Attentat de Québec: Alexandre Bissonnette disait vouloir sauver des vies d'attaques terroristes

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Bissonnette : un individu extrêmement fragile sous médication en état de dépression chronique

Alexandre Bissonnette voulait sauver des vies, et protéger sa famille d'attaques terroristes. Voilà ce qu'il a dit avoir eu en tête le soir du 29 janvier 2017 lorsqu'il s'est présenté à la mosquée de Québec, où il a ouvert le feu, abattant six hommes de confession musulmane.


Il a fait cette déclaration au policier qui l'a interrogé pendant plus de trois heures au lendemain de la tuerie qui a aussi fait plusieurs blessés.


Dans un interrogatoire filmé, présenté au juge en bonne partie vendredi, le jeune homme a confié à l'enquêteur Steve Girard de la Sûreté du Québec (SQ) qu'il n'avait rien fait de mal.


Il n'est ni un monstre, ni un terroriste, articule-t-il.


Dans sa tête, il pensait sauver des vies.


Cet interrogatoire permet d'entrevoir un peu ce qui a pu se passer dans le cerveau d'Alexandre Bissonnette le soir de l'attentat. Mais il laisse aussi beaucoup de questions sans réponse.


Si l'enquêteur Steve Girard de la Sûreté du Québec le guide avec tact et douceur à travers un interrogatoire laborieux, lors duquel le jeune homme pleure, se remue sur sa chaise avec fébrilité et semble paniqué par moments, il cherche aussi à mettre le doigt sur un élément déclencheur qui aurait pu le mener à poser ces gestes.


"C'est sûr, c'est des attentats terroristes qui tuaient plein de monde qui m'ont fait penser à ça, tsé". Il cite d'abord celui au parlement d'Ottawa en 2014, puis l'attaque au camion à Nice en 2016, qui a fait plus de 80 morts.


Ces attentats ont fait germer dans sa tête l'idée de "faire quelque chose".


Il nomme alors une série de pays où des attaques terroristes ont eu lieu. "Ça va venir ici", explique-t-il.


"Je voyais ça pis, ils vont tuer mes parents, pis ma famille, pis moi aussi. J'étais sûr de ça. Il fallait que je fasse quelque chose", dit-il.


"Mais c'est quelque chose qui me torturait (...) Ça fait des mois que ça me torture. À chaque jour, je suis inquiet, anxieux à travers le plafond. Je ne sais plus quoi faire. Je veux me suicider à cause de ça", a-t-il dit, alors qu'il se trouve habillé d'une combinaison blanche de prisonnier dans une salle dénudée, typique pour ce genre d'interrogatoire.


"Je le rationalise comme ça, tsé", dit-il, alors qu'il est plus calme.


Un bulletin de nouvelles télévisé le jour de l'attentat semble aussi avoir allumé la mèche.


Le gouvernement canadien annonçait alors avoir l'intention d'accepter plus de réfugiés.


À ce moment, Bissonnette dit avoir "perdu la carte". Il admet aussi avoir bu de l'alcool ce jour-là. On ignore la quantité.


L'enquêteur Girard pousse et cherche à savoir pourquoi il a visé une mosquée.


Plutôt que de s'enlever la vie "seul dans le bois" ou dans sa chambre, il s'est dit que grâce à ses actions, il va "peut-être y avoir une centaine de personnes qui vont être sauvées", "peut-être 200, peut-être 300", précise-t-il plus tard.


Et faire un peu de bien, ajoute-t-il.


A-t-il honte? Demande le policier pendant l'interrogatoire.


"C'est pas mal pantoute ce que j'ai fait", proteste-t-il. Mais plus tard, il se contredira, comme à plusieurs reprises lors de l'interrogatoire, parfois insoutenable. Il admet alors qu'il a honte de ce qu'il a fait.


Un grand malaise se dégage du jeune homme. Il respire fort, essuie ses yeux et pleure à répétition. Ses phrases sont entrecoupées par son souffle haletant.


Il affirme ne pas avoir eu de problèmes avec des musulmans à l'Université Laval où il étudiait. Mais il y en a beaucoup, précise-t-il, une situation qui le stressait, car "on sait jamais ce qui va se passer".


Alors que Bissonnette se referme sur lui-même et ne veut plus parler, l'enquêteur Steve Girard s'enquiert de quoi il veut discuter.


Il demande alors d'une petite voix si des enfants ont été touchés.


C'est important, souffle-t-il.


Poli tout au long de l'interrogatoire, il remerciera alors le policier de lui avoir donné cette information qui le rassure.


Semblant toujours inquiet pour sa famille, il demande à plusieurs reprises lors de ces trois longues heures si elle est en danger.


Souvent, il répond ne pas se souvenir de ce qu'il a fait à la mosquée. Il dira avoir tiré 10 balles alors que 48 douilles ont été retrouvées. Il rapporte que la salle de prière était vide, puis, qu'il y avait des gens au fond. Qu'il ne se souvient pas qu'un homme ait tenté de l'arrêter. Il a demandé s'il a réussi. Cet homme, Azzeddine Soufiane, est mort de blessures par balles.


Cet interrogatoire policier a été présenté comme élément de preuve par la Couronne dans le cadre des audiences sur la détermination de la peine d'Alexandre Bissonnette.


Celui-ci a plaidé coupable à six chefs de meurtres au premier degré et à six tentatives de meurtre. Il est passible de 150 ans de prison.


Alors que plusieurs pensaient que le jeune homme serait accusé de terrorisme, ce chef ne fut finalement pas déposé contre lui. Le ministère public n'a pas expliqué cette décision.


Son état mental


Alexandre Bissonnette a aussi expliqué au policier qu'il se débattait avec des problèmes d'anxiété et de dépression depuis l'adolescence, laissant même entendre qu'il a voulu se suicider à l'âge de 16 ans.


Mais il avait consulté peu de temps avant le carnage de la mosquée. Un médecin lui a prescrit des antidépresseurs qui ne fonctionnaient pas bien, dit-il: "j'étais pas si mieux que ça".


Cela faisait des mois qu'il n'allait pas bien : "des mois, des mois, des mois", répète-t-il, la voix nouée.


"Pis je sais plus quoi faire là", sanglote-t-il.


Sa médication avait été changée au début janvier. Du Paxil, qui a fait une différence selon ses dires.


À 16 ans, il avait demandé de l'aide. Il a été exempté d'une session à l'école secondaire, et pris des médicaments. Mais il a cessé de les prendre, raconte-t-il, d'une voix incertaine.


"J'aurais dû me suicider à 16 ans", a-t-il laissé tomber.


Les observations sur la peine se poursuivent lundi au palais de justice de Québec.