Le débat sur la hausse des droits de scolarité a jusqu'ici surtout porté sur la répartition des responsabilités face au financement des études universitaires. Tandis que les contributions des différents acteurs ont été discutées, un joueur pourtant central dans notre modèle de financement éducatif a été laissé dans l'ombre. Il s'agit des institutions financières privées, à notre avis un des seuls bénéficiaires directs de la hausse des droits de scolarité.
En effet, celle-ci devrait se traduire pour ces institutions par une augmentation des profits réalisés par l'entremise des intérêts perçus sur les prêts étudiants. Cette augmentation sera corollaire de celle de l'endettement qui est à prévoir parmi la population étudiante, car avant de se réaliser comme un investissement, tel qu'on tente présentement de nous les faire concevoir, les études universitaires nécessitent d'abord pour plusieurs un endettement non négligeable.
Au Québec, ce rapport d'endettement est principalement articulé et garanti par le Programme d'aide financière aux études (AFE). Contrairement au programme fédéral de prêts directs, le programme québécois exige que les étudiants admissibles contractent des prêts auprès d'institutions financières privées. Durant leurs études, les intérêts mensuels à verser sur ces prêts sont assumés par le gouvernement. Les données du ministère de l'Éducation indiquent que de 1989 à 2008, 1,4 milliard de dollars ont ainsi été versés en intérêts seulement aux institutions financières par le gouvernement du Québec.
Pour l'année 2007-2008, année où fut amorcée une augmentation des droits de scolarité échelonnée sur cinq ans, les intérêts ainsi versés par le gouvernement se sont chiffrés à près de 79,6 millions, comparativement à 74,2 millions pour l'année 2006-2007. Pour l'année 2016-2017, soit au terme de la plus récente hausse décrétée par le gouvernement libéral, l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) estime qu'entre 3,4 et 5,6 millions en intérêts supplémentaires seront à verser aux institutions financières.
Plans de remboursement
Précisons que les émetteurs des prêts étudiants ne perçoivent pas uniquement des intérêts provenant du gouvernement. À la suite d'une courte période d'exemption suivant la fin des études, les débiteurs, qu'on espère maintenant salariés, ont à négocier avec leurs créanciers des plans de remboursement. Ils prennent alors aussi à leurs charges le versement des intérêts sur les prêts, et ce, à un taux plus élevé que celui dont a bénéficié le gouvernement. L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) a calculé que, dans le cadre du remboursement des seuls prêts accordés durant l'année 2006-2007, soit l'année précédant la dernière vague de hausse, c'est 32 millions en intérêts qui auront été versés aux institutions financières par les étudiants.
Soulignons que les institutions financières qui perçoivent ces intérêts ne prennent aucun risque en émettant des prêts étudiants, puisque ceux-ci sont entièrement garantis par le gouvernement — y compris pour la période suivant les études — en plus d'être exclus de la libération de dettes en cas de faillite du débiteur. Quoi qu'en disent les institutions financières, ces dispositions font des prêts étudiants un placement non seulement très lucratif au regard du niveau de risque qu'il implique, mais également très stable et prévisible, ce qui devient particulièrement intéressant en cette période de volatilité boursière. D'ailleurs, dans les pays dont s'inspire présentement le gouvernement libéral et qui ont déjà adopté des régimes de financement à contribution étudiante élevée, les prêts étudiants font l'objet d'importants marchés de titrisation.
Programme national et emprunts personnels
En s'entêtant à vouloir rattraper les autres provinces canadiennes en ce qui a trait aux coûts des études universitaires, le gouvernement libéral risque de faire exploser l'endettement des étudiants québécois, accentuant de facto leur dépendance envers les institutions financières privées. Au Québec, en 2009, les étudiants en dernière année de baccalauréat avaient contracté en moyenne une dette de 15 102 $, comparativement à 25 778 $ en Ontario et à 26 680 $ pour la moyenne canadienne. Un écart qui s'explique principalement, selon le ministère de l'Éducation lui-même, par le fait que les droits de scolarité sont moins élevés au Québec qu'ailleurs au Canada.
Ces chiffres ne considèrent que les prêts octroyés par l'entremise du programme national de prêts et bourses, auxquels s'ajoutent toutefois les emprunts effectués directement auprès des institutions financières, qui ne manquent pas d'imagination pour offrir aux étudiants des produits et services «adaptés à leurs besoins» (marges et cartes de crédit étudiantes, prêts à taux préférentiel le temps des études).
Prochaine crise: l'endettement
De plus, avec la hausse, il est à prévoir que nous assisterons non seulement à une croissance du niveau d'endettement, mais également à une augmentation du nombre d'étudiants endettés. Aux États-Unis, champions parmi les pays de l'OCDE au chapitre du coût des études universitaires, s'il y a effectivement une augmentation de la fréquentation des collèges et universités, celle-ci se traduit par une importante hausse de l'endettement des individus et des familles. Selon le Consumer Financial Protection Bureau, la dette étudiante américaine atteint actuellement mille milliards, un montant plus élevé que les dettes par cartes de crédit.
Certains y entrevoient la prochaine crise de l'endettement, qui, après la bulle hypothécaire, pourrait entraîner de plus en plus d'individus vers la faillite et menacer la reprise économique. Au Québec, nous n'en sommes pas encore là, mais l'augmentation des droits de scolarité, qui se traduira par un accroissement de l'endettement, accentuera encore une fois la pression sur les plus pauvres et sur la classe moyenne, pendant que les financiers, eux, continueront de s'enrichir.
La hausse des droits de scolarité aura ainsi comme conséquence majeure d'accentuer le détour financier au sein de notre modèle de financement de l'université. Par ce détour, que nous empruntons individuellement et collectivement, une ponction d'intérêts toujours croissante sera prélevée par des institutions privées. Aux processus de privatisation et de marchandisation déjà mis de l'avant par le gouvernement libéral, s'ajoutera ainsi une forme de financiarisation de l'éducation qui risque fort de s'étendre aux autres services publics.
L'accessibilité aux études ne devrait en aucun cas dépendre de la capacité à s'endetter, elle devrait être défendue comme un droit inaliénable, et son financement devrait être pris en charge collectivement à travers un système de transferts et d'impôts réellement progressifs. C'est ce modèle de solidarité intergénérationnelle que défend le mouvement étudiant, qui, loin d'individualiser le problème de l'accès aux études, est porteur d'un projet de société où les personnes et le bien commun ont préséance sur le profit des banques et des caisses.
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Estelle Grandbois et Mathieu St-Onge, doctorants en sociologie à l'Université du Québec à Montréal et Maxime Lefrançois, doctorant en sociologie à l'Université Laval
Contre la hausse
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