Vu de Moscou

JJC - chronique d'une chute annoncée



Le premier ministre Jean Charest ne devait pas être mécontent de s'éloigner un peu du Québec et de tous ces fâcheux qui ne cessent de le harceler pour qu'il déclenche une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction.
Il peut sembler étonnant qu'il ait choisi la Russie pour se changer les idées, mais il reste que les voyages permettent de mettre certaines choses en perspective. Vu de Moscou, où il semble impossible de faire des affaires sans se ruiner en pots-de-vin, M. Charest pourra se conforter dans sa détermination de ne pas se laisser bousculer par les ayatollahs de la probité.
Il ne faut malheureusement pas trop compter sur les dirigeants russes pour lui donner l'heure juste. L'an dernier, le président Medvedev avait annoncé un vaste programme de lutte contre la corruption dans l'administration publique et le premier ministre Poutine avait promis de «coffrer les coupables». Pourtant, le 13 novembre dernier, lors d'une conférence des pays signataires de la Convention de l'ONU contre la corruption, la Russie a bloqué l'adoption du mécanisme de contrôle proposé.
À l'intention de M. Charest, notons que l'ONG Transparency International, qui a élaboré un indice permettant de mesurer le degré de corruption dans le secteur public, la Russie occupe le 146e rang sur 177 pays étudiés. À titre de comparaison, le Canada arrive au 8e rang.
La Fondation InDem de Moscou estime que les Russes paient l'équivalent de 318 milliards $US par année en pots-de-vin, ce qui équivaut au tiers du PIB. Environ 80 % des entreprises installées en Russie doivent verser en moyenne 130 000 $US.
C'était avant la visite de M. Charest. Au cours de la dernière session, son gouvernement a adopté des dispositions pour faire en sorte que l'État québécois ne traite qu'avec des entreprises intègres. Ces règles s'appliqueront sûrement aux entreprises visées par l'entente de coopération qu'il a signée à Moscou.
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La gangrène semble s'être répandue partout au pays de Vladimir Poutine. Ainsi, plus de 500 000 diplômes y sont vendus chaque année, souvent par des employés des établissements d'enseignement. Pour une somme allant de 30 000 à 100 000 roubles (de 1000 à 3500 $CAN), on peut facilement se procurer un diplôme de médecin ou d'ingénieur.
Il va de soi qu'une chose pareille est impensable ici. Soit, pendant deux ans, l'abréviation ing. (pour ingénieur) a été mystérieusement ajoutée au nom du député de Rivière-du-Loup, Jean D'Amour, dans la correspondance d'affaires entre la firme de génie-conseil BPR, pour laquelle il travaillait, et la Ville de Rivière-du-Loup, mais il s'agissait d'une erreur attribuable à une secrétaire qui a l'habitude de taper ing. après chaque nom, comme il l'a lui-même expliqué au Soleil.
Voyons, tout le monde sait bien que
M. D'Amour n'est pas ingénieur et le Code des professions prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 20 000 $ pour usurpation de titre. Si le pauvre homme s'était aperçu de cette méprise, vous pensez bien qu'il se serait empressé de réclamer une correction. Tout de même, nous ne sommes pas en Russie!
C'est comme cette enveloppe brune contenant à peine 500 $ — une misère! — qu'il avait remise à son successeur à la mairie de Rivière-du-Loup, Michel Morin, de la part d'un entrepreneur. Que voulez-vous, même si lui-même avait été maire pendant neuf ans, M. D'Amour ne s'était pas rendu compte de l'illégalité de cette participation certainement désintéressée à la campagne de
M. Morin. De toute manière, puisque le destinataire de l'enveloppe a eu l'honnêteté de la refuser, le Directeur général des élections a conclu qu'il n'y avait pas eu violation de la loi.
Certes, il y a bien cette enquête du Commissaire au lobbyisme sur les démarches que M. D'Amour a effectuées auprès de la Ville de Rivière-du-Loup, toujours pour le compte de BPR, à peine quelques semaines après avoir quitté la mairie, mais il a déjà expliqué qu'il agissait alors comme «vendeur». Vous conviendrez avec moi qu'il y a un monde de différence entre un vendeur et un lobbyiste. À Moscou, on confondrait peut-être, mais certainement pas ici.
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Les interlocuteurs russes de M. Charest seront certainement très intéressés au projet de code d'éthique auquel son gouvernement voudrait soumettre les membres de l'Assemblée nationale, même s'il est temporairement tabletté.
À certaines conditions, et si la pression de l'opinion publique n'est pas trop forte, il sera tout à fait loisible à un député ou même à un ministre de détenir des intérêts dans une entreprise faisant affaire avec l'État.
Mieux encore, rien n'interdira au premier ministre de recevoir, en sus du salaire qu'il touche officiellement, une rémunération secrète payée par les contributeurs à la caisse de son parti.
M. Charest a lui-même expliqué que le chef de l'État peut déterminer, de concert avec les dirigeants de son parti, ce qu'il estime «nécessaire pour vivre». Les Russes vont certainement adorer.
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Rectificatif
Dans mon «Bulletin de l'opposition», j'ai erronément rangé deux députés, Daniel Ratthé (Blainville) et Luc Ferland (Ungava), dans le Club des silencieux. Toutes mes excuses.
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mdavid@ledevoir.com


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