Churchill Falls, un contrat parfaitement équitable

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Le Québec devrait en être le propriétaire… et récupérer le Labrador au complet


Au moment où s’amorcent les négociations pour le renouvellement du contrat de Churchill Falls, il est souhaitable de rappeler que ce contrat est toujours équitable, comme il l’était lors de sa signature en 1969. Il n’est pas le produit d’un rapport de force favorisant indûment Hydro-Québec. Il reflète les contraintes technologiques et financières qui prévalaient lors de sa signature.


Brinco, le promoteur obstiné


En 1953, le gouvernement de Terre-Neuve cède les droits d’exploitation sur les ressources hydrauliques, minières et forestières d’une grande partie du Labrador à Brinco (British Newfoundland Corporation), une société privée britannique formée à cette fin, contre des redevances sur ses profits futurs.


Les chutes Churchill apparaissent comme le diamant brut de ces ressources.


Brinco part à la recherche de clients pour cette électricité. Elle approche tour à tour Alcan, Alcoa, British Aluminium, Atomic Energy Authority of Great Britain, Hydro-Québec, l’Ontario et des distributeurs américains. En vain : trop gros, trop loin, trop cher.


En 1958, Brinco convainc pourtant Shawinigan Water and Power, le plus grand producteur et distributeur d’électricité du Québec, de prendre une participation de 20 % dans CFLCo, la filiale de Brinco nouvellement créée pour aménager et exploiter les chutes Churchill.


Pendant la première moitié des années 1960, CFLCo sollicite Hydro-Québec à plusieurs reprises. Encore en vain : Hydro-Québec a déjà entrepris l’aménagement de Manic-Outardes.


La nationalisation de l’électricité, en 1963, verra Hydro-Québec acquérir Shawinigan et devenir, presque par accident, actionnaire minoritaire de CFLCo. Malgré cela, Hydro-Québec montre toujours peu d’enthousiasme pour le projet de CFLCo :


• Les 30 milliards de kilowattheures annuels équivalent à la moitié des ventes d’Hydro-Québec prévues pour le début des années 1970. Ni les Américains ni les Ontariens ne veulent absorber une partie de la production, car ils sont persuadés que le nucléaire ou le mazout sont des options plus économiques.


• Hydro-Québec devrait retarder son propre programme d’équipement — et donc payer plus cher pour construire plus tard Manic-Outardes et la Baie-James. Cela signifierait également priver le Québec d’une bonne partie des retombées économiques associées.


• Le projet Churchill présente un risque inusité pour Hydro-Québec : la centrale sera aménagée sur un cours d’eau dont les droits ont été cédés par une autre province que le Québec. L’avenir démontrera que ce risque n’est pas théorique puisque Terre-Neuve tentera, dès 1980, d’exproprier, sans compensation, CFLCo des droits cédés sur le fleuve Churchill.


Hydro-Québec, CFLCo et les financiers


Le projet devient plus intéressant quand Hydro-Québec, en 1965, met au point le transport d’électricité à 735 kilovolts, qui permet de transporter économiquement de grandes quantités d’électricité sur de longues distances. Après plusieurs péripéties et hésitations, Hydro-Québec décide d’acheter, sans condition, la quasi-totalité de la production de Churchill Falls.


La négociation du contrat implique CFLCo, Hydro-Québec et des institutions financières américaines et canadiennes. Terre-Neuve y participe par l’entremise de sa participation de 8,9 % au capital-actions de CFLCo. Quoiqu’elles ne soient pas directement parties au contrat, Terre-Neuve et le Québec donneront leur approbation.


CFLCo est peu capitalisée. Le projet de plus d’un milliard devra donc être financé à plus de 85 % par des emprunts. Les financiers exigent que la structure financière et le contrat leur offrent une ceinture, des bretelles et un gilet pare-balles.


La ceinture, c’est un contrat très ferme et à très long terme. Les financiers exigent qu’Hydro-Québec s’engage, pour au moins 40 ans, à acheter 31,5 milliards de kilowattheures par an, qu’elle en ait besoin ou non.


Les bretelles, c’est qu’Hydro-Québec assume la quasi-totalité des risques associés au projet. Ils ne sont pas théoriques non plus :


• Hydro-Québec accepte de payer les frais d’intérêt dépassant 5,5 % et 6 %, selon la dette. Les taux finalement obtenus s’élèveront à 7,5 %, 7,75 % et 7,875 %.


• Hydro-Québec achète, avant même la signature de l’entente finale en 1969, la totalité d’une émission de 100 millions de dollars d’obligations subordonnées à celles de première hypothèque — invités à le faire, Brinco et Terre-Neuve refusent de souscrire à cette émission.


• Hydro-Québec souscrit 15 millions au capital-actions de CFLCo, portant sa participation à 34,2 %.


• La dette étant majoritairement libellée en dollars américains, Hydro-Québec assume la quasi-totalité du risque de change si le dollar canadien descend à moins de 0,92 $ américain. Ce sera le cas pendant 30 ans : de 1977 jusqu’en 2007, Hydro-Québec déboursera des centaines de millions à ce titre.


En guise de gilet pare-balles, Hydro-Québec fournit une garantie d’achèvement de l’ouvrage à ses frais si CFLCo, pour quelque raison, n’arrive pas à terminer l’ouvrage ; elle assume tout dépassement de coûts ; elle s’engage à payer pour toute réparation majeure en cas de dommages aux installations.


Bref, les financiers exigent qu’Hydro-Québec assume tous les risques inhérents à la propriété, sans être propriétaire de l’ouvrage.


Pour Hydro-Québec, un tel arrangement est aberrant. Sauf si elle obtient en échange le bénéfice associé à la propriété d’une centrale hydroélectrique : la stabilité des coûts, une fois la construction terminée, pour la durée de vie de la centrale. Pour cette raison, le contrat est prolongé jusqu’en 2041 — en fait, il aurait même été logique de le prolonger jusqu’à l’expiration du bail hydraulique, en 2060.


Pour cette raison, les tarifs décroissent de 0,3 ¢ jusqu’à 0,2 ¢ du kilowattheure sur la durée du contrat. Ils reflètent les coûts historiques, comme pour toute centrale d’Hydro-Québec (les centrales hydroélectriques construites avant Churchill Falls produisent à un coût égal ou inférieur à Churchill Falls). Ces tarifs suffiront à CFLCo pour qu’elle offre à ses actionnaires un excellent rendement, alors que c’est Hydro-Québec qui a assumé tous les risques.


Le Québec n’a aucune dette envers Terre-Neuve, ni financière ni morale.

 




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