Le hockey est connu à travers le monde comme un domaine où excellent les Québécois. C'est un peu comme le soccer en France ou le rugby en Nouvelle-Zélande. Il est d'ailleurs courant de citer ces sports afin d'inciter la jeunesse à se dépasser.
On apprenait la semaine dernière que les Canadiens de Montréal avaient produit à l'aide d'une généreuse subvention du ministère de l'Éducation une série de cahiers pédagogiques à l'intention des écoles primaires du Québec. Plusieurs se sont offusqués avec raison que le ministère consacre 250 000 $ à des documents qui, sous prétexte de pédagogie, font la publicité d'un club de hockey. L'initiative est l'oeuvre d'une société de Toronto, Paton Publishing, qui a fait son beurre en produisant de tels cahiers d'exercices pour les Blue Jays et les Maple Leaf, de Toronto, ainsi que les Oilers d'Edmonton. Ces équipes ont découvert ainsi une façon de pénétrer dans les classes par la porte de derrière.
Certains se seront malgré tout consolés en se disant que cette opération douteuse servait au moins à aider les élèves à apprendre à compter et à améliorer leur français. Ceux-là n'ont malheureusement rien lu de ces supposés cahiers pédagogiques. La lecture de ces documents diffusés à des milliers d'exemplaires démontre plutôt leur médiocrité. Ils contiennent non seulement des erreurs flagrantes, mais le français dans lequel ils sont rédigés est souvent digne d'Elvis Gratton tant il est truffé d'anglicismes, d'impropriétés et d'autres fautes. La langue utilisée est parfois si bâtarde que certaines phrases sont incompréhensibles. Au lieu de cahiers «pédagogiques», on serait justifié de parler de mauvais brouillons rédigés par des analphabètes. Et je pèse mes mots.
Au-delà des considérations commerciales, c'est là que se cache le vrai scandale. Qu'on en juge sur pièces. Le texte offert aux petits francophones apparaît comme un calque de l'anglais où le français n'est plus qu'un créole confus et sans âme. Nos pédagogues patentés alignent en effet les anglicismes comme d'autres comptent des buts. Ainsi, dit-on à l'un de ces malheureux élèves qu'un joueur des Canadiens «pourrait l'aider avec ses devoirs» (help you with) au lieu de l'aider à faire ses devoirs. Partout le mot «légende» est utilisé dans l'une de ses acceptions anglaises (legend), pour désigner un héros, et non pas dans le sens français d'un récit mythique. Dans le même ordre d'idées, l'élève est invité à «apporter ces activités pédagogiques à la maison» (bring home) au lieu de les ramener. On se croirait dans la célèbre parodie des défunts Cyniques qui commentaient la bataille des plaines d'Abraham en «bilingue».
Les formulations alambiquées ne manquent pas. On invite ainsi les élèves à «suggérer des conseils», au lieu de faire des suggestions, sans même saisir le ridicule d'un tel truisme. L'élève pourra méditer longtemps sur le sens profond des mots lorsqu'il découvrira que la saison 1976-77 a été «la meilleure saison à vie de l'histoire»! Pourquoi respecterait-on la concordance des temps si essentielle en français? Dans une lettre aux parents, les auteurs indiquent que les élèves «pourront participer à une partie de hockey où ils doivent [devront] mettre leurs connaissances à l'épreuve».
Passons sur l'insignifiance des mises en situation. Passons sur les répétitions qui témoignent de la pauvreté chronique du vocabulaire. Ne faisons pas trop de cas de la mauvaise traduction, probablement glanée dans Internet, d'une citation d'Einstein où «stay with the problem» est traduit par «rester avec le problème» au lieu de «persévérer» à lui chercher une solution. Oublions l'absence de style et la musique de la langue, qui est anglaise du début à la fin.
Non contents de massacrer le français, les auteurs de ces cahiers commettent des erreurs dignes des moins doués de leurs élèves. En mathématiques, ils confondent les chiffres et les nombres. On apprend aux élèves que 18 est un chiffre alors que c'est un nombre dans tous les manuels du monde. En français, cette erreur reviendrait à confondre les lettres et les mots. Saviez-vous que le beurre d'arachide était une viande? Dans un tableau, il est classé dans la colonne intitulée «viande» comme la banane est dans celle des «fruits et légumes». Il faut deviner que la viande désigne ici les protéines. Les auteurs affirment que l'anglais et l'allemand sont tous deux issus du saxon alors qu'il serait plus juste de dire qu'ils viennent du germain comme on l'apprend dans les encyclopédies sérieuses. Ailleurs, on confond même le participe passé avec le passé composé.
Une telle production donne raison à ceux qui pensent qu'il faut se dépêcher d'apprendre l'anglais puisqu'il est même devenu indispensable pour comprendre les exercices de... français! Faut-il que l'école soit considérée comme une poubelle pour qu'on y déverse de telles âneries et qu'on ose les financer à même les deniers publics. Qui osera réclamer que les Canadiens remboursent l'État?
«Et voilà pourquoi votre fille est muette!» C'est ce qu'on aurait le goût de dire aux analphabètes qui ont conçu ces cahiers. Mais on doute qu'ils saisissent l'ironie de Molière.
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crioux@ledevoir.com
Au temple de la médiocrité
Qui osera réclamer que les Canadiens remboursent l'État?
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