J’aime Jean-François Lisée le stratège, comme lorsqu’il propose au mouvement souverainiste de grands points de rassemblement pour la prochaine campagne électorale. Sur son blogue du 18 novembre, il identifie les thèmes suivants : la propreté, l’identité et la souveraineté. Il mentionne également des améliorations à apporter au modèle québécois, en pointant le nationalisme économique et la saine gestion de l’État.
Je vois cela comme une invitation au débat, car ces concepts peuvent recouvrir des réalités bien différentes.
Nous reviendrons sur les propositions concernant la propreté (financement des partis politiques, attribution des contrats, évasion fiscale, travail au noir, etc.). Mais, examinons d’abord la question identitaire.
La question identitaire
Jean-François Lisée a avancé au cours des dernières années un certain nombre de propositions sur l’identité et la citoyenneté. J’ai particulièrement aimé sa proposition d’une citoyenneté québécoise qui s’inspirait de l’exemple de l’île d’Aland en Finlande. Je cite l’extrait de son livre Sortie de secours qui l’explique :
Il y a en Finlande, pays aux deux langues officielles, une minorité linguistique suédoise (7%) dont une communauté habite un territoire bien délimité puisqu’il s’agit de l’île d’Aland. L’île a acquis une autonomie politique dès les années 20. La Finlande a reconnu que la préservation de son identité nécessitait d’adapter les conditions mêmes de la citoyenneté et de créer une « citoyenneté régionale » pour Aland. C’est ainsi que, pour être considéré « résidant d’Aland » et avoir droit de vote à la totalité des scrutins locaux et insulaires, il faut impérativement avoir séjourné pendant cinq ans dans l’île et démontrer « une connaissance acceptable de la langue suédoise ».
On se souviendra que Mme Marois s’était inspirée de cet exemple pour faire des propositions sur la citoyenneté québécoise à l’automne 2007 lorsqu’elle a remis la question identitaire au centre du programme du Parti Québécois. Bien que sa proposition était en-deçà de l’exemple de l’île d’Aland – les restrictions à la citoyenneté se limitaient à la possibilité de pouvoir se porter candidat – elle a dû retraiter devant le tollé soulevé par les fédéralistes. Mais la question d’une citoyenneté québécoise figure dans la Proposition principale et reviendra en débat.
Les cégeps
J’ai beaucoup moins aimé la proposition de Jean-François Lisée sur les cégeps. Rappelons les faits. La veille du Conseil national du Parti Québécois où un consensus était en train de se dégager en faveur de l’application des dispositions de la loi 101 aux cégeps, Jean-François Lisée qualifiait cette mesure de « frileuse et défensive » et proposait de fusionner les cégeps « en un seul réseau de la prédominance du français » où tous les cégépiens, francophones, anglophones et allophones, recevraient « les trois quarts de leur formation en français et le quart en anglais ».
Nous avons qualifié à l’époque sa proposition de manœuvre de diversion en soulignant, entre autres arguments, qu’elle réduirait la part du français à 75% et augmenterait celle de l’anglais à 25%, alors que l’application des dispositions de la loi 101 au cégep ferait passer à 89% la part du français et à 11% celle de l’anglais. Elle est actuellement de 82% pour le français et 18% pour l’anglais.
Jean-François Lisée s’est offusqué, a joué les vierges offensées et m’a accusé de malhonnêteté intellectuelle. Sans jamais expliquer en quoi consistant cette « malhonnêteté intellectuelle », et sans répondre à l’ensemble de mes arguments, il centre sa réplique sur l’argument suivant : Mais Pierre Dubuc adopte la posture de l’avant-garde nationaliste, affirmant, et je cite, qu’il faut en matière linguistique « protéger contre eux-mêmes » nos pauvres concitoyens qui ne savent pas ce qui est bon pour eux. Il veut s’appuyer ensuite sur l’exemple de la loi 101. Pierre Dubuc écrit : « Il fallait du courage au Dr Laurin et au Parti Québécois pour faire adopter cette loi dont ils savaient qu’elle serait impopulaire auprès d’une frange importante de l’électorat francophone. »
Et Jean-François Lisée ajoute :
Cependant Pierre Dubuc fait une erreur de fait que je lui souligne amicalement. Loin de « protéger contre eux-mêmes » les francophones, le Dr Laurin avait fait réaliser et publier des sondages qui montraient que plus des deux tiers des francophones étaient favorables au projet de loi 101, et cet appui ne s’est jamais démenti. Il n’était pas électoraliste pour autant. Mais en phase avec l’opinion. A méditer.
Je m’étonne de voir Jean-François Lisée s’indigner de la nécessité de devoir protéger des citoyens contre eux-mêmes. Dans ses conférences devant des publics syndicaux, il rappelle qu’il a déjà travaillé, étant étudiant, à ensacher de l’amiante dans une usine de Thetford Mines où la poussière d’amiante contaminait l’air ambiant sans que les travailleurs protestent. Il raconte qu’aujourd’hui les conditions se sont à ce point améliorées que l’usine d’ensachage est propre comme une clinique médicale et il félicite l’action du mouvement syndical pour ce résultat, c’est-à-dire d’avoir exigé des législations qui « protégeaient les travailleurs contre eux-mêmes ». En fait, bon nombre de législations ont précisément ce but.
Sur la question linguistique, si on lit bien le propos de Jean-François Lisée, on constate qu’il confirme mon argument! Le Dr Laurin a fait adopter la loi 101, même si le tiers des francophones n’y était pas favorable, nous dit Jean-François Lisée. C’est exactement ce que j’appelais « une frange importante de l’électorat francophone ». Nous invitons le lecteur à consulter l’ensemble de notre réplique et à juger par lui-même de sa pertinence. (Cégeps français : Grande manœuvre de diversion de Jean-François Lisée )
La religion
Si j’ai salué la contribution de Jean-François Lisée au retour du « Nous » dans le discours souverainiste, j’ai aussi écrit qu’il y avait une dangereuse dérive et un retour en arrière dans sa position en faveur de l’enseignement des religions dans les écoles.
S’auto-proclamant porte-parole de la majorité silencieuse chrétienne d’« incommodés » qui répugne à envoyer ses enfants recevoir une éducation catholique à la paroisse le dimanche, Jean-François Lisée a proposé de réserver dans l’école laïque « une case horaire déterminée, ouverte aux enseignements religieux ».
J’ai évoqué plusieurs arguments pratiques et politiques contre cette proposition, mais le plus important et le plus inquiétant est l’approche idéologique de Jean-François Lisée qui place la religion comme un des points de repère de la nation québécoise. Il écrit que « la majorité franco-québécoise doit donc réaffirmer ses repères et en établir la prédominance sur ces trois plans : l’histoire, la langue et la religion ». Ses amis Éric Bédard et Mathieu Bock-Côté se sont sans doute réjouis de cette position. Mais ce n’était pas notre cas. Nous écrivions :
Définir la nation québécoise par sa religion, c’est revenir à Mgr Bourget ! C’est nier la Révolution tranquille, le « Nous » laïque du manifeste Option-Québec de René Lévesque. C’est exclure de la nation québécoise tous ces immigrants, ces « enfants de la loi 101 » qui, bien que n’étant pas toujours de foi chrétienne, s’intègrent à la majorité francophone. Curieusement, lorsqu’il parle des autres « Nous » du Québec, soit le « Nous » de la communauté anglophone ou encore le « Nous » des communautés ethniques, Jean-François Lisée ne les caractérise pas par leur religion, sauf bien entendu dans le cas particulier de la communauté juive.
Dans le livre qu’il vient de faire paraître – L’heure de vérité. La laïcité québécoise à l’épreuve de l’histoire – Yvan Lamonde partage notre point de vue lorsqu’il affirme que « la dissociation, non pas tant de l’Église et de l’État, mais de la religion et de la langue dans l’identité traditionnelle des Canadiens français fut le changement le plus profond depuis la Crise et dans l’après-guerre ».
Nous nous en prenions également à l’affirmation/justification de Jean-François Lisée qui déclarait : « La religion, c’est le cœur de l’affaire au Québec, comme sur la planète en 2007 ». Nous rétorquions : On croirait lire un passage tiré du livre Le choc des civilisations, l’ouvrage de Samuel Huntington qui est la bible de la droite américaine et qui sert de justification idéologique à la croisade de la Maison-Blanche en Irak et en Afghanistan et à laquelle adhère le gouvernement de Stephen Harper.
Certes, la mondialisation et les événements du 11 septembre 2001 ont provoqué une réaction qui a pris la forme du fondamentalisme religieux. Mais nous devons à tout prix éviter le piège qui nous est tendu de revaloriser notre passé chrétien pour s’opposer à l’islamisme militant. Cela ne peut mener qu’à des affrontements stériles et contre-productifs. Il est totalement faux de prétendre, comme le soutient Lisée, que le Québec aurait perdu ses « points de repère » depuis la laïcisation de la société québécoise.
Au contraire, avec sa Charte des droits, sa Charte de la langue et ses institutions modernes, le Québec s’est doté de points de repère autrement plus efficaces que ceux d’un passé où la religion devait être la gardienne de la langue.
Conséquemment, nous croyons qu’il faut justement se garder de caractériser les différentes communautés par leurs croyances religieuses. Par exemple, plutôt que de qualifier de musulmans les immigrants originaires de pays arabes, comme cela semble être devenu la norme, il faut plutôt nommer leur nationalité d’origine. Elles et ils sont d’abord et avant tout des Québécois ou des Québécoises d’origine algérienne, marocaine, libanaise, etc.
On invite le lecteur à consulter l’ensemble de notre réplique :
La sortie de secours de Jean-François Lisée
Le Parti Québécois ayant déclaré que la Charte de la laïcité serait au cœur de son programme politique pour la prochaine campagne électorale, nous aurons l’occasion de croiser à nouveau le fer avec Jean-François Lisée sur ces questions.
Demain : À propos de Jean-François Lisée et de la création de la richesse (3)
À lire : [À propos de Jean-François Lisée et de coalition souverainiste->32906] (1)
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