Après avoir écarté cette possibilité, le comité de la justice de la Chambre des communes a voté en faveur d'un témoignage public de l'ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould. Cette dernière, qui a démissionné dans la foulée de l'affaire SNC-Lavalin, a créé la surprise mardi en participant à une rencontre du Cabinet.
Au total, le comité parlementaire, où siègent une majorité de députés libéraux, entendra huit personnes, dont l'actuel ministre de la Justice, David Lametti, le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, et Nathalie Drouin, sous-ministre de la Justice.
Malgré la participation de Jody Wilson-Raybould, la liste des personnes conviées à témoigner ne satisfait pas les partis d'opposition. Ceux-ci auraient voulu entendre Gerald Butts, qui était le secrétaire principal de Justin Trudeau jusqu'à sa démission surprise, lundi, dans la foulée de l'affaire SNC-Lavalin.
La semaine dernière, la majorité libérale avait refusé d'inviter Mme Wilson-Raybould à témoigner dans le cadre de son enquête sur les allégations d'ingérence du bureau du premier ministre, comme le souhaitait l'opposition. Le comité avait également rejeté une motion demandant la levée du secret professionnel de l'ancienne procureure générale.
« Il est très étrange que les libéraux semblent prêts à faire ce qu'ils ne voulaient pas faire la semaine dernière », a commenté le chef conservateur, Andrew Scheer.
Interrogée par CBC à sa sortie de la Chambre des communes, Mme Wilson-Raybould a dit ne pas avoir encore reçu d'invitation à comparaître, mais a assuré qu'elle témoignerait si on le lui demandait.
« Les règles et les lois liées au privilège parlementaire, à la confidentialité, à ma responsabilité comme membre du Parlement, à mes responsabilités éthiques et professionnelles en tant qu'avocate [du gouvernement] sont multiples et incroyablement compliquées, alors je travaille toujours avec mon avocat », a-t-elle déclaré. En tant que procureure générale, Jody Wilson-Raybould était l'avocate du gouvernement.
« Je suis une députée libérale », a-t-elle dit aux journalistes parlementaires, qui lui demandaient si elle appartenait toujours au caucus libéral après l'avoir vue sortir d'une réunion avec les ministres libéraux.
Elle n'a pas précisé si elle avait l'intention de porter les couleurs du parti lors du scrutin de l'automne prochain.
« Mme Wilson-Raybould a demandé de venir parler au Cabinet. On l’a invitée à venir », a expliqué le premier ministre quelques minutes plus tard, à sa sortie de la rencontre. Les propos qui y ont été tenus resteront confidentiels, a-t-il aussitôt ajouté.
Pendant la période des questions, la députée Iqra Khalid, qui siège au comité de la justice, a ensuite écrit sur Twitter qu'elle avait déposé un avis de motion invitant Jody Wilson-Raybould à venir témoigner devant le comité.
L'opposition fait front commun
Une fois en Chambre, le premier ministre a été bombardé de questions par les partis d'opposition, qui l'ont pressé de lever le secret professionnel auquel est assujettie Mme Wilson-Raybould.
M. Trudeau a répondu qu'il avait demandé à son nouveau ministre de la Justice de le conseiller à ce sujet. David Lametti ne s'est pas avancé sur le moment où il pourra fournir cet avis.
La prudence est de mise, car la levée de ce secret professionnel pourrait entraîner des « conséquences imprévues », étant donné que des dossiers sont devant les tribunaux, a affirmé le premier ministre.
Le chef conservateur a accusé le premier ministre Trudeau et son Cabinet de se livrer à une « mascarade évidente ». Le premier ministre la tient au silence « pour se protéger lui-même », a-t-il attaqué, lui reprochant de « change[r] sa version des faits » et de « blâme[r] tout le monde ».
Ce n’est pas comme ça qu’un premier ministre qui n’aurait rien à cacher agirait. S’il croit que la démission de son conseiller politique le plus proche et le plus fiable va régler la question, il est dans l’erreur.
« Si un crime a été commis, les responsables doivent être punis en conséquence », a-t-il lancé, disant s'attendre à ce que toute l'affaire soit bientôt portée à l'attention de la police.
Le député néo-démocrate Charlie Angus, porte-parole de son parti en matière d'éthique, a déposé une motion exhortant le gouvernement à lancer une enquête publique, « comme la commission Gomery », afin d'assurer l'imputabilité du gouvernement.
Ce n'est pas que leur boussole morale pointe dans la mauvaise direction, c'est qu'ils n'ont pas de boussole morale.
Andrew Scheer a indiqué que son parti appuierait unanimement la motion, qui réclame aussi que le premier ministre lève le secret professionnel auquel est assujettie Mme Wilson-Raybould.
Le Bloc québécois la soutiendra aussi. Le député Rhéal Fortin a cependant souligné que la conclusion d'un accord de réparation lui semble tout de même essentielle afin de « protéger les travailleurs » de SNC-Lavalin, qui ne doivent pas faire les frais des erreurs commises par d'anciens dirigeants de la compagnie, et « le savoir-faire dans le génie civil au Québec ».
Le ministre de l'Infrastructure et des Collectivités, François-Philippe Champagne, a assuré que tous voulaient « faire la lumière sur les derniers événements », privilégiant toutefois l'enquête annoncée la semaine dernière par le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique. Il a insisté sur la nécessité que son gouvernement continue « de focaliser sur ce qui compte pour les Canadiens ».
M. Trudeau a également été interrogé sur les raisons qui ont poussé son secrétaire principal, Gerald Butts, à démissionner, puisqu'il dit n'avoir rien à se reprocher. M. Butts voulait que le gouvernement puisse continuer son travail au profit des Canadiens, a-t-il répondu, reprenant un argument avancé la veille dans sa lettre de démission par celui qui fut pour lui un collaborateur de longue date.
Le gouvernement dans la tourmente
La tourmente dans laquelle est emporté le gouvernement Trudeau a pris naissance la semaine dernière, lorsque le Globe and Mail a soutenu que l’entourage du premier ministre Trudeau a exercé des pressions sur Mme Wilson-Raybould, pour convaincre la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel, d’abandonner des poursuites pour fraude et corruption intentées contre SNC-Lavalin.
Selon le quotidien torontois, le cabinet du premier ministre aurait préféré que Mme Roussel conclue un accord de réparation, comme le préconisait la firme de génie-conseil, qui a d'ailleurs mené une intense campagne de lobbying à cette fin. En vertu d'un tel accord, SNC-Lavalin aurait admis des actes répréhensibles et payé une amende, mais aurait pu continuer de soumissionner pour des contrats publics.
Peu après la publication de la nouvelle, Mme Wilson-Raybould a démissionné de son poste de ministre des Anciens Combattants, qu'elle n'a occupé que très brièvement après avoir perdu son titre de ministre de la Justice lors d'un remaniement ministériel.
Invoquant le secret professionnel, elle a toutefois demandé à l’ex-juge de la Cour suprême Thomas Albert Cromwell de la conseiller pour savoir ce que la loi lui permet de dire publiquement.
Dans sa lettre de démission, Gerald Butts a nié les allégations selon lesquelles lui-même ou tout autre membre du bureau du premier ministre aurait tenté d'influencer Mme Wilson-Raybould.
Le premier ministre avait lui aussi démenti les allégations.
Le commissaire fédéral aux conflits d'intérêts et à l'éthique a confirmé la semaine dernière qu'il ouvrait une enquête sur ces allégations.
Avec des informations de CBC et La Presse canadienne