CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS (6)

Vous avez dit... "identité" ?

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier

On dit toujours que ce sont les Québécois de souche qui se cherchent, qui cherchent à se définir. Ce faisant, comme si cela allait de soi et que c'était synonyme, on les dit donc fermés, repliés sur eux-mêmes (le repli identitaire), frileux, peureux, intolérants, xénophobes (puisqu'il s'agirait là d'une pure peur de l'autre, de ce qui leur est étranger), et même racistes, puisqu'en tant que peuple, ils se percevraient comme une race - rien de moins - en péril face à l'arrivée de nouveaux immigrants différents d'eux tant par la morphologie de surface que par l'accent, la culture et les us et coutumes.
Laissez-moi vous raconter une petite histoire vraie. Ma petite cousine belge a marié un Marocain dont elle a eu deux filles. L'aînée, 8 ans, tiraillée entre sa famille maternelle belge catholique pratiquante et sa famille paternelle marocaine musulmane tout aussi pratiquante, s'écrie, un jour, exaspérée et désespérée: "Mais je ne sais plus qui je suis, moi, à la fin!" - La voici fermée, n'est-ce pas, repliée sur elle-même, peureuse, intolérante, doublement xénophobe (à l'égard des Belges et des Marocains), et peut-être même raciste, qui sait?? (Tant qu'à en mettre, beurrons épais, c'est si à la mode!) - Et nous pourrions multiplier les exemples de cas comme celui de ma petite-petite cousine, et ce, ici même au Québec.
Vous voyez - du moins j'espère - l'absurdité de ces liens tout à fait arbitraires qu'on établit entre recherche et affirmation de soi d'un côté, et fermeture, xénophobie et racisme de l'autre. Vous voyez - du moins j'espère - l'absurdité d'associer l'affirmation d'un NOUS (et même d'un JE) au fait de "bien marquer qu'il y a un 'eux' menaçant", dixit notre premier ministre en personne dans sa lettre ouverte du 30 octobre dernier, ou d'un "TU" tout aussi menaçant.
Tout le monde se cherche, en fait, tout le monde cherche à s'affirmer et ce, dans certains cas, d'une manière très visible. Qu'on le veuille ou non, qu'on le cache et se le cache ou non, la "frilosité" concernant l'identité n'est pas propre aux seuls Québécois d'origine canadienne française. Ceux et celles qui peuvent se dire "tricotés serré" - une expression de plus en plus rare - sont loin d'être confinés à ces seuls Québécois-là! Et mettez-en que c'est LOIN d'être le cas! On ne l'a pas encore relevé, mais la question des AR (accommodements raisonnables) n'est peut-être rien d'autre que cela: une affirmation de soi, de son identité collective ou communautaire. A ce titre, le mémoire du CCIQ (Centre Culturel - ou cultuel? - Islamique de Québec), et celui de M. Touhami Rachid Raffa, du Carrefour Culturel Sésame de Québec, sont éloquents. Le premier n'est pas très agréable à lire, qui ne parle que du soi-disant repli identitaire des Québécois de souche et de personne d'autre. Toujours ces jugements "deux poids, deux mesures", et allez, mon p'tit mouton, continue de te faire manger la laine sur le dos! (Ce mémoire, à bien y regarder, est presque xénophobe à notre égard, tant il nous rabaisse, mais je n'irai pas plus loin, par gentillesse, compréhension, patience, tolérance et ouverture.)
Si "affirmation de son identité" est lié de fort près au repli identitaire, comme on l'entend de toutes parts, qu'est-ce donc lorsque, en plus, on y ajoute l'affichage, ostentatoire ou discret, de cette identité! Il est grand temps de remettre les pendules à l'heure et de sortir de cette bêtise.
QUELQUES SUCCULENTS TRAITS DE L'IDENTITÉ QUÉBÉCOISE D'ORIGINE CANADIENNE FRANÇAISE
Nous avons tous les mêmes droits, alors affirmons, nous aussi, qui nous sommes et cherchons à exprimer ce que nous avons de si particulier, de si unique, d'à part des autres. C'est quoi, un Québécois, une Québécoise d'origine canadienne française, à part la sempiternelle rengaine du "parlant français, vivant dans une société laïque où l'Etat et la religion sont séparés, et croyant dur comme fer à l'égalité hommes-femmes si chèrement acquise au cours du XXe siècle"? - (Car j'en ai soupé, c'est le cas de le dire, dans ma fonction de croqueuse de mots, d'entendre énoncer, par des milliers de perroquets, ces trois "valeurs" qui, soit dit en passant, sauf pour l'égalité, n'en sont pas.)
Comme il est difficile, on s'en rend bien compte ces temps-ci, de se définir soi-même, on pourrait alors commencer par examiner ce que les autres disent de nous, la façon dont ils nous perçoivent. Deux discours, en fait. Le premier, qui est le plus fréquent, nous définit comme:
1) Fermés

2) Intolérants

3) Peureux

4) Xénophobes, voire même racistes.
Le second, plus en sourdine mais tout de même présent, nous dit:
5) Généreux

6) Accueillants

7) Ouverts.
Maintenant, comment réagissons-nous par rapport à ces perceptions de nous, surtout les quatre premières?
8) Maîtres dans l'art de l'auto-dénigrement, de l'auto-accusation et de l'auto-dévalorisation. - On absorbe le choc, la claque dans la face, (oui, des belles têtes-à-claques!) et on acquiesce. On se dit: "Ben oui, c'est vrai..." - Tellement peur de passer pour des xénophobes, des intolérants, tellement terrorisés à la seule idée de se faire accoler ces épithètes, tellement peur du jugement d'autrui qu'on se tait, qu'on ne réagit pas et qu'on n'ose même pas protester, ou si peu. Au contraire, nos propres compatriotes, à la tête des médias et de l'intelligentsia, en rajoutent pour tenir le même discours auto-dévalorisant et se montrer encore plus critiques sur ce peuple qui est le leur.
9) Cela se dit "pissous", en bon québécois.
10) Cela se dit aussi "nonos", quand on laisse faire et dire des conneries sur notre compte.
11) Des moutons, qui se font volontiers tondre la laine sur le dos sans dire un mot, bien résignés à ce que ce soit cela, la normalité des choses.
12) Trop humbles, croyant ne pas avoir les moyens intellectuels de dire ce qu'ils pensent, ils se fient aux autres, intellectuellement supérieurs ou perçus comme tels, et leur confient le mandat de les défendre...
13) Individualistes, et ne voulant surtout pas de chicanes, ils préfèrent construire leur p'tit bonheur hors du champ politique et se contenter de "bien faire, et laisser braire".
***
- Mais cette réaction de résigné, de colonisé, est en train de changer, et pas à peu près. La perception que nous avons de nous-mêmes, et notre manière d'être et de vivre, révèlent tout autre chose:
14) Des joyeux lurons, qui aiment rire et s'amuser.
15) Des bons vivants, qui aiment bien manger et bien boire, surtout quand la cuisine est exotique!
16) Des épais, parfois, dans certains cas ou certaines situations. (Cé pas pour rien que l'un de nos héros soit un certain Bob Gratton!!)
17) Des gens qui ont le sens de l'humour, et même de la dérision, et qui savent rire volontiers d'eux-mêmes quand des humoristes, même et surtout ceux venant de l'étranger, prennent leurs travers pour cible.
18) Des gens curieux de ce qui n'est pas eux, intéressés à voyager, à explorer, à découvrir d'autres façons de vivre, de penser, de manger, de croire.
19) Des gens accueillants, généreux, prêts à aider et solidaires.
20) Des gens patients, compréhensifs, gentils, tolérants et ouverts, à tel point, même, que souvent, ces belles qualités se retournent contre eux: ils laissent faire, ils laissent dire, jusqu'à ce que la marmite saute ou que le vase déborde, et obligés alors de rappeler que "Faut pas pousser grand-mère dans les orties".
21) Des gens hyper-tolérants, au point que cette qualité devient un défaut tellement elle dépasse le 100! Nous, c'est "Intolérance 0", alors on tolère tout... - d'autant plus que c'est tellement politiquement correct!!
22) Des très politiquement corrects, justement!
***
NOUS, SOUS L'OEIL CLAIRVOYANT DE BOB GRATTON
Terminons par un rappel historique de la définition de notre Bob Gratton national, dans le premier "Elvis Gratton" (1981) de Pierre Falardeau. La scène se passe dans l'avion, alors que le couple Bob et Linda se rendent en vacances à Santa Banana. Un Français lui demande: "Vous êtes Canadien? Vous avez l'accent."
Bob Gratton: "Moé, J't'un Canadien QUÉBÉCOIS. Un Français canadien français! - (Le Français: ah! bon) - Un Amaricain du Nord FRANÇAIS! Un Francophone, euh..., Québécois canadien. - (Le Français: C'est certain.) - Un Québécois d'expression canadienne française française! On est des Canadiens (Le Français: oui je vois...) amaricains francophones d'Amérique du Nord! (Le Français: oui-oui je vois) - Des franco-québécois..."
Linda intervient: "On est... On est des Francos-canadiens du Québec. (Le Français: oui c'est ça.) - Des Québécois canadiens. (Le Français: les deux, oui)."
Le plus drôle, c'est qu'avant cette historique première prise de conscience publique de notre identité, Bob demande à quelqu'un (pour entamer la communication, l'échange, car dans notre belle épaisseur, on est ouvert aux autres, on aime communiquer, s'informer et échanger):
Bob G: "Vous êtes dans' lutte?" - L'autre: "Oui-oui." - Bob G: "Etes-vous lutteur?" - L'autre: "Non-non-non". - Bob G: "Entraîneur? arbitre?" - L'autre: "Non-non-non." - Bob G, après un court silence: "Moé, j'ai un garage, un gros garage." - Preuve, par A + B, qu'il est plus facile, semble-t-il (du moins pour notre Gratton national!) de se définir par sa profession que par tout autre chose!!!
Au cas où ça pourrait servir, signalons, pour finir, que Mme Asmaa Ibnouzahir, qu'on a entendue récemment à un panel sur les AR, se définit ainsi, quant à elle: "Je suis née au Maroc, et grandi au Québec, Canada. Je me sens alors québécoise de culture, canadienne de citoyenneté, musulmane de foi et marocaine de mémoire." (réf)
RÉFÉRENCES:
Mémoire du CCIQ:
Mémoire de M. Touhami Rachid Raffa:
Extrait d'Elvis Gratton: (le dernier au bas de la page)
Asmaa Ibnouzahir:


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