Une couverture médiatique dégueulasse

Les raisonnements repris ont plus pour mission de faire suffoquer le débat que de permettre à la population de poursuivre un travail de réflexion.

Chronique d'André Savard

Depuis au moins quinze ans, le thème de l’illégitimité du Bloc Québécois est utilisé de façon obsessionnelle. On le tient responsable du labyrinthe de paradoxes dans lequel vivrait la population québécoise. Comme dans un jeu perpétuellement ouvert, ce thème a cheminé à des fins stratégiques sans tenir compte des réponses. Par rapport à la nation québécoise et à son droit de représentation, la stratégie est omniprésente dans le domaine de l’information. Les raisonnements repris ont plus pour mission de faire suffoquer le débat que de permettre à la population de poursuivre un travail de réflexion.
L’armada contre le Bloc a atteint un degré de virulence aveugle depuis au moins deux ans. Au cours des semaines précédant les élections, cette chronique portait exclusivement sur le Bloc Québécois. La raison en était bien simple. Malgré des sondages avantageux, il semblait que depuis très longtemps une fenêtre d’observation était fermée et que toute considération à l’égard du Bloc se dirigeait vers des conclusions tronquées. On ne cessait de lire que les gens du Bloc n’étaient que des “chialeux”, des “impuissants, des brandons de discorde.
Au lendemain de la défaite, vous avez lu que Gilles Duceppe était un des parlementaires parmi les plus respectés au Canada. Avez-vous lu ce fait une seule fois avant la défaite? À Radio-Canada on a entendu Simon Durivage ironiser sur le bloc qui se fissurait et suggérer à Jean-Pierre Charbonneau que ce parti avait un vice de fabrication. Alain Dubuc écrivait que le Bloc était sur une autre planète. Lysiane Gagnon écrivait que le Bloc cantonnait le Québec dans une “bulle toxique”.
On a décrit Gilles Duceppe sans poser de limite à l’arbitraire comme un colérique qui « pète une coche ». On a relégué toute version discordante comme un contrepoint discret jusqu’à la quasi inexistence. On écrivait sans arrêt que le sort national du Québec était totalement dissociable de sa représentation fédérale puisque les choses allaient se décider à Québec. Puis on disait qu’au niveau fédéral, le fond du rapport du pouvoir se base sur le fait que nous sommes tous des Canadiens consentants et que l’actuelle balance du pouvoir entre provinces est basée sur le bon compromis. S’il faut accepter cette contre-vérité d’entrée de jeu pour se présenter au Fédéral, aussi bien inscrire sur le bulletin de vote que tout bon député québécois est un fonctionnaire du régime.
Il n’y avait pas d’objections touchant le discours ambiant. C’était comme un discours de vérité qui, par son évidence, ne souffrait pas de réparties. Pas une mention sur la double légitimité, pas une mention sur l’inclusion d’une nation minoritaire dans les procédures du pouvoir prédéfinies par le régime canadien; pas une mention sur les majorités partisanes pancanadiennes et leurs antécédents quand il s’agit d’appuyer les mesures unitaristes canadiennes. On dirait que la représentation des choses ne voulait plus tolérer de dissonance et on faisait passer la problématique expliquant l’existence autant passée qu’actuelle du Bloc comme une pure fiction.
Le journal La Presse et la radio-poubelle de Québec ne se comportaient même plus comme des organes de presse affiliées aux forces fédéralistes. On est passé carrément de l’information biaisée à la démonstration volontariste du dédain face au Bloc. Ils démontraient un dédain négateur. Il en allait de même au réseau LCN avec Jean Lapierre. Benoît Bouchard, analyste au Club des Ex, ne cessait de répéter que le Bloc engendré par l’échec du Lac Meech relevait d’un plan revanchard daté sans la moindre pertinence actuelle.
Avec un tel portrait, l’électeur finit par se jeter par la seule fenêtre qui reste. Comment a-t-on pu répéter que le Bloc ne faisait rien? Traiter Gilles Duceppe de « gros yeux » fêlé par l’idéologie? On a pu dire que le Bloc était un lieu d’internement du Québec et qu’être du côté du pouvoir était la seule caution, la seule garantie pour le Québec dans sa relation avec le Fédéral. Les airs médiatiques ressemblaient à une vaste opération de justification a priori du balayage de la semaine dernière.
Il n’y a pas d’interrogations dans les grands médias sur le projet canadien par rapport au Québec. Sous prétexte qu’il faut être médiatiquement au neutre sur la question du Québec, on présente le Canada comme un continuum essentiel qui exerce un droit naturel au Québec et dans les autres parties du pays. Fatalement, le Bloc ne peut finir que par paraître comme un désordre à réparer.
On prêche non pas la représentation du Québec mais la solidification, l’intensification d’une parenté en réseau dans toutes les parties du « pays », ce mot n’ayant qu’un seul sens sur les grandes chaînes. La liberté d’opinion permet certes de soutenir que c’est là la vraie vocation d’un député fédéral en autant qu’il y ait un “mais” quelque part. Comment se fait-il que l’on se soit gaussé du salaire des députés du Bloc? Ils voleraient leur salaire parce qu’ils ne sont pas des fonctionnaires du régime? Jusqu’où va le devoir d’alignement des députés du Québec pour pouvoir revendiquer des effets sur la conduite du pays?
Le discours sur l’impertinence du Bloc accouplait des slogans et des accusations sans répondre à la moindre question. Les médias ont le droit de se dire au neutre sur la question nationale mais répéter que la situation du Québec peut être prise en charge par des majorités partisanes pancanadiennes sans risque, c’est du déni.
L’essentiel, c’est que le régime fonctionne et le Québec doit voter pour que le régime fonctionne avec les partisans de l’unité canadienne. On a vu carrément les médias en mission avec des objectifs trop reconnaissables. Le lieu pour poser les vraies questions ne figurait pas dans l’horaire. De toute manière, ils sont payés pour arriver systématiquement à l’énoncé que la question québécoise relève du repli sur soi.
André Savard


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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    15 mai 2011

    Depuis que la TV existe je n'ai jamais vu autant d'animateurs jouir ouvertement de la défaite d'un parti.Ils essaient de se retenir mais n'y parviennent pas.C'est le cas à la radio aussi avec Arcand,Lapierre,Dumont,le ticoune Duhaime,Maréchal qui épaulent bien Les Durivage,Bruneau,Mongrain...et autres colonisés du même type.
    Leurs campagnes de dénigrement du Bloc(depuis sa création) ont enfin porté fruit.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mai 2011

    Monsieur Savard,
    Il devient de plus en plus évident que le mouvement indépendantiste devra se doter de moyens journalistiques professionnels afin de contrer la désinformation fédéraliste et de répliquer adéquatement aux attaques vicieuses des journalistes grassement payés par Radio Canada, Gesca, TVA, V.
    Dernièrement, Patrick Bourgeois, dans une article dans Vigile sur le sujet, mentionnait qu'il est primordial que nous nous investissions dans un média souverainiste professionnel sans quoi nous gagnerons jamais. D'ailleurs il mentionne avec raison qu'un média souverainiste professionnel est plus important que le parti politique souverainiste même. Sans aucun média pour nous défendre ou répliquer, les fédéralistes auront toujours beau jeu. C'est l'évidence même.
    Vigile aura toujours sa raison d'être mais je crois sincèrement que les indépendantistes devront mettre la main dans leurs poches et devront investir de façon importante dans un média national composé de professionnels et professionnelles afin de représenter adéquatement le point de vue du souverainisme québécois.
    Il faut arrêter de "bitcher" et passer à l'action.
    Fernand Lachaine

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mai 2011

    "...alors que les fédéralistes font montre d’une solidarité exemplaire."(Yves Rancourt)
    C'est vrai. L'élite fédéraliste utilise beaucoup les médias fédéralistes. Leur assurant ainsi beaucoups de lecteurs. C'est même pas un secret en communication.
    Il aura fallu attendre que les fédéralistes parlent (en mal) de Vigile pour en augmenter les ventes.
    Si l'élite souverainiste utilisait les médias souverainistes pour faire leurs déclarations choc, les médias fédéralistes seraient OBLIGÉS de publiciser la source.
    C'est pourtant pas sorcier. Même un amateur en communication y aurait déjà pensé.
    Moi j'appelle ça une critique constructive pour un article sur la couverture médiatique dégueulasse.
    Vigile existe depuis 1995 !

  • Yves Rancourt Répondre

    8 mai 2011

    Monsieur Savard,
    Je vous donne largement raison. C'est vrai, comme plusieurs le disent, que le Bloc n'a pas fait une très bonne campagne mais on a senti dès le début que les forces fédéralistes s'étaient données deux objectifs, et les médias avaient à cet égard un rôle central à jouer: sortir le Bloc d'Ottawa et donner une majorité à Harper. Et on y a mis toute la gomme, à la fois en relayant tout ce qui pouvait se dire de négatif sur le Bloc et en surexposant le NPD et son chef, même dans les médias de droite où, normalement, on ne se gêne pas pour critiquer tout ce qui vient de la gauche. Influence communication a dit ces derniers jours que le NPD avait été le parti le plus médiatisé de la campagne, et a ajouté que le parti le plus médiatisé a, de tout temps, toujours été celui qui a gagné les élections.
    Ce que j'ai trouvé de plus choquant dans tout ça, c'est de voir le malin plaisir que prenaient ces médias fédéralistes à relayer les critiques qui provenaient du camp souverainiste( ceux d'Éric Bédard, de Daniel Breton et de combien d'autres). Ce qui me fait dire que le mouvement souverainiste a lui-même contribué pour beaucoup à la défaite du Bloc. Et, si je me fie à ce que je lis sur Vigile, il contribuera tout probablement aussi à la défaite du PQ aux prochaines élections.
    Monsieur Savard, il est navrant voire désespérant d'entendre autant de critiques venant de notre propre camp, alors que les fédéralistes font montre d'une solidarité exemplaire. Quand on examine de près et objectivement les énormes moyens dont disposent les forces fédéralistes, et leurs médias en ont fait la preuve dans cette campagne, on se dit que le projet de pays ne sera possible que si on sait faire montre d'une discipline et d'une solidarité sans failles, mais je commence à douter sérieusement que l'on puisse bâtir un telle solidarité.
    Salutations à vous.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mai 2011

    Et si ces tirades qui rendent responsables un establishment souverainiste étaient celui des rebelles dociles? Le militant de la base qui accuse le manque de modestie des élites et qui se réjouit des défaites des vedettes souverainistes,disant que l'on doit prendre l'élite souverainiste par la peau du cou, c'est quasiment une spécalité de certains milieux souverainistes.
    André Savard

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mai 2011

    M. Savard,
    vous nous faites le procès des médias fédéralistes comme seuls responsables de la défaite du Bloc.
    Mais pourtant, ce sont bien les indépendantistes qui sont les électeurs qui ont maintenu le Bloc à Ottawa pendant toutes ces années.
    Ces indépendantistes ne le sont pas devenus en consommant ces médias fédéralistes.
    Comment donc ces médias fédéralistes ont-ils pu changer l'option de ces indépendantistes ?
    Ce que vous sous-entendez, par votre complète ommission des médias indépendantistes, tel que Vigile, c'est que ceux-ci sont innutiles et sans effet.
    Pourtant, je n'ai jamais lu un seul texte de Gilles Duceppe publié sur Vigile. J'ai souhaité voir une réponse ou explication logique de Gilles Duceppe sur le fait que Éric Duhaime fut son conseiller politique, mais elle n'est jamais apparue sur les médias indépendantistes.
    M. Savard, moi je suis un Québécois indépendantiste et je me réfère qu'aux médias indépendantistes, comme Vigile. Ce que les médias fédéralistes gribouillent je m'amuse à moquer et démolir, comme la plus part des indépendantistes.
    Vous ne trouvez pas étrange que l'élite "souverainiste" a toujours évité les médias indépendantistes ?

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mai 2011

    C'est pas le discours sur l'illégitimité du Bloc qui me dérange. On est habitué.
    C'est le discours insignifiant du Bloc (Parlons Qc) pendant la campagne électorale qui a causé sa perte.
    C'était plate. C'était ennuyant. C'était désolant. Le Bloc n'avait rien d'autre à dire que le sempiternel discours sur "la défense des intérêts du Québec et la "chouveraineté ronronnante" de fin de semaine, la main sur le coeur.
    Moi qui suis indépendantiste, je me suis forcé pour aller voter pour le Bloc. Et beaucoup de mes parents et amis pourtant indépendantistes se sont tournés vers le NPD.
    C'est entièrement de leurs fautes s'ils ont perdu. Au lieu de mettre carrément le cap sur l'indépendance et donner le signal du départ en vue des prochaines élections provinciales, ils ont endormi tout le monde, comme de bons rentiers qu'ils sont devenus.
    Et il va arriver la même chose au PQ s'il ne change pas son discours aseptisé.
    Pierre Cloutier

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mai 2011

    Le discours de Parizeau, le discours de Marois, les insultes de Duceppe,
    et de Drainville, Réunion de 1500 NPD dans le comté de Duceppe,
    tout ça avec l’aide des médias, ont détruit le bloc et rien d’autres !
    Ils se sont fait Hara-Kiri le lendemain du premier sondage négatif dans cyberpresse.
    Il fallait la fermer et ne pas réagir négativement, ils ont fait le contraire !
    Pourtant le soir du débat des chefs ça allait bien pour Duceppe.
    En politique celà ne pardonne pas, je me demande même si ils ont pas fait exprès
    de se sortir d’Ottawa? À quoi ont servi les conseillers politique ?
    Pourquoi ils ont paniqués au lieu de prendre ça cool?
    Très WEIRD la façon dont le Bloc à réagi à la critique je trouve !
    Y'a peut-être (j'en doute) un coté stratégique à tout ça ?!