Business is business

Crise linguistique au Québec 2012



Il y a des institutions qui, au-delà de leur fonction, ont valeur de symbole pour un peuple. L'école des hautes études commerciales, ou HEC, en fait partie.
HEC est le berceau du nationalisme économique canadien-français, puis québécois. C'est là que les Esdras Minville, Lionel Groulx, François-Albert Angers, Jacques Parizeau se sont employés à convaincre des générations d'étudiants qu'ils n'étaient pas nécessairement «nés pour un petit pain» et que les affaires pouvaient très bien se conjuguer en français.
Cela n'empêchera pas HEC d'ajouter à compter de septembre prochain un nouveau programme de maîtrise uniquement en anglais, qui vient s'ajouter au MBA déjà offert dans la langue de Shakespeare.
«Ça risque d'attirer plus d'étudiants étrangers. Il y a beaucoup de demandes venant de la Chine et de l'Inde. Ce n'est pas inintéressant, ça crée une belle diversité à l'intérieur de l'école», a expliqué la directrice des communications, Kathleen Grant, dans une entrevue au Devoir. Ah, la diversité!
Mme Grant ne voit aucun problème à ce qu'un étudiant puisse décrocher un diplôme de HEC sans avoir suivi un seul cours en français. «Ces étudiants-là n'échappent pas complètement au français. Ils vont à la cafétéria manger du pâté chinois, et non du chinese paté.» Voilà en effet qui est rassurant.
Il n'y a pas que l'Asie. Des étudiants venant de pays francophones vont certainement sauter sur l'occasion. On a déploré qu'ils profitent d'un rabais sur les droits de scolarité pour s'inscrire à McGill ou à Concordia. Les Français, qui constituent déjà la majorité des étudiants inscrits à HEC, pourront donc cultiver leur anglais dans un établissement «pure laine» tout en se délectant de pâté chinois et même d'une poutine à l'occasion.
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Sérieusement, pourquoi des étudiants étrangers désireux de se plonger dans l'univers anglo-saxon se contenteraient-ils d'une pâle imitation? Les meilleurs choisiront toujours l'original. Il faudrait se contenter des laissés-pour-compte? Pourquoi ne pas tabler sur ce qu'aucun autre établissement ne peut offrir: le savoir-faire nord-américain en français?
Un baccalauréat uniquement en anglais n'est pas encore offert, mais Rome ne s'est pas fait en un jour. Dès l'automne prochain, il sera possible de s'inscrire à un programme de premier cycle bilingue à HEC. Avec cinq cohortes d'étudiants, on ne parle pas d'un projet-pilote.
Le message est clair: l'anglais pour les cracks, les futurs boss, le français pour les ploucs. Comment peut-on penser convaincre les immigrants qu'ils ont avantage à s'intégrer à la majorité francophone alors qu'on leur fait aussi clairement la démonstration du contraire?
Les étudiants étrangers ne seront certainement pas les seuls à convoiter ce passeport pour la fortune. Bon nombre de Québécois francophones sauteront aussi sur l'occasion. Déjà, ils créent des embouteillages dans les cégeps anglais.
Il faudrait être un peu cohérent. On ne peut pas monter aux barricades parce que l'anglais est omniprésent dans des institutions comme la Caisse de dépôt ou la Banque Nationale et favoriser sciemment sa pénétration.
Tant qu'à y être, pourquoi se limiter à HEC? Si l'anglais est la langue des affaires, n'est-il pas aussi celle de la communication scientifique? Ne faudrait-il pas créer des programmes en anglais dans les facultés de médecine, de génie, etc.? Imaginez tous ces étudiants chinois et indiens qui viendraient partout enrichir notre diversité!
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«Nos universités devraient être au service d'un marché du travail en français et en faire la promotion», a commenté le président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, déçu, mais nullement surpris de l'orientation prise par HEC.
Le problème est que le marché en question semble être de moins en moins français. La Presse rapportait cette semaine qu'une soixantaine de grosses entreprises bénéficient d'une entente spéciale qui leur permet de se soustraire aux dispositions de Charte de la langue française. Elles pourront compter sur HEC pour les approvisionner en cadres capables de fonctionner en anglais.
Assez curieusement, personne dans le milieu politique n'a semblé s'émouvoir de cette anglicisation progressive d'une institution aussi importante dans le développement économique et intellectuel du Québec moderne. De la part du gouvernement Charest, cela n'étonne guère, mais le silence du PQ laisse perplexe. Encore que...
Déjà, Pauline Marois, elle-même diplômée de HEC, tout comme François Legault, a longuement hésité avant de s'engager à étendre la loi 101 aux cégeps. C'est bien beau l'identité, mais il y a des limites à la ringardise, n'est-ce pas? Après tout, business is business.
Esdras Minville, qui allait bientôt devenir le premier directeur canadien-français de HEC, après deux Belges, écrivait en 1930: «Rester fidèles à nous-mêmes dans un milieu modifié par le cours des événements; assurer la fructification totale du patrimoine reçu du passé; recueillir nos hérédités ethniques et psychologiques, les cultiver, les affiner; nous épanouir et non pas nous replier; nous adapter et non pas nous abandonner, tel est donc le devoir que l'histoire nous impose.» Yes, of course.


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