Wallonie et Europe écrasées par un agonisant

Chronique de José Fontaine

Les négociations en vue de la formation d'un nouveau gouvernement belge ont connu d'énormes difficultés la semaine passée qui ont amené le formateur (et futur - peut-être! - Premier Ministre fédéral), le socialiste wallon Elio Di Rupo à remettre sa démission au roi.
La Flandre à droite, la Wallonie à gauche
L'intertitre que je viens de choisir n'est pas aussi simpliste qu'on ne le pense. Devant la dégradation des finances belges, tout le monde sait qu'il faudra faire un effort énorme que l'on chiffrait (avant la dégradation de la dette publique belge d'AA+ en AA), à 11 milliards d'€, une somme énorme. En fait, quatre des six partis présents au gouvernement (les socialistes flamands et wallons, les démocrates-chrétiens wallons et flamands), étaient parvenus à un accord, mais les libéraux (surtout flamands), exigeaient que des réformes structurelles soient entamées pour mettre en cause la liaison des salaires à l'index (un acquis formidable des luttes sociales, notamment en Wallonie et grêce à la Wallonie), de même que la possibilité de percevoir des allocations de chômage sans limitation dans le temps. Cette disposition du droit social belge est-elle à critiquer? Elle existe depuis presque trois-quarts de siècle. Elle n'est pas créatrice de chômeurs professionnels. Au début des années 70, il y avait 100.000 chômeurs en Belgique mais un million au début des années 80. Ce ne sont pas les dispositions de l'Etat social qui créent les chômeurs, pas plus que les malades ou les invalides ou les femmes en repos d'accouchement ou les vieux. Mais la pensée unique devenue quasiment religieuse du capitalisme à l'agonie, voit dans ces dispositions l'origine d'une mauvaise tenue de l'économie.

On n'est pas plus fou.
Mais les systèmes à l'agonie deviennent fous. Ce n'est pas sensé d'un point de vue économique de réduire encore les revenus de la population pour revenir à l'équilibre budgétaire puisque la diminution des dépenses sociales supprime automatiquement des emplois et, de plus, en tuant la demande intérieure, tue la possibilité de la croissance pourtant nécessaire au rééquilibrage des finances de l'Etat.
La Wallonie écrasée par la Flandre de droite et l'Europe itou
Le principal syndicat en Wallonie la FGTB (de même que le principal syndicat en Flandre la CSC) appellent à une grande manifestation à Bruxelles le 2 décembre prochain contre les projets du gouvernement en formation. Comme le socialiste wallon Di Rupo est lié d'un point de vue idéologique et concret à la FGTB il était moins à même de faire des concessions à ses partenaires de l'ultra droite (on ne peut plus dire en effet que les socialistes européens seraient vraiment à gauche). Il faut d'ailleurs bien voir que ces «concessions» ne se font pas en fonction des programmes respectifs des partis. LE Programme, avec un grand P, pour tous les partis politiques, c'est celui de la Commission européenne, soit la Commission la plus néolibérale au monde qui exige de fait le démantèlement des acquis sociaux partout et singulièrement en Belgique. Ce n'est pas à partir d'un programme socialiste de propositions et d'avancées que l'on demande des concessions à Di Rupo, c'est à partir de la faiblesse socialiste de son parti - plus précisément de l'absence de propositions d'avancées sociales de sa part. Quand on ne demande rien et quand les autres en face de vous ont des propositions concrètes (soit la disparition de l'Etat social), au surplus soutenues par l'Europe, quels compromis peut-on encore faire? Le compromis entre l'anéantissement de l'Etat social et de la civilisation démocratique européenne ou sa survie agonisante.
La dégradation de la note de la dette publique belge
Il y a longtemps que l'Etat belge a une dette publique énorme, parfois même supérieure à son PNB (cela a été souvent le cas dans l'histoire de ce pays). Ce n'est plus le cas mais cela avait été le cas dans les années 80 durant lesquelles un programme d'austérité avait été mené par une coalition de centre-droite (des anges par rapport à l'ultra-libéralisme d'aujourd'hui), pour que puisse être remboursée la dette publique de l'Etat belge non pas à l'égard de l'extérieur mais à l'égard des plus riches des Belges. Car la dette publique belge a toujours été une dette publique à l'égard des épargnants belges et des créanciers institutionnels de cet Etat, soit les banques, les assurances et les particuliers les plus riches, soit les 2 % de ménages jouissant d'un patrimoine (connu! car le patrimoine des plus riches est celui qui se rend le plus aisément invisible), supérieur à 3 à 4 millions d'€ soit 50.000 ménages et 200.000 Belges. Selon l'économiste flamand Geert Noels, il en est toujours ainsi pour une grande part. Ce qui veut dire que, pour une grande part aussi, la dégradation de la dette publique belge est le fait de gens qui sont des amis de l'ultra-droite belge et en particulier flamande. Voici ce que déclarait l'économiste flamand Geert Noels hier à la RTBF :
On fait semblant que ceux qui donnent de l'argent à la Belgique, ce sont des gens à Londres ou New-York, mais plus de la moitié provient de notre propre pays. Probablement que ce qui vient de l'étranger -partiellement au Luxembourg, etc. -, ce sont des sicav qui sont détenus par des Belges. Ceux qui sont en train de perdre confiance, ce sont les Belges mêmes. Et les questions que l'on entend, c'est de plus en plus : il y a un problème structurel avec la Belgique. Qu'est-ce qui se passe ? Alors, ce ne sont pas des gens à Londres ou New-York, ce sont des gens ici, dans tous les villages de Belgique, qui se posent des questions. Qu'est-ce qui se passe si on donne des garanties de telle taille aux banques ? Et même dans les autres pays européens : comment un petit pays comme la Belgique pourra s'en sortir ? Alors, j'insiste là-dessus.

Il ajoutait aussi que ce n'est pas la crise gouvernementale depuis plus de 500 jours qui explique les difficultés de la Belgique sur le plan financier mais un manque de confiance des créanciers - belges! - de la Belgique en leur propre pays. Du fait que celui-ci assume pour le moment des garanties pour sauver divers établissements bancaires à la hauteur de 130 milliards d'€, soit près de 40% du PNB. Certes, ces 130 milliards ne doivent pas être nécessairement dépensés mais il y a un risque à ce sujet, risque que ne courent jamais les champions du néolibéralisme (ou ceux qui ont avantage à ce que ce néolibéralisme soit champion dans nos têtes), qui veulent bien voir que d'autres courent des risques - les entrepreneurs, les travailleurs, les jeunes, les Etats, les Etats fédérés - mais pas eux qui sont les sauveurs du monde entier selon certains prophètes des idées nouvelles.
La Wallonie écrasée par la Flandre, l'Allemagne et l'Europe
La Wallonie est donc écrasée par la Flandre de droite et l'Europe du capitalisme. Cela fait beaucoup. Si la Banque Centrale Européenne (BCE) refinançait les Etats, les choses iraient autrement. Mais jeudi passé, à Strasbourg, Sarkozy n'a pas réussi à convaincre la chancelière allemande de suivre une telle politique durant un sommet qui réunissait les trois plus importantes économies de la zone € (Italie, France, Allemagne, dans l'ordre croissant).
C'est sans doute aussi l'échec de ce sommet qui explique la dégradation de la note de la Belgique et non pas d'abord les difficultés pour former un gouvernement belge. Le Monde de vendredi expliquait que la note de la dette publique allemande (le bon élève européen jusqu'ici), risquait aussi de se dégrader et notait également que montent en Europe des sentiments profondément germanophobes vu l'intransigeance allemande sur certains principes européens qu'elle a imposé à ses partenaires dès le traité de Maastricht en 1992. Vu aussi le fait que c'est à tous égards (politiques, économiques), la classe dirigeante allemande qui a tiré le plus de profits de la construction européenne, ce que l'on ne dit pas assez par désir (légitime), de ne pas réveiller les hostilités meurtrières de jadis. Mais qui n'en est pas moins exact, le nationalisme allemand étant devenu supranationaliste.
Quant à la France sa situation n'est meilleure qu'en apparence. D'ailleurs Jacques Attali prévoit la disparition de la zone € d'ici Noël (une chance sur deux).
La chose la plus étrange
Le Premier ministre en affaires courantes, Yves Leterme, a lancé un emprunt auprès du public qui aurait un rendement annuel de 4 %. On se demandait si les 200 millions d'€ seraient atteints comme escomptés. Mais dès le lendemain soir plus de 500 millions d'€ avaient été souscrits. Comme quoi, les spéculateurs n'appartiennent pas tous à la même classe sociale. Et comme quoi l'Etat belge est digne de confiance. Ce dont je me réjouis en tant que séparatiste wallon car la Wallonie ne se créera réellement de manière crédible qu'en profitant de la dynamique confédéraliste qui tend à transférer l'entièreté des compétences fédérales vers les entités fédérées. C'est par attachement à la Wallonie que je suis encore attaché à un certain maintien de l'Etat belge atteint d'une maladie de la dégénérescence dont la Flandre, Bruxelles et la Wallonie doivent profiter. L'Etat belge peut encore vivre quelques années. Attendons la création complète de la Wallonie, il disparaîtra alors tout seul.
***
Quelques minutes après que j'aie transmis ce texte à VIGILE, les six partis politiques belges négociant sur le futur gouvernement fédéral annonçaient qu'ils étaient arrivés à un accord sur le budget à présenter au Parlement de Bruxelles.
JF

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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