Vers un patriotisme financier?

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Bourse - Québec inc. vs Toronto inc.


Juillet 2007: la vente d'Alcan à Rio Tinto est confirmée par les dirigeants des deux entreprises. (Photo François Roy, La Presse)


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Depuis quelques années, la mondialisation a accéléré les fusions d'entreprises ainsi que la création de nouveaux géants industriels. Des fleurons comme Alcan, Inco, Intrawest, Seagram, et le Club de Hockey Canadien sont passés aux mains d'entreprises étrangères.

En revanche, les banques TD et Scotia poursuivent respectivement leur croissance aux États-Unis et en Amérique latine, la Financière Manuvie a acquis John Hancock, en 2003, dans une transaction de 5 milliards, la pétrolière EnCana a fait une percée importante au Colorado, en 2004, et la firme d'information financière Thomson vient de mettre la main sur l'anglaise Reuters. Autre signe des temps, la vénérable marque de voiture Jaguar, jadis l'emblème de la fierté automobile anglaise, est maintenant la propriété du conglomérat indien Tata!
Bien que l'acquisition d'entreprises domestiques par des investisseurs étrangers continue de soulever les passions, ces transactions obtiennent généralement le feu vert des autorités. Tant qu'elles ajouteront de la valeur, elles seront bien accueillies par les investisseurs. Les gouvernements, pour leur part, doivent équilibrer leur cadre réglementaire pour protéger des industries jugées névralgiques tout en permettant la libre circulation des capitaux.
Deux transactions majeures impliquant des entreprises canadiennes, et ayant pourtant obtenu l'aval des actionnaires, ont toutefois avorté la semaine dernière en raison du refus des autorités gouvernementales. Au Canada, le gouvernement conservateur a bloqué la vente de la division aérospatiale de MDA à une entreprise américaine (Alliant Techsystems). C'est la première fois que le Canada bloquait une acquisition étrangère depuis l'adoption de la Loi sur Investissement Canada de 1985. En Nouvelle-Zélande, l'Office d'investissement du Régime de pension du Canada s'est vu refuser l'accès à 39% de l'aéroport d'Auckland. De plus, cette semaine, le gouvernement japonais a utilisé pour la première fois son droit de refus afin de bloquer la vente d'une participation dans une entreprise du secteur de l'énergie.
Dans chacun des cas, l'«intérêt national» a été cité comme raison du refus. Bien que ces trois événements représentent des exceptions et n'annoncent en rien une fermeture imminente des frontières pour les acquisitions, ils coïncident avec une révision généralisée des règles du jeu entourant les investissements étrangers dans la majorité des pays développés. Cette mise à jour s'explique par l'arrivée des fonds d'investissement souverains dans l'arène financière.
Des mandats ambigus
Les fonds d'investissement souverains (sovereign wealth funds) sont des sociétés d'État dont le mandat est de gérer les surplus dérivés du commerce extérieur ou du pétrole. Le fonds d'investissement d'Abou Dhabi (ADIA) est le fonds le plus important avec des actifs estimés à 875GUS. La Norvège gère quant a elle le troisième fonds en importance avec 322GUS d'actifs. Bien qu'il existe certaines similitudes, les fonds souverains sont différents des sociétés d'État à mandats stratégiques (Hydro-Québec ou Sinopec, en Chine, par exemple) et des caisses de retraite publiques (Caisse de Dépôt, Calpers en Californie). Le manque de transparence et l'ambigüité de leur mandat sont les principaux facteurs qui contribuent à nourrir le climat de méfiance à l'égard des fonds souverains.
Les fonds souverains proviennent majoritairement d'Asie et de la région du golfe Persique, et à l'instar de leur économie, leur croissance est phénoménale. De 500 milliards US en 1990, la valeur des actifs des fonds souverains s'est élevée à près de 3200 milliards US l'an dernier, et elle pourrait atteindre 15 000 milliards US d'ici 2015, selon le Fonds monétaire international. Bien qu'ils existent depuis des décennies, ces fonds souverains attirent davantage l'attention depuis qu'ils ont commencé à investir dans des sociétés privées à l'extérieur de leurs frontières.
Jusqu'à tout récemment, la Norvège, Singapour, le Koweït et les Émirats arabes unis détenaient les principaux fonds souverains. La mondialisation et la montée en flèche des prix du pétrole sont toutefois en train de recalibrer le pouvoir économique mondial au profit d'autres pays. De nouveaux acteurs tels que la Chine et la Russie, dont les actifs (c'est à dire les surplus à gérer) augmentent à un rythme annuel de 200 et 40 milliardsUS respectivement, ne comptent pas nécessairement parmi les alliés naturels des puissances de l'Occident.
Parmi les récentes transactions majeures acceptées et mettant en vedette des investisseurs arabes ou asiatiques, on note la prise d'une participation de 10% de China Investment Corporation dans le géant des fonds privés américains Blackstone, ainsi que les investissements des fonds souverains de Singapour, du Koweït et de la Corée dans Citigroup et Merrill Lynch. À l'opposé, la tentative du fonds de Dubaï (DP World) pour acheter des ports américains en 2006 s'est avérée infructueuse, tout comme les offres de compagnies chinoises pour la compagnie énergétique Unocal, et la firme de sécurité informatique 3COM. Dans ces deux cas, le risque pour la sécurité nationale a été invoqué pour refuser les projets de fusion.
La méfiance à l'égard des investisseurs étrangers, notamment ceux dont les objectifs restent flous, laisse présager un vent de protectionnisme qui serait nuisible. Au Canada, alors que nos grandes caisses de retraite tentent de diversifier leurs actifs sur le plan géographique, ce climat de méfiance représentera un défi de taille. Pour les étrangers qui reluquent le Canada, notre secteur des ressources risque d'être le plus attrayant. Il sera toutefois intéressant de voir la réaction du gouvernement fédéral le jour où une entreprise étrangère fera une offre pour une de nos pétrolières en Alberta.
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Vincent Delisle
L'auteur est stratège financier chez Scotia Capitaux.


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