CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS

Vous avez dit... "contre-argumenter" ?

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier

De tous les types de procédés argumentatifs qui existent, l'un de ceux qui m'a toujours semblé le meilleur, parce que le plus solide et le plus convaincant, est la contre-argumentation, qui consiste à reprendre un argument adverse et y répliquer pour en montrer la non-vérité, ou non-pertinence, ou faiblesse. D'ailleurs, quand je traite d'un sujet, je m'efforce toujours d'abord de bien comprendre un point de vue opposé au mien pour, ensuite, y répondre.
Force nous est de constater que Messieurs Bouchard et Taylor sont passés maîtres et même docteurs en cette matière, car leur rapport est bondé de réponses aux objections contre leur propre façon de voir. Je ne suis guère avancée dans ma lecture analytique de ce très volumineux et très sérieux rapport, mais je puis dire que, minimalement, les chapitres II et III, qui portent sur les demandes d'accommodements, et le chapitre VII, portant sur la laïcité, mettent en oeuvre ce procédé argumentatif.
En ce qui concerne les événements, on sait maintenant, grâce à eux, qu'il n'y a pas eu une "crise des accommodements" mais tout simplement une "crise des perceptions". Pour le démontrer, ils exposent et présentent, dans le chapitre II (Chronologie d'une crise), 66 cas (numérotés, mais comme quelques-uns sont intégrés dans certains autres, ça fait 73 au total) d' "accommodements" ou de demandes, s'étalant de décembre 1985 à avril 2008. Présentation strictement objective des faits, que suit le chapitre III C (Des faits et des perceptions) qui en reprend 15 en deux temps: A) ce qui s'en est dit dans les médias, dite "version stéréotypée des événements") et B) le fait réel, tel qu'il s'est passé (ou se serait passé), le tout démontrant la simple "crise de perceptions" que nous avons vécue, dont la rumeur et les médias sont responsables.
Le chapitre VII, portant sur la laïcité, reprend, quant à lui, 5 idées-clés allant à l'encontre de la laicité dite "ouverte". De questions, parfois insidieuses, en affirmations de valeurs, dont celle, centrale, d' "intégrité morale", les auteurs en arrivent à asseoir sur des bases apparemment très solides LEUR type de laïcité dont ils disent, en plus, qu'il est LE modèle que le Québec a construit au fil des ans et doit parachever...
Mais comme tous les types d'arguments, la contre-argumentation n'est pas infaillible. Convaincante, certes, et d'une force certaine, sauf que dans le domaine des idées, voire des idéologies, les choses ne sont pas si simples et c'est pourquoi il faut revoir attentivement chaque chapitre, et même chaque section de chapitre, de ce rapport.
Et s'il y avait déformation des prises de positions opposées? Et si certains faits n'étaient pas toujours bien présentés ou vraiment fidèles à ce qui s'est réellement passé? Et si on s'apercevait que nos deux sages avaient oublié certains principes fondamentaux qu'il ne faut pourtant jamais perdre de vue? Et s'ils avaient, eux aussi, de simples PERCEPTIONS? (Oh! Ce mot qui semble anodin mais qui est si chargé de sens! Et est-ce crise de perceptions, crise des perceptions ou crise de la perception? - Nathalie Petrovski rapporte que Bouchard aurait dit "crise de la perception". Y a-t-il une différence, comme pour le "DES (et non les) votes ethniques" de Parizeau? - Il faut absolument revoir cela et je le ferai.)
Ne faut-il pas revenir sur des affirmations du genre: "Un traitement équitable de la religion et de sa place dans l’espace public ne peut se limiter à ses effets néfastes, même si ces effets ont été dévastateurs et que, dans certains cas, ils le demeurent aujourd’hui" (p.145)?
Ne faut-il pas examiner de près dans quelle mesure ce rapport ne nous fait pas accepter en douce... le sexisme, et que la question de l'égalité hommes-femmes est loin d'être résolue par leurs recommandations? (Point qui a complètement échappé à Québec solidaire, et même à la Fédération des femmes du Québec...! Assez inouï merci.)
Et que d'autres questions encore! Décidément, ce rapport doit être examiné attentivement, particulièrement par tous ceux et celles qui ont présenté un mémoire. Pour les faits, qui peut mieux en juger que ceux et celles qui les ont vécus? Pour la laïcité, ma foi, le MLQ me semble avoir encore bien du pain sur la planche! - Et quant à moi, avec tous les sujets que j'ai déjà croqués et tous les autres qui sont toujours sur la table et auxquels je n'ai pas encore goûté, j'en ai pour... 11 chapitres, MINIMUM!


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