Aide occulte pour le NON

Option Canada aurait dépensé 3,5 millions lors du référendum de 1995

Option Canada

Le journaliste Normand Lester et son collègue Robin Philpot ont lancé un immense pavé dans la mare de la campagne électorale hier en publiant un livre sur les activités d'Option Canada (OC) lors du référendum de 1995, Les Secrets d'Option Canada. On y révèle que l'organisme, issu du Conseil pour l'unité canadienne et financé par Patrimoine Canada à la hauteur de 5,2 millions, a contrevenu aux lois québécoises en assumant des dépenses en pleine période référendaire.
Le journaliste Normand Lester (ci-dessus) et son collègue Robin Philpot ont dévoilé hier les preuves montrant qu'Option Canada a contribué au financement du camp du NON lors de la campagne référendaire de 1995.
Jacques Grenier
Selon une évaluation des auteurs, OC aurait ainsi environ dépensé illégalement 3,5 millions, en plus des cinq millions que le comité du NON était autorisé à utiliser pour la période du 1er au 30 octobre. Ils soulignent cependant qu'il est difficile de déterminer quelles dépenses étaient clairement sous le coup de la loi québécoise sur les consultations populaires.
À la source de ce livre : une boîte récupérée par le journaliste Normand Lester dans les poubelles d'un centre commercial de la Rive-Sud en novembre, contenant la majeure partie des documents comptables de l'organisme, dont 688 chèques émis, de nombreuses factures et le grand livre comptable.
Production d'affiches, publicités, groupes de discussion, sondages, «bénévoles» payés, recherches commanditées, on retrouve dans le livre une description détaillée des dépenses assumées par Option Canada, dont plusieurs alors que la campagne électorale battait son plein et qu'elles auraient dû être assumées par le camp du NON. Option Canada a même payé quelque 100 000 $ pour la soirée du NON du 30 octobre au Métropolis.
«Cela semble être un peu la genèse [du programme des commandites]. On retrouve une partie des mêmes suspects déjà dans Option Canada qui se sont retrouvés dans les commandites», a affirmé Normand Lester. En effet, les noms des firmes BCP, Everest, ou encore de l'organisateur politique Tony Mignacca cités lors de la commission Gomery figurent sur les factures payées par Option Canada.
Les auteurs égratignent sérieusement les libéraux, dont au premier rang Paul Martin lui-même qui avait embauché le président d'Option Canada Claude Dauphin après que The Gazette eut révélé en 1997 l'existence d'Option Canada. «Paul Martin nous a dit vendredi que l'argent avait été dépensé selon les règles. Il se trompe et nous trompe gravement. Cela n'a pas été dépensé selon les règles du gouvernement du Canada. On n'accorde pas une subvention de 5,2 millions pour la dualité linguistique pour la dépenser de façon secrète dans une campagne démocratique», a lancé Robin Philpot, qui réclame une enquête publique du Directeur général des élections du Québec.
Le DGE recevra d'ailleurs une copie des documents contenus dans la mystérieuse boîte, dont les originaux seront transmis à la vérificatrice générale, comme M. Lester l'avait promis à sa source.
Déjà, à la suite des appels des deux auteurs, Patrimoine Canada a pris contact en décembre avec la GRC qui évalue la pertinence de mener une enquête. Au bureau de la vérificatrice générale, on précise que des recherches avaient été amorcées en 1997, à la suite d'une vérification interne au sein de Patrimoine Canada, mais que le manque de documents n'avait pas permis de la conclure. On évaluera à la lumière des nouveaux documents s'il y a matière à l'entreprendre de nouveau, précise la porte-parole Isabelle Serrurier.
Le DGEQ a quant à lui déjà indiqué qu'il mènerait une enquête. Le délai de prescription de cinq ans ne lui permettra toutefois pas d'entreprendre des poursuites.
Outre Paul Martin, les auteurs mettent aussi dans sur la sellette les députés Liza Frulla et Pierre Pettigrew. La première, alors députée au provincial et vice-présidente de la campagne du NON, ne pouvait pas ignorer l'existence d'OC, selon Lester et Philpot, parce que son conjoint André Morrow a adressé des factures totalisant plus 10 000 $ à l'organisme. Pierre Pettigrew se serait quant à lui fait payer 13 674 $ pour agir à titre d'expert-conseil. Il a d'ailleurs signé six textes d'opinion dans La Presse sur les sujets de ces recherches, précisent les auteurs.
Philpot et Lester soutiennent qu'il était difficile d'ignorer les activités d'Option Canada chez les responsables du camp du NON, ciblant ainsi la députée Lucienne Robillard, qui représentait le PLC au comité du NON, Jean Charest qui représentait le Parti conservateur, Liza Frulla (alors vice-présidente de la campagne) et Daniel Johnson qui présidait le comité. «Ils ne peuvent plus plaider l'ignorance», a argué Robin Philpot.
«Il y a eu de la coordination [entre le comité du NON et Option Canada]. Qui décidait d'envoyer les factures au comité du NON ou à Option Canada. C'est pour cela qu'on veut avoir une enquête publique pour forcer les gens à répondre. Nous, on ne peut forcer ces gens-là. On leur téléphone, ils nous raccrochent la ligne au nez», fait valoir M. Lester.
Ce dernier s'est moqué de l'ignorance de Claude Dauphin, actuellement membre du conseil exécutif de la Ville de Montréal, qui disait ne pas savoir comment les fonds étaient dépensés. «Un président honoraire en général n'est pas impliqué aussi directement», note M. Lester en soulignant que M. Dauphin facturait «avec diligence 3200 $ toutes les deux semaines pour ses services».
C'est le même scénario pour l'ancien p.-d.g. du Conseil de l'unité canadienne, Jocelyn Beaudoin, aujourd'hui délégué du Québec à Toronto, qui a touché quelque 24 000 $ au cours de l'automne 1995, alors qu'il prétendait ne plus être lié à OC depuis sa fondation en septembre.
La majeure partie des sommes citées dans le brûlot est cependant allée à la firme BCP communication, pour la production d'affiches, de matériel promotionnel et de publicités. Chez BCP on niait formellement qu'Option Canada ait payé des factures pour des services rendus pendant la campagne référendaire. Lorsqu'on précise que certaines factures portent la mention «campagne référendaire» et étaient adressées dans un premier temps au comité du NON avant d'être réacheminées à Option Canada, le porte-parole de BCP, François Taschereau, fait valoir qu'il y a eu des «erreurs cléricales [sic]». Il prend cependant bien soin de préciser que ce n'est pas la compagnie qui fournit les services qui contrevient le cas échéant à la loi québécoise, mais bien celui qui les paie et omet de les comptabiliser dans les dépenses référendaires.
Réaction libérale
Au Parti libéral, les Lucienne Robillard, Liza Frulla et Pierre Pettigrew se faisaient discrets hier, préférant envoyer au front le lieutenant québécois Jean Lapierre, qui n'a pas manqué de rappeler qu'il était «neutre et objectif» en 1995 puisqu'il travaillait dans le milieu des médias. Il remplaçait ainsi la ministre du Patrimoine canadien, Liza Frulla, qui a jugé bon de se récuser étant donné son rôle dans la campagne du NON en 1995.
«Il y a plus d'éditorial que de faits nouveaux [dans le livre]. Cependant, je me réjouis de voir que les documents qu'on disait volés ont refait surface et que les autorités compétentes vont pouvoir les étudier et tirer leurs conclusions», a déclaré Jean Lapierre hier, soulignant que le paiement d'une facture en octobre ne signifiait pas nécessairement que le service ait été rendu en octobre.
Arguant que Normand Lester réside dans sa circonscription et que son pointage indique qu'il n'est pas un «supporter libéral», Jean Lapierre a tenté de jeter le discrédit sur la démarche des auteurs. «Le timing est suspect. Ces gens-là se dépêchent pour produire ce livre et le diffuser le jour du débat. Ce n'est pas un exercice professionnel. Il y a même des doutes sur le fait que les documents auraient pu être volés», a -t-il déclaré. M. Lapierre a aussi réitéré la ligne de défense martelée la semaine dernière voulant que le gouvernement du Québec ait dépensé 25 millions en dépenses préréférendaires.
En entrevue à Radio-Canada, Daniel Johnson a quant à lui nié catégoriquement avoir été mis au courant des activités d'OC. «J'ai un parcours d'une quarantaine d'années sans aucune anicroche et aujourd'hui on essaie de m'associer à ce qu'on fait passer pour des infractions [...] à la loi sur les référendums. Tant que j'ai été député et chef de parti, jamais on n'a mené la barque autrement qu'en plein respect des lois référendaires et électorales du Québec», a-t-il soutenu.


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