Le déni est un mécanisme de défense particulièrement répandu en politique, où l’adversité est la règle, mais la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, constitue un cas particulièrement fascinant. Alors que la loi sur la neutralité religieuse de l’État est décriée de toutes parts, elle a déclaré le plus sérieusement du monde : « Il n’y a pas de controverse. »
Mme Vallée avait déjà donné un aperçu de sa propension à s’embrouiller dans ses explications quand elle avait été incapable de définir le mariage. D’une journée à l’autre, ses tentatives de clarifier l’application de la règle du « visage découvert » dans les services publics augmentent la confusion, y compris parmi les députés libéraux.
Dès le départ, elle en a laissé plusieurs perplexes avec sa distinction entre le « moment d’interaction directe » entre un chauffeur d’autobus et un usager du transport en commun, qui nécessite d’avoir le visage découvert, et la « durée de la prestation de service », alors que ce n’est plus requis.
La confusion s’est ensuite transportée dans les salles de cours des cégeps et des universités. Mme Vallée a expliqué que durant un cours proprement dit, où intervient un épisode de « communication », le visage devra être découvert, mais que ce ne sera pas obligatoire durant une simple conférence. Pourtant, un échange peut survenir dans les deux cas.
La situation s’est compliquée un peu plus quand la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, est venue contredire sa collègue. Une étudiante portant le voile devrait se découvrir le visage pour avoir accès à la bibliothèque ou se présenter à un examen, mais pas nécessairement pour assister à un cours.
Il s’agit d’une question « très, très complexe », car il y a « mille et une façons »d’appliquer la loi, a expliqué Mme David. Un peu plus tôt, à l’Assemblée nationale, le premier ministre Couillard avait pourtant déclaré : « Elle n’est pas complexe, la loi. »Le commun des mortels peut difficilement en juger puisque, curieusement, le texte est introuvable sur le site de l’Assemblée nationale.
La ministre de la Justice a eu beau évoquer la possibilité de demander une injonction pour forcer la main aux récalcitrants, le maire Coderre n’en démord pas : « Moi, dans la métropole, les citoyens pourront avoir des interactions avec les services municipaux à visage couvert. Point à la ligne. »
M. Couillard répète à qui veut l’entendre que la loi va s’appliquer, mais que les lignes directrices qui encadreront les demandes d’accommodement religieux ne seront pas rendues publiques avant plusieurs mois. Sans connaître ces balises, comment la loi pourrait-elle être appliquée ?
On peut facilement comprendre que le gouvernement n’ait aucune envie d’entrer en conflit avec le monde municipal ou la communauté universitaire, mais il y a toujours un danger à adopter une loi sans avoir l’assurance qu’on pourra la faire appliquer. Si ceux qui en ont la responsabilité ne l’assument pas, d’autres pourraient décider de s’en charger, que ce soit dans le métro ou dans une salle de cours. Des dérapages qui provoqueraient une nouvelle crise des accommodements raisonnables sont la dernière chose dont le gouvernement a besoin.
Tout en précisant bien qu’« on n’est pas encore là », la ministre de la Justice a indiqué pour la première fois que le recours à la clause dérogatoire pourrait être une possibilité à envisager dans l’éventualité où la loi 62 était déclarée incompatible avec les chartes québécoise et canadienne des droits de la personne.
En réalité, personne ne peut penser un seul instant que M. Couillard pourrait s’y résigner un jour, mais renoncer d’entrée de jeu à ce qui pourrait être le seul moyen pour le Québec de définir lui-même les règles du jeu en matière de laïcité, ou simplement de vivre-ensemble, serait très mal avisé.
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