Un groupe de personnalités du monde politique et social a lancé, le week-end dernier, un mouvement pour relancer le débat sur les vertus du scrutin proportionnel. Le collectif a commencé à faire circuler une pétition qui réclame que nos élus abandonnent le système actuel uninominal à un tour d'ici les prochaines élections.
C'est certainement une bonne chose de poursuivre la réflexion sur les imperfections de notre mode de scrutin. Mais les membres de ce collectif ne pouvaient pas choisir un aussi mauvais moment pour rouvrir ce dossier, au lendemain d'une élection qui contredit largement leur thèse. Ils ne pouvaient pas non plus trouver un aussi mauvais moyen de défendre leur cause que cette pétition qui pèche par son simplisme.
Ces défenseurs d'un scrutin proportionnel proviennent de divers horizons: l'ancien président de Desjardins, Claude Béland, qui prolonge une bataille qu'il mène depuis des années, le co-fondateur de l'ADQ, Jean Allaire, d'ex-politiciens, comme Jean-Pierre Charbonneau, Louise Beaudoin et Lisa Frulla, le président de la CSQ, Réjean Parent, Luck Mervil.
Ces gens de bonne volonté déplorent dans leur pétition la «distorsion que provoque notre mode de scrutin entre le nombre de voix recueillies par un parti et le nombre de sièges obtenus à l'Assemblée nationale», ou encore la sous-représentation des femmes et la mauvaise représentation ethnocultutrelle.
Mais quel affreux «timing»! Pour une fois, leurs remarques ne s'appliquent pas. L'élection du 26 mars a permis au pluralisme de s'exprimer, et le mode de scrutin a bien reflété le tripartisme que souhaitait la population. Plus encore, les distorsions entre les suffrages exprimés et les sièges à l'Assemblée nationale ont été réduites au minimum. Avec 33,1% des voix, le PLQ détient 38,4% des sièges; avec 30,8% des voix l'ADQ obtient 32,8% des sièges et le PQ, avec 28,3% des voix, dispose de 28,8% des sièges. Ce n'est pas parfait, mais il est rare qu'un système proportionnel, à moins d'être absolu, donne de meilleurs résultats.
Le seul défaut, c'est que les deux petits partis, Québec solidaire et le Parti vert, n'ont pas de siège à l'Assemblée nationale même s'ils ont tous deux obtenu presque 4% des suffrages. Mais là encore, bien des systèmes proportionnels, ailleurs dans le monde, n'accordent pas de sièges à de tels partis marginaux.
Le timing affreux, c'est aussi parce que les Québécois, pour la première fois de leur vie, se retrouvent avec un gouvernement minoritaire, une situation intéressante, mais qui comporte assez d'inconnues pour que les citoyens ne tiennent pas nécessairement à en faire une habitude. Ils voudront d'abord voir ce que ça donne.
À ce chapitre, la pétition du collectif est proprement incohérente. Ses signataires déplorent le fait que «le gouvernement libéral minoritaire est appelé à gouverner à la pièce, avec une légitimité réduite». Ils plaident pour la proportionnelle en évoquant «la difficulté, avec le mode de scrutin actuel, de former des gouvernements représentant la majorité des citoyennes et des citoyens». Mais justement, ce sera encore pire avec un système proportionnel, où un parti ne pourra plus détenir la majorité en chambre sans obtenir la majorité des voix.
À moins que l'on transforme radicalement nos institutions parlementaires et notre culture politique pour favoriser des coalitions. C'est peut-être ce que les auteurs avaient en tête. Mais comme ils n'évoquent même pas cette avenue, leur démarche est bancale.
Le timing est enfin affreux parce que l'Assemblée nationale, avec un gouvernement minoritaire, n'est pas vraiment dans une situation pour se lancer dans une aventure aussi délicate, où les intérêts partisans pèseront lourd.
Et c'est là que la pétition devient vraiment agaçante. «En conséquence, nous demandons aux députés de l'Assemblée nationale et au nouveau gouvernement de procéder immédiatement à la réforme de la Loi électorale afin que la prochaine élection se déroule avec un nouveau mode de scrutin produisant un résultat proportionnel et afin de corriger les défauts de sous-représentation du système actuel.»
Cet «immédiatement» est indéfendable de la part de gens sérieux, un militantisme juvénile qui n'a pas sa place dans un débat aussi complexe. L'Assemblée nationale est certes avancée dans sa réflexion sur cette question. Mais le choix de la formule de proportionnelle, et la mesure des impacts sur la nature même du parlementarisme - deux volets majeurs du débat que la pétition n'évoque même pas - exigeront du temps et de la réflexion.
Et surtout, n'oublions pas la question de fond. S'il est important de prendre les moyens pour que chaque vote compte, pour restaurer la légitimité du processus démocratique, il est encore plus important de s'assurer que les gouvernements puissent gouverner le mieux possible. C'est un arbitrage difficile, qu'on ne règlera pas à coups de «immédiatement».
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