Voici comment le Québec a perdu le Labrador, un territoire presque aussi grand que l’Italie

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Le Labrador volé

PHOTO TIRÉE DE WIKICOMMONS

Le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau en 1926 à Londres pour plaider la cause du Québec devant le Conseil privé.




François Legault était à Terre-Neuve il y a quelques jours pour négocier avec son vis-à-vis Andrew Furey. Ils ont parlé du contrat de la centrale électrique de Churchill Falls au Labrador signé entre les deux provinces en 1969. Valide jusqu’en 2041, celui-ci nous permet d’acheter l’électricité de Terre-Neuve pour une bouchée de pain et de la revendre à gros prix. Les Terre-Neuviens ne décolèrent pas depuis cette entente. Les Québécois, eux, n’ont jamais oublié d’avoir perdu le Labrador, un territoire presque aussi grand que l’Italie. 


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L’histoire commence avec la Nouvelle-­France. Les cartes de l’époque incluent la terre du Laboureur, ou Estotiland, soit le sud du Labrador actuel. 


En 1713, le traité d’Utrecht donne à l’Angleterre une grande portion de ce qui est aujourd’hui le nord du Québec. 


En 1763, la province de Québec est réduite à la vallée du Saint-Laurent et nous perdons notamment le Labrador. 


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Carte de la Nouvelle-France avec le Labrador, nommé aussi Estotiland.




Désigné par Londres


Le gouverneur de la colonie de Terre-Neuve est alors désigné par Londres comme responsable de la gestion de la côte labradorienne. Celle-ci joue un rôle important pour les pêcheurs de l’île.


Cette situation est toutefois rectifiée en 1774. La Grande-Bretagne veut convaincre les Canadiens (français) de lui rester fidèles. Entre autres choses, elle élargit grandement le territoire de la colonie qui regagne le Labrador. Cette situation est confirmée avec la création du Bas-Canada­­­ en 1791. 


Terre-Neuve toutefois a gardé un droit de gestion de la côte. La situation donne lieu à des disputes territoriales, et, en 1809, le littoral repasse complètement sous contrôle terre-neuvien à la suite d’une décision de Londres. 


Confédération


En 1867, la confédération reçoit un immense territoire, la terre de Rupert, qui était gérée par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Cela inclut le nord du Québec actuel. 


La province et le gouvernement fédéral décident conjointement ensuite d’étendre le territoire québécois vers le Nord, incluant le Labrador, moins sa portion côtière. 



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Un jeu de carte pour apprendre la géographie au jeune roi Louis XIV. On peut lire que la Nouvelle-France est située sur la terre du Laboureur, Terre-Neuve et Estotiland.




Terre-Neuve, qui ne fait alors pas partie du pays, a de son côté des prétentions sur un territoire bien plus grand que la bande de terre étroite que le Canada et le Québec lui reconnaissent. En 1902, on lui octroie une concession de bois le long d’une rivière située à l’intérieur du Labrador, ce qui amène le Québec à protester.


Quelques années plus tard, le litige se transporte au Conseil privé, la plus haute autorité judiciaire de l’Empire britannique. Terre-Neuve et le Canada plaident chacun leur cause devant les juges anglais. 


Même si plusieurs arguments terre-neuviens sont très discutables, les trois avocats du Canada, dont deux choisis par le Québec, sont mal préparés. Ils ne sont pas à la hauteur des Terre-Neuviens.­­­ En 1927, le Conseil privé tranche finalement en faveur des insulaires. 


Pas de gestes concrets


Le Québec protestera longtemps contre cette décision, mais sans jamais poser de gestes concrets au-delà des paroles. Par ailleurs, aucune tentative n’est faite pour tenter de racheter à Terre-Neuve la région perdue.


En 1969, les deux provinces vont toutefois s’entendre sur l’exploitation de la centrale électrique de Churchill Falls. Le Québec fournit alors son expertise et son financement pour bâtir celle-ci. En retour, il achète l’électricité à un prix intéressant pour le marché de l’époque. Le problème est que la valeur de l’énergie électrique va augmenter de façon substantielle par la suite. L’entente de Churchill Falls devient une véritable aubaine pour le Québec.


On verra si François Legault et Andrew Furey réussiront à renégocier cet accord. Quoiqu’il advienne, il y a fort à parier que la saga du Labrador continuera d’envenimer les relations entre le Québec et Terre-Neuve.

 


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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.