Charest nie tout

Le contre-interrogatoire d'aujourd'hui s'annonce houleux

Commission Bastarache


Québec — Jean Charest a vigoureusement nié l'ensemble des allégations de son ancien ministre Marc Bellemare, hier, lors de son passage à la barre des témoins de la commission Bastarache.
La fameuse réunion du 2 septembre, où il aurait lancé à Marc Bellemare: «Si Franco te dit de les nommer, nomme-les» n'a jamais eu lieu, a-t-il certifié. M. Bellemare a soutenu que le bureau du premier ministre était «désert» ce soir-là. Or, réplique M. Charest, les gardes du corps ne le quittent jamais. Et lorsqu'il se trouve au bureau, son adjointe est toujours dans la pièce d'à côté.
Si la rencontre de septembre 2003 ne figure ni à l'agenda, ni dans la mémoire du premier ministre, celle du 8 janvier 2004, cependant, à Montréal, a eu lieu. Mais Marc Bellemare n'aurait aucunement abordé la question des prétendues «pressions indues» de Franco Fava, a-t-il insisté.
Questionné par le procureur en chef de la commission, Giuseppe Battista, sur chacune des allégations de M. Bellemare, Jean Charest les a niées les unes après les autres, les présentant comme des faussetés, voire des fabulations d'un ancien ministre aigri et en proie à des humeurs changeantes.
Le premier ministre a rappelé l'épisode du 2 octobre 2003, lorsque le gouvernement remplace le sous-ministre à la Justice sans consulter M. Bellemare. Ce dernier le joint à New York et fait une «crise» au téléphone. M. Charest parle d'un appel «désolant» et soutient que le ministère de la Justice était «dans un état terrible» depuis l'arrivée de M. Bellemare à sa tête: le coordonnateur à la sélection des juges, Pierre Legendre, avait été «congédié», et le sous-ministre Michel Bouchard avait perdu du poids et claqué la porte. «Sept ans plus tard [Marc Bellemare] ne comprend toujours pas que c'est le premier ministre qui nomme les sous-ministres! Ce n'est pas un caprice du gouvernement. C'est dans la loi. La cohésion du gouvernement en dépend», a souligné le premier ministre.
M. Charest a souligné par exemple qu'en mars 2004, M. Bellemare traversait une «période sombre, noire», quand il l'a encore appelé de l'étranger pour se plaindre que ses réformes n'avançaient pas assez vite. Cette mélancolie allait conduire, selon Jean Charest, à une «rencontre pénible», le 29 mars 2004, à son bureau, pour discuter du projet de loi 35 avec le président du Conseil du patronat, Gilles Taillon, et le président de la FTQ, Henri Massé. Le but était alors de trouver un compromis dans la réforme des tribunaux administratifs. Mais le ministre ne voulut rien entendre: «M. Bellemare boudait. Ce n'était pas très édifiant. Il refusait d'engager la discussion avec M. Taillon et M. Massé», se souvient Jean Charest.
«On l'aurait protégé»
Et si un ministre lui avait «vraiment» fait une telle confidence sur des pressions indues de collecteurs de fonds? «Ça m'aurait offusqué», a insisté M. Charest, en ajoutant que son entourage «aurait pris les moyens pour le protéger, comme on l'a fait dans le passé». Ce «passé», c'est entre autres le 2 mai 2003, quelques jours après l'assermentation de M. Bellemare. Ce dernier se rend à son bureau et lui offre sa démission, que le premier ministre refuse. Rencontre marquante qui a duré une heure et «non une demi-heure», insiste le premier ministre. Le sujet est important mais délicat: M. Charest évoquera «une affaire personnelle», mais il s'agit de l'histoire de Lysanne Bellemare, fille du ministre, qui avait coupé les ponts avec celui-ci et qui fréquentait des milieux douteux, peut-être liés aux bandes de motards criminalisés. Ici aussi, il faudra «protéger le ministre», rappelle Jean Charest.
Du reste, sur le processus de nomination des juges, le premier ministre en a surpris plus d'un lorsqu'il a affirmé qu'il ne savait pas comment ses prédécesseurs fonctionnaient. Depuis 2003, la liste courte que produit le comité de sélection est parfois envoyée directement au cabinet du premier ministre, où la responsable des nominations, Chantal Landry, la présente au premier ministre. Ce dernier s'est dit très sensible à l'âge des candidats, qu'il trouve souvent trop jeunes s'ils ont moins de 50 ans. La liste est par la suite renvoyée au ministre de la Justice. Parfois, a raconté M. Charest, «j'indique ma préférence si je crois qu'une personne se distingue. Et le ministre en dispose à sa guise, selon son bon jugement». Les anciens ministres péquistes ont soutenu ces derniers mois qu'ils ne partageaient jamais la courte liste avec leur premier ministre et encore moins leurs collègues.
Sur ses relations avec Franco Fava, M. Charest a précisé que ce n'était pas un ami proche, mais une «connaissance». Il soutient rencontrer le collecteur de fonds à deux reprises dans l'année et n'a jamais eu de réunion en privé avec lui. Il a aussi nié avoir recommandé à Marc Bellemare de faire appel aux services de M. Fava et Rondeau dans Vanier.
Au sujet de la partisanerie, M. Charest a nié que c'était là un facteur important lorsqu'il s'agit de faire des nominations. Il a soutenu insister sur la compétence et avoir, depuis son arrivée au pouvoir, mis l'accent sur la présence de femmes et de membres des communautés culturelles.
M. Charest a affirmé avoir nommé des gens de toutes les allégeances politiques. «C'est dans l'intérêt du gouvernement aussi de nommer des gens qui sont compétents. On veut que les choses fonctionnent bien.»
Un choc à prévoir
Le contre-interrogatoire de M. Charest aura lieu aujourd'hui et s'annonce houleux. Depuis deux jours, la tension a monté entre le commissaire Bastarache et l'avocat de Marc Bellemare, Jean-François Bertrand. Or, c'est ce dernier qui questionnera M. Charest aujourd'hui.
Michel Bastarache a perdu patience à quelques reprises à l'égard de Me Bertrand, hier, lors du témoignage du premier ministre; mais surtout en matinée, lors du contre-interrogatoire de Franco Fava. Alors que M. Bertrand cherchait à circonscrire l'influence que M. Fava avait au PLQ, M. Bastarache s'est fâché: «Vous nous faites perdre notre temps!»
Le commissaire s'est montré aussi indisposé par l'avocat du Barreau, Pierre Bourque, qui a réclamé les registres d'appels téléphoniques de Franco Fava pour l'année 2003-2004 et le carnet d'adresses privé du collecteur de fonds. En début d'après-midi, la commission a précisé avoir obtenu ce document et a souligné que les noms et les coordonnées de Marc Bellemare, Jean Charest et Chantal Landry n'y apparaissaient pas. La commission n'a pas encore tranché sur l'opportunité de demander les registres d'appels.
Par ailleurs, hier matin, le commissaire a accédé en partie à une demande de Me Bertrand, formulée en début de semaine. Ce dernier réclamait tous les registres d'entrée à l'édifice Honoré-Mercier — là où le premier ministre a son bureau — pendant la période étudiée par la commission, soit de 2000 à 2010. Finalement, Me Bastarache a, pour que M. Bertrand puisse faire une comparaison, dit qu'il pourrait recevoir les registres du mandat de Yvon Marcoux à la Justice, soit du 18 février 2005 au 18 avril 2007.


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