Bastarache n'élargira pas le mandat de la commission

Jean Charest réclame 700 000$ à Marc Bellemare

L'affaire Bellemare - la crise politique

La nomination de Michel Bastarache et la création de la commission n’ont pas calmé les oppositions qui ont dénoncé vertement le geste du gouvernement.
Photo : La Presse canadienne (photo)

Québec — Michel Bastarache écarte toute possibilité d'élargir le mandat de la commission d'enquête sur la nomination des juges créée par le premier ministre Charest à la suite des allégations de l'ancien ministre Marc Bellemare.
Absent de la conférence de presse où sa nomination a été annoncée, l'ancien juge de la Cour suprême a soutenu, lors d'une entrevue téléphonique avec Le Devoir, que ceux qui souhaiteraient «un autre mandat, une commission plus large, ne doivent pas s'adresser à moi, mais au premier ministre».
En même temps, il dit refuser d'être «trop restreint par son mandat» puisque les audiences d'une commission sont toujours imprévisibles: «On peut avoir toutes sortes d'informations qu'on ne soupçonnait pas», note-t-il. Aussi, il soutient vouloir aller «au fond des choses». «Mais je ne vais pas élargir ça à la caisse électorale du Parti libéral ou à l'industrie de la construction et son influence particulière sur l'action gouvernementale, c'est sûr.»
L'ancien juge insiste: «La question la plus importante est celle-ci: est-ce qu'il y a vraiment des gens qui financent le Parti libéral et qui ont une porte ouverte pour influencer la nomination des juges? Et il faut vider la question rapidement parce que c'est une question qui met en cause le système démocratique de façon fondamentale.»
À peine nommé, Michel Bastarache doute-t-il de pouvoir terminer son mandat comme prévu le 15 octobre, date inscrite au décret? La chose reste incertaine, a-t-il confié, car lorsqu'il a accepté le mandat, M. Bastarache croyait qu'il était encore plus étroit: «Au départ, lorsque j'ai accepté, je pensais qu'on ne parlait que de la Cour du Québec: là je réalise qu'on parle aussi [des nominations au] Tribunal administratif du Québec et aux cours municipales: et je ne sais pas exactement comment ça va compliquer les choses, élargir le nombre de témoins.»
La candidature de M. Bastarache a été présentée au Conseil des ministres hier midi, jour même du septième anniversaire de l'accession de M. Charest au poste de premier ministre.
C'est le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, et non la ministre de la Justice, Kathleen Weil, qui a contacté M. Bastarache. «Je le connaissais», a expliqué M. Dupuis.
Charest réclame 700 000 $
Par ailleurs, l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, par qui l'affaire a éclaté, s'est rendu hier à la Sûreté du Québec pour faire une déposition en bonne et due forme, selon ce que Radio-Canada a rapporté.
Il ne s'est donc nullement rétracté avant 16h, comme lui intimait de le faire le premier ministre dans la mise en demeure qu'il lui avait fait parvenir mardi soir. Si bien qu'André Ryan, l'avocat du premier ministre, a enclenché la poursuite judiciaire, hier en fin d'après-midi. Dans celle-ci, le premier ministre soutient que les propos de M. Bellemare sont «faux, mensongers et diffamatoires». M. Charest affirme agir «en toute liberté de conscience» et ne pas subir «d'influences indues dans l'exercice de ses fonctions». Il nie aussi que M. Bellemare lui ait exprimé un «malaise», ou un «inconfort» ou un «sentiment de désapprobation» relativement à un supposé trafic d'influence relatif à la nomination des juges à l'automne 2003, au printemps 2004 ou «à toute autre date». Selon la poursuite, M. Bellemare a tenu ses propos «dans le seul but intentionnel et caractérisé de nuire à la réputation et à la crédibilité du demandeur». Arguant le «préjudice moral extrêmement important», M. Charest réclame 700 000 $; 350 000 $ à titre de dommages et intérêts et 350 000 $ à titre de dommages punitifs.
L'opposition en furie
La nomination de M. Bastarache et la création de la commission n'ont pas calmé les partis d'opposition, qui ont dénoncé vertement le geste du gouvernement. Le leader parlementaire péquiste, Stéphane Bédard, s'abstenant de faire quelque commentaire que ce soit sur la personne du commissaire, a parlé d'une «crise sans précédent» des institutions québécoises. À ses yeux, le premier ministre n'a simplement plus «l'autorité morale ni la légitimité pour refuser la vérité aux Québécois» d'obtenir une commission d'enquête élargie. En matinée, la chef du PQ avait soutenu en Chambre que le premier ministre était comme un accusé qui allait nommer son juge: «Cette fois-ci, ça veut dire qu'au lieu d'appeler le juge, il va le nommer», faisant référence à une gaffe de M. Charest commise au début de sa carrière.
Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, a été plus virulent encore, demandant que le premier ministre arrête de «prendre les Québécois pour des imbéciles». À ses yeux, le mandat est beaucoup trop restreint. «C'est une enquête bidon, c'est une enquête sans mordant, c'est une enquête couvercle», a-t-il pesté. M. Bastarache est avocat-conseil chez Heinan Blaikie depuis qu'il a pris sa retraite de la Cour suprême en juin 2008, a-t-il souligné, «une firme d'avocats excessivement importante au Québec qui jouit d'importants contrats gouvernementaux, qui fait affaire [...] avec le gouvernement du Québec». Le président d'une autre commission d'enquête instituée par Jean Charest était aussi de chez Heinan Blaikie, Pierre-Marc Johnson.
Nomination partisane?
Par ailleurs, lors du référendum de Charlottetown, en 1992, Michel Bastarache a coprésidé le comité du «Oui». Il est aussi un des juges qui a rédigé le renvoi sur la souveraineté du Québec de 1998.
En 1997, lorsqu'il a été nommé à la Cour suprême par Jean Chrétien, l'opposition avait crié à la «nomination politique». Les réformistes avaient accusé M. Chrétien d'avoir «récompensé un ami politique». Les réformistes soutenaient que le chef libéral avait placé le tribunal «dans une situation de conflit d'intérêts», puisque MM. Chrétien et Bastarache s'étaient connus au cabinet juridique Lang & Michener. M. Chrétien avait répondu qu'il n'avait jamais été un associé du cabinet.
Compte tenu du bruit qu'avait fait sa nomination en 1997, M. Bastarache a admis que son accession à la présidence d'une commission sur le processus de nomination des juges pouvait sembler paradoxale. «Mais je crois que la Cour suprême du Canada, c'est toujours un cas très particulier», a-t-il nuancé. Dans toutes les provinces, il y a aujourd'hui un «système très élaboré» pour protéger le gouvernement contre les accusations d'intervention politique, a-t-il noté. À ses yeux, «il s'agit que ce pouvoir discrétionnaire se fasse dans un cadre juridique qui est acceptable et que les nominations portent sur des candidatures qui ont déjà été approuvées et qui ont la compétence voulue. Mais dans le fond, dans un système démocratique, il y a toujours une nomination qui est faite par un politique, à la fin».


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