, ce chiffre n’atteint que 3%», constate M. Dades.
Aussi, la coalition souhaite qu’un ministre soit responsable de ce programme et imputable à l’Assemblée Nationale. La coalition exprime le désir qu’on mette sur pied d’autres mesures visant la création d’emplois et de stages.
Si aucune action n’est posée, la coalition croit que l’évolution de l’immigration maghrébine au Québec pourra dégénérer comme celle présente dans les banlieues françaises. Un constat alarmant, il va sans dire.
Mais surtout, le groupe espère les mêmes chances à l’emploi pour ceux qui portent le nom de Tremblay… et ceux qui sont nés Kamal, Hassan ou Dahlia.
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