Les femmes sont depuis des années le plus puissant moteur de la croissance économique mondiale. Elles continueront de l'être si l'on fait ce qu'il faut.
Oubliez la révolution informatique et Internet ou l'expansion étourdissante des économies émergentes d'Asie. «C'est l'augmentation de l'emploi féminin dans les pays riches qui a été le principal moteur de la croissance économique au cours des dernières décennies, constatait la revue britannique The Economist en présentation d'un dossier qu'elle consacrait il y a un peu moins d'un an au sujet.* Ces femmes ont plus contribué à l'augmentation du produit intérieur brut mondial que ne l'on fait les nouvelles technologies ou les nouveaux géants chinois et indien réunis.» Les économistes anglophones ont même inventé un mot pour nommer ce champ d'études. Ils parlent de «womenomics».
La croissance économique peut venir de trois sources: une augmentation de la main-d'oeuvre, une augmentation des investissements dans les moyens de production et une amélioration de la productivité grâce à la technologie. Depuis 1970, les femmes ont comblé les deux tiers de tous les nouveaux emplois créés, et les calculs des économistes établissent qu'elles ont ainsi produit plus de richesse que les deux autres facteurs de croissance.
Cela est attribuable au fait que la proportion de femmes à occuper un emploi rémunéré, ou à en chercher un, a considérablement augmenté. Longtemps inférieur à 25 %, ce taux d'activité des femmes en âge de travailler est aujourd'hui de presque 60 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. Au Québec seulement, il est passé de 46 % à 72 % depuis 1976. Les salaires versés aux femmes demeurent encore inférieurs en moyenne de 15 % à ceux des hommes, mais cela leur permet tout de même d'avoir une contribution formelle à l'économie qui s'élève à plus de 40 % du PIB des pays développés. Cette contribution dépasserait la barre des 50 % si les heures qu'elles consacrent aux soins des enfants, à la cuisine et à l'entretien de la maison étaient rémunérées au salaire moyen d'une bonne.
Bien que le plus gros du rattrapage des femmes en matière de taux d'activité soit aujourd'hui achevé dans la plupart des pays développés, leur poids économique relatif promet de s'accroître encore. Alors que l'on avance de plus en plus dans l'économie du savoir, les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes à détenir un diplôme postsecondaire dans une majorité de pays de l'OCDE. Cette tendance est particulièrement marquée au Canada où les femmes constituent désormais la majorité des médecins et des dentistes et où elles représentaient déjà 35 % des gestionnaires en 2001 comparativement à 17 % en 1972.
Les conseils d'administration des grandes entreprises occidentales ne comptent toujours que 7 % de membres féminins, mais les choses pourraient changer. Des études ont montré que la présence d'un mélange d'hommes et de femmes à la tête d'une entreprise lui permet de réaliser de meilleures performances à long terme. D'autres études auraient également montré que les gouvernements qui font une meilleure place aux femmes dans leurs rangs tendent à dépenser moins d'argent dans l'armement et à accorder plus d'importance à la santé, l'éducation, aux infrastructures et à la lutte contre la pauvreté.
La même logique devrait pouvoir s'appliquer partout sur la planète. Une étude du Forum économique mondial a établi en 2004 un lien direct entre le PIB par habitant d'un pays et le degré d'égalité qui y prévaut entre les sexes. S'il n'y avait qu'une seule mesure à recommander aux pays pauvres, disent les experts, ce serait d'ouvrir toutes grandes les portes des écoles aux filles. Cela permettrait non seulement d'augmenter leur productivité, mais aussi d'avoir des enfants en meilleure santé et mieux éduqués. Actuellement, les femmes représentent toujours plus des deux tiers de la population analphabète du globe.
Le beurre et l'argent du beurre
Le fait d'encourager les femmes à occuper plus de place dans l'économie formelle ne risque-t-il pas de compromettre la capacité des familles d'avoir des enfants? Au contraire, observait The Economist dans son dossier. Comme le montre l'exemple de la Suède et des États-Unis, les pays qui ont le plus fort taux d'activité féminine sont souvent ceux-là mêmes qui affichent le plus fort taux de natalité. Les cas du Japon, de l'Italie et de l'Allemagne montrent que l'inverse est aussi vrai, et qu'une faible participation des femmes au marché du travail ne garantit pas un fort taux de natalité.
Ce qui ne veut pas dire que les femmes qui décident à la fois de travailler et d'avoir des enfants ne pédalent pas. Une récente étude de Statistique Canada confirme toutefois qu'un meilleur partage des tâches domestiques est en train de se faire. Ce partage aurait même tendance à être de plus en plus égalitaire à mesure que les femmes gagnent de meilleurs salaires. Une Canadienne doit cependant attendre, en moyenne, de gagner 100 000 $ ou plus par année avant d'espérer avoir droit à un partage à 50-50.
Les pays ne peuvent toutefois pas seulement attendre l'évolution des mentalités s'ils veulent augmenter à la fois la contribution féminine à leur économie et le taux de natalité, avertissent les experts. L'enjeu est crucial en cette veille de choc démographique. Les politiques requises sont bien connues. Il s'agit, par exemple, de mettre en place des services de garde, d'offrir de meilleurs congés parentaux, d'assouplir les modes d'organisation du travail, de faciliter l'emploi à temps partiel, ou encore de reconnaître l'importance du travail des aidants naturels.
Les sociétés souvent citées en exemple sont les pays d'Europe du Nord, mais aussi le Québec. Les statistiques à ce chapitre ne mentent pas. Le taux d'activité des femmes de 25 à 44 ans ayant des enfants d'âge préscolaire était de 67 % pour les familles avec deux parents l'année précédant la création du programme de garderies à 5 $. Il était rendu à 79 % en 2004. Le taux passait au même moment de 51 % à 68 % pour les femmes chefs de famille monoparentale.
On verra maintenant si l'on saura, ici comme ailleurs, continuer de mettre de plus en plus en valeur la principale source de développement économique encore sous-utilisée sur la planète.
*«The importance of sex» et «A guide to womenomics», The Economist, 12 avril 2006.
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