Allocution de M. Jean Charest, premier ministre, le vendredi 17 octobre 2008

France-Québec : fin du "ni-ni"?

M. Charest: M. le président de la République; M. le lieutenant-gouverneur; Mme la première vice-présidente de l'Assemblée nationale; M. le chef de l'opposition officielle, M. Mario Dumont; Mme la chef de la deuxième opposition, Mme Pauline Marois; MM. les doyens de l'Assemblée nationale du Québec, M. François Gendron, M. Yvon Vallières; membres de l'Assemblée nationale du Québec; distingués invités. L'événement qui nous réunit aujourd'hui est historique: le président de la République française prend la parole devant les élus du peuple québécois. Pour l'occasion, nous accueillons, sur le parquet de cette Assemblée, trois de mes prédécesseurs qui ont assumé la conduite de notre nation. Nous honorent, aujourd'hui, de leur présence le premier ministre Bernard Landry, le premier ministre Lucien Bouchard et le premier ministre Pierre Marc Johnson.
Je salue aussi l'actuel secrétaire général du gouvernement et trois de ses prédécesseurs: M. Gérard Bibeau, M. André Dicaire, M. Louis Bernard et M. Roch Bolduc. Ces premiers grands serviteurs de l'État témoignent de la permanence, de la stabilité et de la pérennité de nos institutions.
La visite du président de la République française s'inscrit dans les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec par l'explorateur Samuel de Champlain. Je salue donc le maire de Québec, M. Régis Labeaume et un de ses prédécesseurs, M. Gilles Lamontagne. Et j'ai aussi à ce moment une pensée toute particulière pour un ami absent, absent de notre Assemblée, notre collègue ministre et député de Kamouraska-Témiscouata, M. Claude Béchard.
M. le président de la République, votre visite est forte en symboles. Tout comme ce lieu où nous nous trouvons, ce Parlement porte le double héritage de la nation québécoise. Derrière ces murs inspirés du Second Empire français se tiennent, dans la langue de Molière, des débats vigoureux selon les règles du parlementarisme britannique.
L'architecte artiste qui a conçu les plans de ce parlement, Eugène-Étienne Taché, a inscrit dans la pierre de cet édifice la devise Je me souviens, faisant ainsi allusion aux deux héritages, français et britannique, qui constituent le Québec.
Dans quelques minutes, nous serons dans la salle du Conseil législatif, que nous appelons, nous, le salon rouge. Je vous invite et je vous inviterais à remarquer l'immense toile au fond de cette salle. Elle est l'oeuvre du peintre Charles Huot et s'intitule Le Conseil souverain. Elle nous ramène à l'époque du régime français. En 1663, Louis XIV avait institué le Conseil souverain de la Nouvelle-France pour assumer les pouvoirs législatifs, judiciaires et administratifs.
Ici, nous sommes dans la salle de notre Assemblée nationale, le salon bleu. L'immense toile derrière moi est aussi une oeuvre de Charles Huot. Elle s'intitule Le débat sur les langues. Elle fait référence à l'un des premiers débats ayant eu lieu dans ce qu'on appelait alors la Chambre d'assemblée du Bas-Canada.
Le 21 janvier 1793, lors de cette séance, il y a donc 215 ans, il fut proposé que les discussions auraient lieu en français autant qu'en anglais, sans préséance pour l'anglais, qui était à cette époque la langue du pouvoir autoritaire. Ce n'est pas d'hier, M. le Président, que l'on se bat ici pour que le français ait droit de cité. Et justement sur cette question de la langue, je dois vous prévenir, M. le Président: aujourd'hui et en ces lieux, c'est vous qui avez un accent.
Mesdames messieurs, le Québec puise en France une part essentielle de son identité. Les aléas, les retours de l'histoire, même un silence de deux siècles n'ont jamais rompu notre lien. Notre mémoire reste ancrée en Poitou-Charentes, en Normandie, en Île-de-France. Elle reste ancrée à La Rochelle, Saint-Malo, Honfleur, Bordeaux et Brouage. Notre histoire est liée. Elle le fut dans un passé lointain, comme dans un passé récent.
Rappelons-nous que, trois siècles après que des fils de France eurent posé le pied au Cap Diamant, des fils du Québec faisaient à deux reprises le chemin à rebours aux côtés des alliés pour libérer la France. Nous sommes unis par le temps, par le coeur et par le sang.
Nous avons fait notre chemin de part et d'autre de l'Atlantique, et ce sont, comme vous le dites, M. le président, deux peuples frères qui se sont retrouvés pour établir, en 1964, une relation diplomatique directe, privilégiée et unique dans le monde. Ce que le général de Gaulle appelait le rameau de France en Amérique est devenu cet arbre qui a poussé à côté de l'arbre français. Cette relation rassemble, en France comme au Québec, tous les partis politiques confondus. Elle rassemble nos nations, elle rassemble nos familles, elle rassemble nos citoyens.
Aux premiers échanges sur les plans de la jeunesse et de l'éducation ont succédé les visites alternées des premiers ministres. Le Québec et la France s'accompagnent maintenant sur tous les plans.
Il allait de soi que la France soit au coeur des célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec. Et je tiens à ce moment à remercier deux grands amis du Québec et anciens premiers ministres de France: M. Jean-Pierre Raffarin, président du comité français du 400e anniversaire de Québec, et M. Alain Juppé, maire de Bordeaux, pour leur appui au rayonnement des fêtes.
C'est la culture qui nourrit avec le plus de bonheur notre relation. Il existe une signature québécoise, mélange d'intelligence, d'audace et de créativité que la France a su accueillir. Et la France à son tour nous enrichit de sa littérature, de son cinéma, de ses avant-gardes comme elle nous a bercés de sa chanson. Nos cultures aujourd'hui se fondent et se mêlent. De Victor Hugo à Félix Leclerc, nous nourrissons à travers nos accents la langue de chez nous.
Nos échanges mobilisent aujourd'hui nos gouvernements, nos entreprises, nos maisons d'enseignement, nos régions et nos citoyens. Cette amitié entre la France et le Québec est le lieu de tous les possibles. Elle ne cesse d'évoluer, d'accumuler les précédents.
En 2004, aux côtés de mon ami le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, nous avons porté, pour la première fois, la Coopération France-Québec hors de nos territoires nationaux, lors d'une mission conjointe au Mexique. En 2006, c'est grâce au leadership de la Francophonie du Canada, du Québec et surtout de la France, que l'UNESCO a adopté une convention protégeant la diversité des expressions culturelles.
Et aujourd'hui le Québec continue de grandir, c'est avec la France qu'il se donnera un nouvel espace. Les descendants de Champlain, qu'ils soient d'Europe ou des Amériques, ont décidé, à leur tour, 400 ans après, de se donner un nouvel espace. Ce nouvel espace prendra la forme d'une entente transatlantique entre l'Europe et le Canada, qui sera négociée grâce au leadership du Québec. Et cette entente doit aller le plus loin possible, plus loin que jamais auparavant, dans la coopération entre deux continents.
Aujourd'hui, la France et le Québec donneront naissance à ce nouvel espace en signant une entente sur la mobilité de nos citoyens. Cette entente nous procure une nouvelle liberté, la liberté d'être reconnus, de travailler, de créer et de pouvoir construire ensemble dans un pays ami. Nous inventons, nous innovons et nous le faisons en français.
Aujourd'hui, la France et le Québec donnent l'exemple. Ici, l'Ancien et le Nouveau Monde, la France et le Québec, empruntent le même chemin. C'est dans cet esprit de collaboration et d'engagement que nous serons ensemble pour le XIIe Sommet de la Francophonie. Et de nouveaux défis se présentent à nous. La Francophonie internationale est un des rares forums Nord-Sud. Elle offre une voie de coopération inédite pour s'attaquer à un des grands enjeux de notre siècle, celui de la lutte contre les changements climatiques. Ce sommet devra aussi engager nos nations dans la promotion de notre langue commune qui, trop souvent, trop facilement, cède le pas devant la langue anglaise.
Cette langue, c'est le sang qui coule dans nos veines. Cette pensée, c'est celle des lumières. Ces mots, ce sont les premiers mots qui ont donné vie aux droits de l'homme. Cette langue est le fondement de notre civilisation. La relation France-Québec plonge ses racines dans le sol de l'histoire. Cette coopération est aujourd'hui un arbre géant dont les fruits sont pour nous une nouvelle source de liberté.
Mesdames messieurs, la présidentielle française a révélé, l'an dernier, une France engagée dans une oeuvre de modernisation et de réforme. Elle a révélé un gouvernement d'ouverture duquel émergent de nouveaux visages, expression de la diversité française. Elle a révélé un homme d'action, un réformateur persévérant et courageux, un homme d'État dont je salue le leadership.
M. le président, c'est un peuple grand et fier qui vous accueille aujourd'hui, dans sa demeure et dans sa langue. Collègues parlementaires, distingués invités, le président de la République française, M. Nicolas Sarkozy.


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