Une lecture sélective

Où qu'il soit, Robert Bourassa a dû bien rigoler jeudi en voyant le 40e anniversaire de sa première élection, le 29 avril 1979, se transformer en foire d'empoigne à l'Assemblée nationale.

JJC - chronique d'une chute annoncée


Où qu'il soit, Robert Bourassa a dû bien rigoler jeudi en voyant le 40e anniversaire de sa première élection, le 29 avril 1979, se transformer en foire d'empoigne à l'Assemblée nationale. Il ne prenait pas très au sérieux les débats parlementaires, qu'il associait au vaudeville. D'ailleurs, lui-même donnait volontiers dans le cabotinage. Quand le spectacle l'ennuyait, il se plongeait dans la lecture de The Economist ou du Canard enchaîné.
Il aurait également trouvé très divertissant de voir la présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay, jouer la vierge offensée. «Pour avoir siégé pendant neuf ans aux côtés de Robert Bourassa, je veux faire état de ma plus profonde indignation», a-t-elle lancé par voie de communiqué, accusant Pauline Marois d'être «totalement incapable de prendre ses distances de la partisanerie politique qui aveugle».
Après la façon indécente dont le PLQ avait lui-même transformé la soirée d'hommage à l'ancien premier ministre en apologie de Jean Charest, lors du récent conseil général tenu à Saint-Hyacinthe, la «profonde indignation» de Mme Gagnon-Tremblay demandait un certain culot. Certains des anciens ministres et collaborateurs de M. Bourassa conscrits pour l'occasion en ont gardé un goût amer.
Selon la présidente du Conseil du trésor, René Lévesque et Jacques Parizeau se seraient comportés «de manière digne et respectueuse» en pareille occasion. Chose certaine, M. Bourassa lui-même n'aurait jamais offert à un adversaire une pareille occasion de le faire aussi mal paraître. Simplement, sur le plan de l'habileté, M. Charest a démontré qu'il ne supportait pas la comparaison avec son prédécesseur.
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Depuis des années, les libéraux s'emploient à présenter M. Charest comme le digne héritier de M. Bourassa ou de Jean Lesage. Lui-même s'est réclamé de cette race de «bâtisseurs». Il est donc tout à fait normal de comparer son bilan au leur. S'il n'est pas à la hauteur, ce n'est pas la faute de ses adversaires.
Bien entendu, Mme Marois a fait une lecture sélective de celui de M. Bourassa. Alors que des odeurs nauséabondes de favoritisme et de corruption flottent dans l'air, il est facile d'opposer les sombres motifs de M. Charest, qui refuse de tenir une enquête sur l'industrie de la construction et le financement du PLQ, à la vertueuse transparence de M. Bourassa, qui a créé la Commission d'enquête sur le crime organisé et la commission Cliche.
La chef du PQ a cependant passé sous silence les manigances de son éminence grise des années 1970, Paul Desrochers, ou encore l'affaire Paragon, à laquelle était mêlée sa belle-famille et qui avait précipité sa chute en 1976.
Mardi soir, le député de Marie-Victorin, Bernard Drainville, a déclaré sur les ondes du réseau Vox que le gouvernement Charest tolérait des choses «qui sont probablement, dans certains cas, mafieuses».
Ce qualificatif aurait parfaitement convenu aux relations que M. Desrochers entretenait avec le directeur général du Conseil des métiers de la construction et vice-président de la FTQ, André «Dédé» Desjardins. Les liens que la CECO avait découverts entre l'ancien ministre Pierre Laporte et des membres de la mafia étaient également très embarrassants.
Même durant la phase 2 de l'ère Bourassa, les activités du grand argentier du PLQ, Tommy D'Errico, et les profits réalisés par des spéculateurs proches du PLQ grâce au dézonage de terres agricoles à Laval étaient aussi répréhensibles que ce qu'on reproche à l'actuel gouvernement.
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Il est facile de comparer l'activisme de Robert Bourassa dans le dossier constitutionnel à la passivité de Jean Charest. Depuis le départ de Benoît Pelletier, qui tentait au moins de faire bouger les choses, le renouvellement du fédéralisme semble avoir complètement disparu de l'écran radar du gouvernement.
À l'époque, «les fédéralistes faisaient encore leur travail», a dit Mme Marois. Il est vrai que, de Meech à Charlottetown, M. Bourassa a consacré énormément de temps et d'énergie à tenter de corriger le gâchis de 1982.
Il y a vingt ans, ses efforts étaient cependant loin de lui valoir les compliments qu'elle lui adresse aujourd'hui. Les concessions qu'il avait péniblement réussi à arracher au Canada anglais étaient presque ridiculisées par le camp souverainiste. Loin d'être un héros, il était traité de «tricheur» et de «naufrageur».
Certes, le comité dont M. Charest avait accepté la présidence, à la demande de Brian Mulroney et avec la bénédiction de Lucien Bouchard, avait encore réduit la portée de l'accord du Lac-Meech, dans l'espoir de rallier les libéraux de Jean Chrétien, mais M. Bourassa avait fini par accepter cette dilution.
Sans diminuer ses mérites, il faut reconnaître que M. Bourassa a eu la chance d'avoir pour interlocuteur à Ottawa un homme aussi désireux que lui de ramener le Québec dans le giron constitutionnel, à une époque où l'opinion publique canadienne, qui n'avait pas été échaudée par un deuxième référendum sur la souveraineté en quinze ans, semblait encore ouverte à certains accommodements.
M. Charest n'est peut-être pas très zélé, mais il fait face à un mur. Il a déjà suffisamment de défauts sans le tenir pour responsable de ceux du pays tout entier.


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