Une affaire de posture

Chronique de Robert Laplante


L’été n’aura eu raison ni du cynisme ni de la schizophrénie. Au beau milieu du mois de juillet, alors que Stephen Harper annonçait un contrat militaire de 17 milliards, nous avions droit, en complément, aux simagrées de l’insignifiant député conservateur de Jonquière-Alma tentant de nous faire peur avec les avions russes violant l’espace aérien de notre beau et grand Canada. Et l’ineffable de laisser entendre que les retombées du contrat pourraient avoir d’heureuses conséquences à Bagotville. Voilà ce que c’est quand on est du côté du pouvoir…
Les bonnes âmes n’ont évidemment pas manqué de se scandaliser du fait que la manne ait été octroyée sans appel d’offre. D’autres, un peu plus perspicaces, n’ont pas manqué de noter que le choix de l’appareil traduisait à la fois une plus grande intégration au système continental et un changement de plus en plus affirmé des paramètres de la politique de défense canadienne. Ces appareils sont conçus pour l’offensive et le Canada conservateur aime bien rouler des mécaniques. Ils sont nombreux au Québec à déplorer la chose et à se consoler en se disant que cela n’est pas le Canada qu’ils aiment.
Comme si le Canada et le gouvernement Harper en avaient quelque chose à faire. Le Québec ne compte pour rien et pour personne, sinon pour quelques stratèges à la recherche de circonscriptions supplémentaires dans la belle province. L’indignation vertueuse, c’est pour consommation locale. Le Canada s’arrange avec ses débats, le Québec s’imagine encore partie prenante et la caravane passe.
Et elle est vite passée. Le cynisme que l’on a reproché ici à Stephen Harper n’a que fort peu à voir avec le délitement de la culture politique québécoise. C’est celui de la froide effronterie d’un homme et d’un gouvernement déterminés à rompre un ordre des choses sans plus faire de concessions au Québec, mêmes cosmétiques. Le calcul est d’autant plus aisé à faire que le Parti libéral et le NPD nagent en plein désarroi. Ils sont incapables de produire une vision, un projet national pour le Canada. Harper le peut, il l’élabore et le met en œuvre. Ceux qui au Québec se consolent de se trouver des affinités avec ceux que le projet national canadian laisse en rade, se paient de mots. Les écolos de Calgary, les pacifistes de Toronto, les progressistes de Windsor, les indignés de Saskatoon ou de Vancouver n’ont que faire de cette sympathie, sinon qu’elle pourrait servir éventuellement de matériau pour leur permettre de se donner une meilleure prise sur le pouvoir à Ottawa. Ils sont engagés dans une dynamique canadian où le Québec ne compte et ne comptera jamais pour lui-même.
Ici, c’est d’un tout autre cynisme qu’il est question. Il carbure à la lâcheté et non pas à l’effronterie. Ce n’est pas le fait de politiciens qui cherchent à forcer le jeu, bien au contraire. Le cynisme de la classe politique québécoise nourrit celui, grandissant, de nombres de citoyens qui n’en peuvent plus de subir les défilades. Le décrochage civique qui menace ne servira certainement pas notre situation nationale. Pire encore, il est susceptible de fournir un contexte encore plus favorable à l’enfermement canadian. Il rendra plus facile et plus terrible encore la dissociation, l’éloignement du réel.
Il y a, en effet, quelque chose de totalement schizophrénique dans la réaction molasse à l’annonce du contrat militaire de cet été, et plus globalement, dans l’indifférence à peu près généralisée à l’augmentation de près de 50 % du budget militaire depuis que les conservateurs sont au pouvoir. La classe politique québécoise est si prisonnière de son propre refus de nommer correctement les choses qu’elle est totalement incapable de camper clairement les termes de nos choix collectifs. Alors que le gouvernement Charest érige l’injustice en politique avec la franchise santé, alors qu’il saccage les conditions d’accessibilité aux études supérieures, qu’il asphyxie les services publics, le gouvernement d’Ottawa flambe des milliards de nos impôts en dépenses militaires et le débat public se déroule sans que des liens ne soient faits entre les choses.
Il paraît que le Québec manque de revenus. Qui pense qu’il vaut mieux plus de tanks et moins de garderies ? Qui ose le soutenir ici ? Qui croit qu’il vaut mieux plus d’avions de chasse et moins de jeunes à l’université ? Qui pense qu’il vaut mieux plus de sous pour s’offrir des blindés quitte à payer plus cher pour accéder aux soins ? Qui le dit aux Québécois ? Qui leur apprend à soupeser les termes de ces alternatives ? Qui leur demande si c’est là l’usage optimal de leurs impôts ? Qui leur propose de les examiner comme choix de régime ? Qui prend la peine d’expliquer que manquer de revenus c’est une manière de dire qu’il faut vivre avec les moyens que le Canada nous laisse ?
Les inconditionnels du Canada ont fait leur lit : mieux vaut l’injustice que la rupture. Ils ont toujours une bonne raison pour prétendre qu’il est plus raisonnable de retourner contre le Québec les conséquences des choix canadian. Rien à leurs yeux ne sera jamais trop cher payé. Il n’y a pour eux aucune injustice québécoise, que des inconvénients et de la matière à patienter aussi longtemps que le Canada le jugera nécessaire, le temps autrement dit, que le gros Coderre poursuive sa carrière, que Raymond Bachand finisse par se croire un homme d’État.
Il reste les autres, ceux-là qui se disent encore souverainistes, mais qui restent incapables de tenir systématiquement une ligne politique reposant sur une critique constante du régime. Ils craignent la chicane. À Ottawa, ils sont même nombreux à penser qu’ils doivent d’abord être « responsables », c’est-à-dire se comporter de manière à éviter que le Canada n’entre en crise sur nos revendications et nos choix de société. Voilà vingt ans que ça dure. Et l’on ne voit pas l’heure que ça s’arrête. Ce serait trop dur d’être responsable vis-à-vis le peuple du Québec et devant lui seul. Ce serait trop dur – et trop risqué, paraît-il, sur le plan électoral – de se consacrer entièrement au procès du régime en retournant contre lui et ses ressources et ses institutions. Ça ferait de mauvais éditoriaux dans le Globe and Mail. Et il y aurait de la chicane. Et c’est bien connu, les Québécois préfèrent qu’on saccage leur maison plutôt que de se faire dire des gros mots.
Les choses vont donc continuer d’aller à vau-l’eau. Du moins tant que le Québec ne retrouvera pas sa capacité de se penser dans l’altérité radicale. Ce n’est pas une affaire de gouvernance – fût-elle souverainiste comme une promesse. C’est une affaire de posture. Il ne suffit pas de dire le Québec et le Canada dans chacune de ses déclarations, il faut penser dans les termes de cette alternative, c’est-à-dire faire de la politique en disant et en se comportant devant le Canada comme devant un pays étranger. En toute chose. Et en particulier en ce qui concerne l’usage de nos impôts, il est temps de se mettre à compter.
Il ne servira plus à rien de se flatter l’identitaire provincial quand nous aurons laissé saccagé les acquis et financé le saccage à même nos impôts et par la démission d’une élite politique inepte. Le débat public s’est déporté dans les limbes. Les affaires canadian sont traitées comme si elles n’avaient pas d’incidence déterminante sur le rétrécissement de notre horizon. Plus grave encore, elles restent à la périphérie de notre monde, redisant ainsi notre existence évanescente de minorité sans prise réelle sur les enjeux qui façonnent son destin. Le Québec se perd de vue et du même coup s’interdit de nourrir une vision claire de son rapport au monde. L’achat des avions militaires ne renvoie pas seulement qu’aux priorités de dépenses, il renvoie à une conception des relations internationales et à une politique étrangère devant lesquelles nous sommes passifs et impuissants. Il y a des limites à s’accommoder de l’irresponsabilité.
L’été qui s’achève nous aura laissés dans l’errance. L’on ne sait plus même très bien où elle nous laisse : dans la maison Québec ou dans les terrains vagues canadian. Notre posture hésitante et confuse nous prive d’un véritable point de vue sur le monde.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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