« Ceux qui disent que sortir de l’euro serait une catastrophe se moquent du monde »

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Contre la propagande des eurocrates et des banquiers

Fondateur en 2007 du blog de plus en plus influent, Gaulliste libre, Laurent Pinsolle, passé par le RPR, Séguiniste, Chevènementiste, a toujours cultivé sa vision alternative de l’économie et de l’Europe – votant non au traité de Maastricht et au TCE de 2005 – chez diverses personnalités politiques mettant la nation au cœur de leur projet. C’est au titre de Délégué national à l’Équilibre des Comptes publics et au Patriotisme économique au sein de Debout la République que nous l’avons interrogé.
Tout d’abord quels virages déterminants ont marqué la construction européenne, d’après vous ?
Plusieurs virages ont emmaillé cette construction européenne et ont travesti ce que pourrait être une bonne Europe – ce qu’elle n’est absolument pas aujourd’hui. Déjà, le premier virage marquant est l’Acte Unique européen de 1986, un virage très néo-libéral…
Porté par la gauche d’ailleurs…
Effectivement. La libre-circulation des capitaux a été portée par le gouvernement Rocard notamment. Frédéric Lordon fait une liste de toutes les grandes mesures de libéralisation de l’économie et aboutit à la conclusion que le PS y a contribué bien plus que tous les partis de droite réunis.
Donc ce traité institue la concurrence libre et non faussée comme un objectif, alors qu’au mieux pour des libéraux démocrates, cela ne devrait être qu’un moyen. Le traité de Maastricht est le 2ème virage que je qualifierais de fédéraliste et de technocratique. Fédéraliste, d’une part, parce que c’est vraiment en 1992 que s’opère un saut fédéral avec la mise en place de la monnaie unique, la monnaie étant un attribut essentiel d’un État.
Et il s’agit, d’autre part, d’un pas de plus vers la technocratie avec le principe d’indépendance de la BCE. Cette délégation du pouvoir monétaire à des technocrates non élus et indépendants marque un vrai reniement démocratique. On voit aujourd’hui le résultat de cette monstruosité puisque le bilan de la BCE est catastrophique. On a affaire à des gens qui ne défendent que leurs intérêts et les intérêts des banques alors que les États-Unis – qui ne sont pas pour autant un modèle – gèrent leur monnaie de manière plus équilibrée, en intégrant notamment des objectifs de lutte contre le chômage. Pour moi, la Banque centrale ne doit obéir qu’au gouvernement.
Au sortir de ces 2 virages, tout s’est accentué avec l’adoption des traités d’Amsterdam, de Nice, de Lisbonne qui n’ont fait que pousser l’Europe vers moins de démocratie, plus de néo-libéralisme et de plus en plus vers un krach, qui va arriver d’ici quelques années sous la pression des opinions publiques vent debout contre cette évolution des choses.
Pouvez-vous revenir sur la dernière affaire qui a secoué l’actualité européenne avec la Chypre et l’énième plan de sauvetage européen ?
Ce qui est incroyable avec le cas chypriote c’est que ce plan, annoncé à la mi-mars, est en fait un plan négocié depuis 9 mois puisque Chypre a fait sa demande en juin dernier. Le problème de Chypre vient à l’origine de la restructuration de la dette grecque, les banques chypriotes se retrouvant avec un trou de 4 milliards d’€, d’après J. Sapir.
La Troïka en est arrivée à la conclusion que Chypre avait besoin de 17 milliards d’€ pour recapitaliser ses banques. Il faut donc venir en aide à un système financier chypriote représentant 7 à 8 fois le PIB de l’île, ce qui équivaut à la situation de l’Irlande et du Royaume-Uni. Sauf que l’Allemagne ne veut pas mobiliser le MES pour régler l’intégralité des 17 milliards, mais a décidé de n’en mobiliser qu’une partie, Chypre devant trouver 7 milliards d’€. Sur ces 7 milliards d’€, il y en a plus d’1 milliard qui doit provenir des recettes de privatisation, et 5,8 milliards devant se concentrer sur ce secteur bancaire hypertrophié. Ils ont dès lors décidé ces fameuses taxes sur les dépôts : 9,9% sur ceux au-delà de 100 000 € et 6,75% sur ceux en-dessous.
Alors qu’on nous avait dit dans les médias que les petits épargnants seraient épargnés justement…
Ce qui n’est pas le cas, en effet, violant ainsi les engagements pris en 2009 pendant la crise : entre autre protéger les dépôts en-dessous de 100 000 €. Il était également hallucinant de taxer de la même manière l’épargne des oligarques russes – qui allaient cacher de l’argent sale dans le paradis fiscal cypriote – que celle des petits épargnants cypriotes.
Les épargnants se sont donc rebellés, les parlementaires ont refusé de voter ce plan et se sont rendus compte que l’euro ne protégeait pas du tout l’épargne. Au début, l’euro était censé protéger la croissance, puis était censé protéger l’emploi, puis était censé protéger de la spéculation. Avec la crise de l’euro et la spéculation qui a suivi, on a dit en dernière instance que ça protégeait l’épargne des européens.
Depuis quelques semaines, on ne peut même plus dire cela. Ce refus du plan a failli provoquer une panique boursière et des fuites de capitaux colossales. Le nouveau plan qu’il a fallu trouver est plus équilibré dans le sens où ce sont uniquement les dépôts au-delà de 100 000 € qui sont mis à contribution, une banque peut être mise en faillite ce qui fait que la responsabilité est mieux prise en compte et est mieux sanctionnée.
Ce plan démontre toutefois que les épargnants de la zone euro ne sont absolument pas protégés et il n’évitera pas l’entrée de Chypre dans un cycle de dépression économique pour plusieurs années, à l’image de la Grèce à qui on inflige des politiques austéritaires.
Contrairement à l’Islande, qui a su redresser son économie en laissant les banques faire faillite tout en assurant les épargnants et en dévaluant sa monnaie, Chypre ne peut rien faire de tel. Le célèbre économiste américain, P. Krugman, prône la solution de la dévaluation externe, c’est-à-dire de la monnaie, pour éviter la dévaluation interne, c’est-à-dire les baisses de salaire, qui conduit inévitablement à une chute de la l’économie.
Ce n’est donc pas très réjouissant : on en est au 5ème pays de la zone euro qui est « aidé ». Aujourd’hui, il y a la Slovénie qui commence à tirer la langue, le secteur bancaire luxembourgeois (représentant 21 fois son PIB) qui menace de tomber en crise. A combien de pays faudra-t-il que ça arrive pour comprendre que la monnaie unique pour des pays différents ne marche pas ?
Parce que dans le même temps, la crise européenne étant spécifique à la zone euro, les Etats-Unis commencent à sortir de la crise : alors qu’ils ont vu leur chômage baisser de 3 millions de personnes en 3 ans, la zone euro en a accumulé 3 millions de plus. Et les pays européens hors de la zone euro, eux, n’ont pas plus de chômeurs : il y a bien une spécificité de la zone euro en matière économique. Et cette thèse est défendue par des dizaines d’économistes, dont des Prix Nobel. Il suffit de lire le chapitre consacré à l’euro du dernier libre de P. Krugman pour voir qu’il accuse directement l’euro d’être responsable de la crise que nous subissons aujourd’hui.
Que répondez-vous à ceux qui disent que sortir de l’euro serait une catastrophe ?
C’est un mythe absolu. Je ne sais pas s’il s’agit d’ignorance ou de malhonnêteté intellectuelle. Je penche plutôt pour la 1ère. Il suffit de regarder l’histoire des monnaies du dernier siècle. En fait, la fin d’une union monétaire est quelque chose de banal. Un économiste britannique, Jonathan Tepper étudie une centaine de fins d’unions monétaires au XXème siècle et en vient à la conclusion que c’est quelque chose d’indolore, qui ne perturbe pas du tout l’économie, qu’en général au bout de 3 à 12 mois l’économie rebondit. Donc ceux qui disent que la fin de l’union économique et monétaire européenne serait une catastrophe se moquent du monde.
D’abord, la catastrophe, c’est maintenant, avec l’euro. Quand on voit l’évolution dégradée de l’économie européenne depuis 3 ans, avec un triplement du chômage en Espagne ou en Grèce, plus d’un jeune sur 2 au chômage, un chute du PIB de plus de 20% et une baisse de plus d’1/4 de la consommation des ménages en Grèce, etc. Si celle-ci était sortie de l’euro en 2010, son économie aurait déjà rebondi dès 2011.
Donc là vraiment, ils se moquent du monde. On peut prendre tous les exemples qu’ils veulent, ils montrent tous la même chose. La Tchécoslovaquie, par exemple, au sortir de la période soviétique et après sa coupure en 2 (République Tchèque-Slovaquie) en 1993, pensait conserver la même monnaie pour les 2 pays. Au bout de 6 semaines, le gouvernement slovaque en est arrivé à la conclusion qu’ils avaient besoin d’une monnaie différente pour des raisons de différences fondamentales avec la République Tchèque. Ils ont donc crée la couronne slovaque, dévaluant ainsi de 20% par rapport à la partie tchèque, et ont ainsi relancé leur économie.
Pour rassurer les peuples européens sur cette solution, à laquelle ils pensent de plus en plus tout en craignant ses effets potentiels inconnus, comment cette fin de la monnaie unique s’opèrerait-elle ?
C’est clair, il faut l’expliquer. Les élites politiques ont voulu cette monnaie unique et donc ils la défendent mordicus. Ils ne sont donc pas capables de se remettre en question et de réfléchir même à un plan B monétaire.
Comme les médias sont à 80-90% biaisés sur cette monnaie unique, il y a une pensée dominante sur cette question, alimentée par le fait que la principale avocate de cette sortie de l’euro est Marine Le Pen. Alors que ce sont des sujets qu’elle ne maitrise pas du tout, elle ne sait pas bien expliquer aux Français la légitimité d’une telle solution. Donc les Français qui la regardent se disent « ok, mais sur la dette, qu’est-ce qu’elle nous a raconté ?… » et ça donne de l’eau au moulin de tout ceux qui disent que ce serait dangereux et difficile, ce qui n’est pas du tout le cas. Sur ces questions, il convient d’avoir des réponses solides, à l’image de celles de Dupont-Aignan.
Concrètement, c’est très simple. Le Parlement, qui se réunit en général sur ces questions le samedi, adopterait une loi de réintroduction du franc. On peut organiser les vacances bancaires pendant 2 ou 3 jours, qui permettent de commencer à tamponner les billets car la 1ère solution, quand on veut changer de monnaie, c’est de faire en sorte que dès le lundi matin à 8h on remplace l’euro par un nouveau franc.
Ce nouveau franc serait assis sur le cours légal : 1 € = 1 franc, de manière à ce que dans tous les commerces dans tout le pays, ce soit vécu comme quelque chose de très simple, puisqu’il n’y aura pas de nouvelles dénominations et les prix resteront les même. Ce qui vaut 1€ vaudra 1 nouveau franc, l’appartement qui vaut 200 000 € vaudra 200 000 nouveaux francs, le compte épargne à 10 000 € sera à 10 000 nouveaux francs etc.
Cela peut se faire en quelque jours puisque les banques sont d’ores et déjà prêtes pour un tel scénario, c’est normal qu’elles s’y soient préparées au vu des crises de ces dernières années.
Et ensuite, pour fabriquer les francs ?
Fabriquer les francs prend un peu plus de temps : 3 à 4 mois. Ca coûte quelques centaines de millions d’€. Il faut donc quelque chose d’intermédiaire, qui avait été utilisé par le général de Gaulle quand en 1959 on est passé au nouveau franc ou en 1993 dans mon exemple de la Slovaquie : tamponner les billets.
C’est-à-dire qu’on marquerait sur les billets de 20€, 20 nouveaux francs. Avec la vitesse de circulation de la monnaie qui est très grande, au final au bout d’1 à 2 semaines tous les billets seraient marqués. Au bout de 2 semaines, on ne donnerait que cours légal aux billets qui sont marqués. Ça c’est quelque chose qui permet d’aller assez vite.
Pour les pièces, il y a des faces nationales, donc ça permet de faire des échanges avec les autres pays et de ne réintroduire en France que les pièces ayant une face française. Puis le big bang aurait lieu 3 à 4 mois après avec l’introduction du nouveau franc, à l’image de ce qui s’est passé en 2002 avec l’euro.
Le changement de monnaie est donc simple puisque premièrement on l’a déjà fait pas plus tard que 11 ans auparavant et la majeure partie du pays sait ce que c’est dans les faits qu’un changement de monnaie, contrairement au cas slovaque où c’était la 1ère fois pour eux. Et deuxièmement, on a conservé notre réseau de banque centrale alors que pour la Slovaquie, il lui a fallu tout créer de zéro. L’histoire montre que ce changement est d’autant plus facile qu’on l’a déjà expérimenté.
Enfin, on peut garder l’euro comme monnaie de réserve, voire même de monnaie d’échange uniquement virtuelle. La monnaie de réserve permettrait de pouvoir concurrencer le dollar comme quand on avait l’écu auparavant, alors que la monnaie d’échange pourrait être toujours utilisée par les entreprises quand elles doivent acheter auprès des autres pays européens. Plutôt que de s’embêter à avoir une comptabilité dans toutes les autres monnaies européennes, elles n’auraient qu’une comptabilité organisée autour de l’euro et du nouveau franc.
Cela permettrait d’avoir une monnaie ajustée à la valeur du commerce extérieur et de l’économie de chaque pays et aussi d’avoir des taux d’intérêt adaptés à chaque pays. Mais il n’y aurait pas de dévaluation du franc par rapport à l’euro car la France est en position médiane en Europe : le deutsche mark s’apprécierait et la peseta et la lire se déprécieraient. Tous les scénarios envisagés par des cabinets d’étude privés (Natixis, ING) estiment que le franc serait à parité avec l’euro, à 2% près.
Et l’impact sur l’inflation, l’épargne ?
Il y aurait quand même un faible impact sur l’inflation, il faut être honnête. Le nouvel euro se déprécierait de 15 à 20% par rapport aux autres monnaies internationales. Au plus, cela conduirait à 2 points de plus d’inflation répartis sur 2 ans. On peut même estimer que ce serait plutôt de moitié car en général les exportateurs ont tendance à réduire leurs marges pour ne pas faire monter les prix.
Là où l’impact peut être fort, c’est sur l’essence si le nouveau franc perd 20% par rapport au dollar, sauf si l’État joue sur les taxes sous l’effet de la récupération de l’argent donné au budget européen pour épargner les ménages modestes.
Pour la consommation française, le prix des biens états-uniens, allemands et chinois monteraient, alors que le prix des biens espagnols, italiens baisseraient. Mais l’effet le plus tangible sera le rééquilibrage du commerce extérieur français à moyen terme, car sur les 67 milliards de déficit, il y a 50 milliards de déficit vis-à-vis de l’Allemagne, des Etats-Unis et de la Chine.
Sur l’épargne, elle ne bougera pas avec le passage du nouveau franc. L’épargne conservera la même valeur puisque l’effet inflationniste sera très faible et même en gagnera si elle sert à acheter des biens espagnols et italiens, l’essentiel de la consommation des français se portant vers les biens français.
Sur la dette publique, le franc garderait sa parité par rapport à l’euro donc elle n’a aucune raison de prendre de l’ampleur. De plus, d’un point de vue juridique, la dette publique est libellée la plupart du temps en monnaie nationale donc cette dette sera transférée en franc, d’autant plus que 85% de la dette publique française est de droit français.
Le politique peut choisir de nominer la dette française en « nouveau franc » au lieu d’ « euro ». Après, il est vrai que d’autres pays comme l’Italie devront sûrement restructurer leur dette. De manière générale, cela nous permettra de monétiser la dette puisque la Banque de France nous sortira de la tutelle des marchés financiers en achetant une partie de la dette française, à l’image de ce qu’a fait la Grande-Bretagne qui a monétisé pour 375 milliards de livres sterling depuis 2009, ce qui leur permet de garder des taux à 2% alors qu’ils ont des déficits deux fois plus importants que les nôtres.
D’après nos calculs, si on monétise à hauteur de 5% de son PIB en un quinquennat (la GB monétise à hauteur de 6% de son PIB depuis 4 ans), on passerait de 50 milliards d’€/ an d’intérêts d’emprunt à 30 milliards d’€, on économiserait 20 milliards d’€.
Mais est-ce que ce passage à la nouvelle monnaie, avec les attaques spéculatives que cela engendrerait, ne nécessite pas de conjuguer aussi ses efforts en même temps vers une réforme du système financier ?
Oui, complètement. Le passage de la monnaie unique à la monnaie commune doit s’accompagner d’une réforme de la finance et de mesures protectionnistes. En effet, il y a une vraie réflexion à mener au niveau commercial : il est totalement suicidaire aujourd’hui de commercer de manière anarchique avec des pays comme la Bulgarie où le coût horaire du travail est de 3,70 € alors qu’il est de 34,90 € en France. Il est bien évident que toutes les usines vont finir par partir si on continue dans cette voie. Il y a aussi un volet de réforme de la fiscalité pour promouvoir davantage l’emploi alors que la fiscalité actuelle, totalement aberrante, pénalise l’emploi.
Le volet de réforme de la finance est colossal tant il y a de choses à faire. Déjà, comme on l’a dit tout à l’heure, il faut que les questions monétaires reviennent dans le giron de l’Etat et donc doivent faire l’objet d’un vrai débat démocratique à l’occasion des élections. Sur les questions financières, il y a énormément de problèmes.
Tout d’abord, le système financier aujourd’hui n’est pas suffisamment cloisonné. D’après l’image de J. Sapir, le bateau financier mondial bénéficiait avant les années 1980 de cloisons dans la calle qui compliquaient, il est vrai, le passage d’un bout à l’autre du navire, mais cela avait surtout la vertu de sécuriser le système financier global et de prévenir de nombreuses crises financières.
La déréglementation qui s’est traduite par la disparition de ces cloisons étanches menace le bateau financier mondial de couler. Concrètement, contrairement à ce qui s’était passé en 1987 où Wall Street avait connu un krach aussi violent qu’en 2008 sans impact sur l’économie française, la crise des subprimes aux Etats-Unis n’aurait pas touché à ce point l’économie française grâce à ces cloisons étanches entre le marché américain et le marché européen.
Il faut dès lors démondialiser la finance sans pour autant supprimer tout mouvement de capitaux mais il faut y mettre des restrictions beaucoup plus fortes.
Une des leçons de la crise de 2008 est qu’il n’y a aucune raison qu’on laisse circuler les capitaux librement sans contrôle ni sans restrictions. Il faut donc bâtir un système financier qui soit relativement autonome avec des frontières qui permettront à chaque pays de choisir sa politique financière. Si la GB veut avoir un système totalement dérégulé avec des banques qui font n’importe quoi, libre à eux, mais après que leurs décisions n’aient pas un impact sur la situation économique de la France.
Aujourd’hui, on a globalisé les crises, le système financier est devenu beaucoup trop gros, il faut donc en réduire la taille. Rien qu’un exemple : le bilan de BNP Paribas, c’était 700 milliards d’€ en 2002, il est passé à 2 000 milliards en 2007… Il a triplé en 5-6 ans pour atteindre l’équivalent du PIB français en 2007… Pourquoi ? Parce que la BCE a laissé faire une croissance de la masse monétaire totalement délirante.
Aujourd’hui, on dit « la planche à billets, vous n’y pensez pas !… » mais ce sont les banques qui ont la mainmise sur la planche à billets. Elles peuvent créer de la monnaie comme elles le veulent, sous réserve de quelques règles, mais qu’elles peuvent aussi détourner. Et elles ont fait n’importe quoi avec.
En réalité, on a eu un épisode inflationniste en Europe, sauf qu’avec la libéralisation des échanges et l’arrivée de la Chine dans le commerce international, il y a eu une pression à la baisse sur les prix des biens de consommation. Mais cette hyperinflation s’est retrouvée dans le prix des actifs, dans les prix des actions et de l’immobilier qui se sont envolés dans les années 2000, alimentés par une croissance de la masse monétaire à 2 chiffres quand l’économie réelle n’augmentait que de 1 à 2%…
Alors, on peut se dire « mais avec les normes Bâle III, il y a des nouvelles règles, la profession s’est régulée, etc. ». Deux choses : un, les règles Bâle III sont produites par les banquiers et les banquiers centraux.
Est-ce que c’est légitime démocratiquement ? Non, aujourd’hui les règles financières doivent être établies par les gouvernements responsables devant les citoyens. Ce système autorégulé où les normes comptables et bancaires internationales sont prises par la profession est totalement anti-démocratique et inefficace puisqu’ils se donnent le plus de libertés possible.
Par exemple, là les normes Bâle III ont été dernièrement un peu ajustées, mais évidemment on ne voit cela nulle part car c’est technique. Par exemple, ils ont dit que les actifs classés BBB étaient considérés comme liquides, alors qu’on est loin du triple A, placement le plus liquide. Ils manipulent les règles de façon discrète mais c’est logique puisqu’on leur a donné la planche à billets donc ils ne veulent pas qu’on leur reprenne.
C’est dur à expliquer aussi…
C’est un peu dur à expliquer, d’autant plus qu’il y a un scepticisme des médias (cf la réaction de JM Apathie face à Dupont-Aignan pendant la campagne présidentielle) qui souvent n’y comprennent rien.
Aujourd’hui, la planche à billets tourne et ce sont les banques qui font n’importe quoi, la BCE qui tout d’un coup crée 1 000 milliards d’€ pour refinancer les banques… Avec 1 000 milliards, on aurait pu faire un joli plan de relance européen de l’économie, avec des investissements dans la transition énergétique et les industries d’avenir, ce qui aurait permis d’inverser la courbe du chômage.
Donc le système financier tourne uniquement pour lui-même et il n’y a aucun politique pour remettre en question tout ceci, les projets du PS de réforme bancaire étant totalement ridicules. P. Krugman parle de « pistolet à eau en face d’un rhinocéros qui charge » tellement c’est dérisoire. C’est quand même incroyable qu’un parti dit « de gauche » soit incapable de tirer les leçons de la pire crise financière depuis 80 ans…
En matière de réformes, il y a plusieurs voies possibles. Il y a l’école du « 100% monnaie » qui dit qu’il faut que ce soit l’Etat, à travers sa banque centrale, qui maitrise totalement l’émission de monnaie avec un contrôle administratif de la masse monétaire. Cette théorie dit également qu’il faut aller plus loin que le Glass Steagall Act, et qu’il faut séparer les banques, non en 2 activités mais en 3 : les banques de dépôts, les banques de prêts et les banques d’affaires.
Les dépôts seront mieux protégés s’ils sont isolés des prêts. Pourquoi ? Parce que si les gens ne remboursent pas les prêts, les dépôts sont menacés. A. Greenspan a bien analysé que le danger réside dans le fait que les banques sont trop grosses pour faire faillite, où selon la formule de the Economist « le système financier actuel : privatisation des profits, collectivisation des pertes », il convient donc de les découper.
L’autre voie consiste à jouer sur les normes prudentielles : imposer aux banques, un pourcentage plus important de fonds propres minimums qu’ils doivent approvisionner dans leur bilan. Comme pendant les 30 Glorieuses, les banques devaient avoir 20-25% de capitaux propres (au lieu de 7-8% aujourd’hui), leurs activités ne vendaient pas de produits très exotiques, mais au moins il n’y avait pas de crises financières.
On peut aussi appliquer des règles très contraignantes, comme interdire le hors bilan ou les produits complexes comme les dérivés. Ou encore moduler les réserves bancaires en fonction du risque de l’actif.
Aujourd’hui, plus l’actif est opaque et risqué, moins on demande à la banque de se prémunir contre ce risque, ce qui est l’inverse de ce qu’il faut faire. Aujourd’hui, la banque effectue un prêt et ensuite elle revend le titre sur lequel est assis le prêt, donc elle n’a pas forcément à se soucier du remboursement de ce prêt, contrairement à avant. Cela a, en plus, l’inconvénient de casser le lien de responsabilité.
Ensuite, il faut faire davantage contribuer la finance à la collectivité, comme le préconise J. Stiglitz. Cela passe par une taxe sur les transactions financières, qui sera d’au moins 0.1%. Elle pourrait par exemple être variable selon le type d’investissement. Sarkozy a réintroduit l’impôt de Bourse, comme cela existe en GB, mais c’est bien insuffisant au vu de l’étendue des transactions financières.
Après tout, il y a une TVA sur tous les produits qu’on achète. Il faut mettre en place cette TVA financière qui permettra que le monde financier participe au budget de la collectivité, alors qu’aujourd’hui cela va dans l’autre sens : c’est la collectivité qui renfloue le système financier.
Mais tout ceci ne peut se mettre en place que si l’on remet des frontières. La France a d’autant plus intérêt à le faire qu’elle a le taux d’épargne le plus important de l’Europe. Aujourd’hui, tous ces capitaux vont en Suisse, en Belgique, en GB. LE jour où on remet des cloisons étanches, cela remet des sommes colossales qui pourront financer l’économie française. De plus, on rééquilibrera le déficit de services financiers que l’on a avec la GB, qui avoisine 20 à 30 milliards d’€ de capitaux.
Cette politique peut être entreprise au niveau national, mais ce que je préfèrerais, c’est qu’on le fasse avec l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la GB pompant toute l’épargne de l’Europe ne voudra pas s’y associer. Avec ces 4 pays, organisons un espace financier cohérent où notre épargne sera mobilisée au profit du financement de l’économie réelle. Et ces protections nous permettront de ne plus être contaminés par les crises provenant du monde anglo-saxon.
Qui plus est, si on se met tous ensemble, cela nous permettra de mettre fin aux paradis fiscaux. N. Sarkozy a beaucoup parlé là-dessus, ce qu’il disait était juste, mais en revanche il n’a rien fait. Pour qu’un pays sorte de la liste grise des paradis fiscaux publié par l’OCDE- pipeau absolu- il suffit qu’un pays signe un accord avec 12 pays, dont des paradis fiscaux…
On estime, aujourd’hui, qu’il y a 15 à 20% de l’épargne mondiale qui est niché dans les paradis fiscaux. La fin de ces pratiques passe par la fin de la libre circulation des capitaux, dogme qui ne nous a apporté que des crises financières et qui est une bénédiction pour l’argent sale.
Quel regard portez-vous sur l’accord intersyndical et patronal intervenu en janvier sur le marché du travail, et plus généralement sur la question du coût du travail, de la compétitivité érigée en grande cause nationale ?
Il faut être équilibré. Il y a quelques points dans cet accord qui ont du sens. Néanmoins, la logique fondamentale derrière, c’est la logique de régression sociale. Tout le monde saute sur sa chaise comme un cabri en disant « compétitivité, compétitivité, compétitivité », c’est devenu l’alpha et l’oméga de toutes les politiques alors que c’est délétère.
La réalité, c’est qu’au nom de la lutte contre le chômage, on va baisser les salaires. Aujourd’hui, des usines ne ferment pas parce que les salariés acceptent des baisses de salaires de 10-15%, logique mortifère.
Tout d’abord, la lutte pour la compétitivité est sans fin au vu des différentiels de coûts salariaux avec les pays de l’est, il va falloir un paquet d’ajustements avant d’être compétitif avec les roumains ou les bulgares. Puis, quand on diminue les salaires, on diminue la demande et on diminue le PIB. C’est la même logique adoptée dans les autres pays européens, dénoncée par les Prix Nobel Krugman et Stiglitz.
J’entendais L. Parisot qui disait que la France doit faire des efforts de compétitivité chaque année. Mais si les salaires baissent de 2% par an, les usines et magasins vont continuer à fermer, le PIB se rétracter, le chômage continuer à grimper et les comptes publics, marqués par une austérité permanente, ne s’amélioreront pas sous l’effet de la baisse des rentrées fiscales.
Quand on voit que le Monde parle de travail cher, est-ce à dire qu’il faut baisser le SMIC en France ? Cette logique de moins-disant social et salarial est complètement délirante. Même des patrons, comme H. Ford, avaient identifié que les hausses de salaires étaient un allié puissant pour ses ventes de voitures.
En revanche, améliorer le droit social, le simplifier, le rendre plus juste, oui.
Au vu du bilan économique alarmant de la France, d’une croissance stagnante depuis 1 an et demi, de chômage record et d’une prévision de faillites d’entreprises pour 2013 elles aussi battant des records, quelle est la bonne marche à suivre en direction de l’aide aux PME ?
Plusieurs choses. Il faut simplifier la vie des PME. Aujourd’hui, on a les mêmes règles pour les grands groupes et les PME, ce qui ne va pas, puisque celles-ci ne peuvent pas avoir une armée de juristes pour les aider dans ces démarches.
On a trop de lois taille unique et il faut davantage adapter le droit au regard de la taille des entreprises. Le droit du travail est beaucoup trop complexe, depuis 30 ans, pour les PME. Je souhaiterais donc qu’il y ait un ministre de la simplification administrative alors qu’aujourd’hui le boulot de ministre de l’Economie justifie cette complexité du droit.
Paradoxalement, pour réduire tout cela, il faut créer un ministère de plus qui se chargerait de réduire les différentes normes avec des objectifs précis de réduction dans le temps.
De la même manière qu’on a déréglementé le système financier, il faut déréglementer dans ces domaines ?
Il ne s’agit pas de déréglementation mais de simplification ici. Il y a deux mouvements qui sont contradictoires : on déréglemente tout en complexifiant. D’un point de vue macroéconomique, on déréglemente avec la liberté de circulation des capitaux, des biens, des personnes. Et d’un point de vue microéconomique, on reréglemente.
Donc, en gros, on est néolibéraux au niveau macro et trop bureaucratique au niveau micro. Il faut donc inverser la logique : être plus interventionniste d’un point de vue cadre global et alléger les normes du point de vue de la PME.
Aujourd’hui, chaque ministre passe, rajoute ses projets de loi et personne ne se dit « avant de créer une nouvelle page de droit, j’en supprime deux ». Le code des impôts par exemple crée des niches dans tous les sens, Piketty avait démontré que plus on gagne moins on paye d’impôts sous le jeu de l’optimisation fiscale, pour ce qui est des grandes fortunes ou des multinationales.
Alors, il faut être honnête, j’ai crée mon entreprise, j’ai bien vu qu’il y avait des choses qui s’étaient améliorées, sur la TVA, la suppression de la taxe professionnelle, les guichets uniques, etc.
Donc simplifions les impôts en en fusionnant certains, simplifions les bulletins de paie car sinon cela pénalise disproportionnellement les PME au profit du CAC et ce n’est pas juste. Il faudrait un projet de loi équivalant au Small Business Act aux Etats-Unis pour aider les PME. Il faut réassurer l’accès au crédit avec une réadaptation des règles financières. Puis, revoyons la fiscalité qui pèse sur le travail où on aboutit à la situation selon laquelle le coût du travail brut est élevé et le salaire net à l’arrivée est faible.
Quelles leçons tirez-vous de la pratique gaulliste au pouvoir en matière économique ?
Le général de Gaulle avait compris que le capitalisme devait être au service des Hommes, « la seule querelle qui vaille ». Aujourd’hui, on a complètement inversé la logique : ce sont les Hommes qui doivent s’adapter à l’économie. On ne se rend pas compte philosophiquement de la monstruosité de notre société.
Dans plusieurs décennies, quand on aura changé de système, on portera un regard étonné en se disant « comment on a pu accepter ça ? ». De Gaulle avait conscience des carences du système capitaliste, quand on relit ses écrits, on voit qu’il était extraordinairement critique envers ce système. Il avait une phrase : « laisser faire le laissez-passer, cela ne produit que des rudes secousses et une somme énorme d’injustices ».
C’est extraordinairement actuel. Il avait tiré les leçons des années 30 et c’est ce qu’on voit aujourd’hui. Le laisser-fairisme conduit à beaucoup d’inégalités et de crises mais je pense que l’économie de marché peut très bien fonctionner à partir du moment où elle est régit par un cadre dans lequel l’Etat dirige l’économie dans le sens de l’intérêt général. A travers notamment des politiques à 10, 20, 30 ans, impulser des politiques industrielles, d’indépendance énergétique.
Après, il y a eu tous les projets de participation qui n’ont pas pu être totalement mis en œuvre. Là-dessus, il convient de travailler : faire en sorte d’associer davantage les travailleurs au processus de l’entreprise.
Il avait également vu les faiblesses du dollar et s’était prémunis contre une éventuelle crise en rapatriant le stock d’or national. Aujourd’hui, il y a également une frénésie sur l’or, valeur refuge de référence, qui est peut-être le signal que l’économie va mal ?
Oui, cela rejoint sa résistance à l’impérialisme états-unien.
Dernière question, comment s’articulerait la politique économique après la décentralisation quand les collectivités locales pèsent 70% de l’investissement public ?
Déjà, il faut simplifier. Il faut supprimer un échelon administratif parmi ce mille-feuille local. On pourrait imaginer que les conseillers généraux siègent 1 semaine par mois dans une assemblée régionale pour coordonner leurs efforts à l’échelle de la région pour des projets qui touchent plusieurs départements.
L’idée du conseiller territorial, avancée par N. Sarkozy, est aberrante puisqu’il conserve les deux échelons. Je pense qu’il faut revoir la responsabilité des collectivités. L’argent qu’elles dépensent, un quart en moyenne, provient des transferts de l’Etat. C’est-à-dire qu’elles prennent le crédit pour les dépenses mais elles ne sont pas totalement responsables pour les recettes qu’elles reçoivent. Donc c’est un régime irresponsable.
Il faut donc soit rapatrier une partie des compétences des collectivités locales au profit de l’Etat central qui se charge des dépenses, idée que je privilégie, soit donner aux régions davantage de pouvoirs pour lever l’impôt et ainsi être plus responsables de leurs dépenses, solution qui me plait moins.
Plus globalement, est-ce que c’était une bonne chose de décentraliser autant ? Dans certains cas oui, pour d’autres non. Personnellement, je pense qu’il ne faudra pas hésiter à reprendre le contrôle de cette décentralisation anarchique qui a crée des potentats locaux qui distribuent un peu l’argent de manière électoraliste et peu responsable. On voit dans certaines collectivités des augmentations de la fonction publique territoriale aberrante, des dépenses de communication trop importantes, etc.


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