Une hâte suspecte

Québec 2007 - Analyse

Le premier ministre Charest semble réellement déterminé à faire la preuve de la nécessité d'élections à date fixe.
La soudaine annulation du congrès du PLQ, pour les 23, 24 et 25 mars ne laisse aucun doute. À cette date, les Québécois seront plutôt à la veille de se rendre aux urnes. Puisque le système actuel accorde à M. Charest le privilège de choisir le moment qu'il juge le plus favorable aux intérêts de son parti, il serait bien fou de ne pas en profiter, mais la précipitation actuelle a quelque chose d'indécent.
Chercher à profiter du manque de préparation d'un adversaire n'est peut-être pas très élégant, mais cette tactique est tellement habituelle qu'elle ne devrait surprendre personne. Déjà, les partis d'opposition ont bénéficié de quelques mois de plus que ne l'aurait souhaité M. Charest.
Ce qui est moins acceptable dans une société démocratique, c'est de priver volontairement les électeurs d'informations qui leur seraient nécessaires pour faire un choix éclairé.
M. Charest avait traité Gilles Duceppe d'irresponsable quand le chef du Bloc québécois avait évoqué la possibilité de renverser le gouvernement conservateur avant qu'il n'ait eu le temps de déposer un budget. Pourtant, lui-même ne semble voir aucun problème à déclencher des élections sans que la population sache exactement à quoi s'en tenir des intentions fédérales.
À Québec, on n'a aucune assurance que le budget Flaherty sera présenté le 20 mars. Il pourrait même ne venir qu'en avril. Dans le sprint final de la campagne, il serait évidemment le bienvenu, mais il ne constitue plus un élément indispensable de la stratégie libérale.
Dans l'état actuel des choses, on estime qu'il y a moins d'inconvénients à tenir des élections sans attendre le budget fédéral qu'à trop tarder et risquer de voir la «fenêtre» du printemps se refermer brutalement. Même si les chances que les conservateurs soient renversés ont sensiblement diminué, un gouvernement minoritaire n'est jamais complètement à l'abri d'un accident.
Sur la base des transferts fédéraux déjà prévus, les stratèges libéraux croient être en mesure de présenter une plate-forme électorale et un budget suffisamment attrayants. Même si le budget fédéral était retardé, M. Harper donnera suffisamment de signaux pour convaincre les électeurs que le déséquilibre fiscal est en bonne voie d'être corrigé.
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Lors du dixième anniversaire du référendum de 1995, le premier ministre avait poussé des cris indignés quand des souverainistes avaient prétendu qu'il avait été «volé» par le camp du non. Alors pourquoi cet empressement à devancer la publication du rapport Grenier sur les activités d'Option Canada? Si le référendum n'a pas été volé, serait-ce qu'il a été acheté?
Selon The Globe and Mail, André Boisclair a profité du huis clos de la Conférence des président(e)s du PQ, samedi dernier, à Québec, pour dévoiler le volet de sa plate-forme qui portera sur la souveraineté.
Un gouvernement Boisclair reprendrait à son compte la formule des commissions régionales, sur le modèle de celles que le gouvernement Parizeau avait créées en 1995. Au lendemain d'une victoire du oui, une Loi sur la transition établirait les termes de la négociation avec le Canada. Il resterait cependant à déterminer si l'indépendance serait déclarée unilatéralement en cas d'impasse dans les négociations.
Inévitablement, la question de l'utilisation des fonds publics pour faire la promotion de la souveraineté sera soulevée au cours de la prochaine campagne électorale. Il y a cependant deux côtés à la médaille: le livre de Normand Lester et Robin Philpot, Les Secrets d'Option Canada, a soulevé des questions suffisamment troublantes sur le financement du camp du non pour justifier la tenue d'une enquête. Le rapport Grenier constituera une pièce essentielle au dossier.
Même si les activités d'Option Canada n'ont aucun rapport avec «l'argent sale» des commandites, on ne s'embarrasse pas des nuances dans une campagne électorale. Même si M. Charest lui-même n'était au courant de rien à l'époque, trop de gens liés au PLQ ont été impliqués d'une manière ou d'une autre. Il traînerait ce boulet d'un point de presse à l'autre.
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Un incident suffit parfois à faire déraper une campagne. Au printemps 2003, tout allait pour le mieux pour Bernard Landry, quand une déclaration de Jacques Parizeau au cégep de Shawinigan l'a complètement déstabilisé. Il ne s'en est jamais remis.
Au moment où il entrevoit la possibilité d'un deuxième mandat, qui semblait hors de portée il y a un an, le premier ministre n'entend pas prendre le risque de voir Option Canada perturber sa campagne.
Même si les sondages de Léger Marketing et de Crop rendus publics la semaine dernière indiquaient un grand désir de changement dans la population, les focus groups font croire aux libéraux qu'il va en s'atténuant. Bien que plusieurs régions traversent une période difficile, l'économie n'est pas considérée comme un facteur négatif, et des irritants comme la vente du mont Orford ne semblent plus agacer les indécis.
Autre changement notable: M. Charest ne suscite pas encore une grande affection, mais il est considéré avec plus de respect. On donne maintenant du monsieur à celui que l'on appelait la plupart du temps «le frisé».
Les mésaventures d'André Boisclair ont été suivies avec la plus grande attention par l'entourage du premier ministre. Au moment où lui-même gagne en stature, le chef péquiste projette aux électeurs l'image d'un homme contesté par ses propres troupes. Il n'y a aucune raison de lui laisser le temps de se ressaisir.
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mdavid@ledevoir.com


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