"Quelque chose comme un grand peuple" - Joseph Facal

Un redressement national à la Facal

PQ - XVIe congrès avril 2011


Personne ne contestera à [Joseph Facal->25173] son statut de commentateur énergique de la société québécoise. L'homme est brillant, parle et écrit clairement, a une expérience politique concrète à son actif et aime passionnément le Québec, son pays d'adoption. Souverainiste convaincu et convaincant, il continue de se définir comme un homme de gauche, même s'il a signé le manifeste Pour un Québec lucide, plutôt identifié à la droite économique. Facal, en fait, incarne, au Québec, ce qu'on a appelé, ailleurs, la «troisième voie», une option qui s'apparente à une sorte de gauche de droite, c'est-à-dire à une sensibilité de gauche assortie de solutions libérales.
Dans Quelque chose comme un grand peuple, Facal entend «faire le point et poser au moins les bases conceptuelles d'un redressement collectif québécois». «Le Québec, note-t-il, reste évidemment une société où il fait bon vivre. Mais, tout en prenant garde de ne pas idéaliser le passé, on sent que cette société peine en ce moment à se trouver un sens, qu'elle manque d'élan, qu'elle se cherche comme un second souffle.» Ce constat est difficile à contester. Aussi, dans ces conditions, que faire?
«Pour l'essentiel, répond Facal, nous le savons.» Vraiment? En faisant comme s'il existait des réponses connues et uniques aux problèmes qu'il soulève, l'ex-ministre emprunte une voie qu'il prétend lui-même rejeter. «Quand un homme politique se réclame du pragmatisme intégral ou du sens commun, écrit-il justement, c'est généralement parce qu'il dissimule une idéologie qui ne veut pas dire son nom ou parce qu'il n'est pas conscient d'en avoir une.» Or c'est souvent l'impression qu'on a à la lecture de ce Quelque chose comme un grand peuple.
Facal déploie son argumentation sur deux plans: le national et le social. Il développe d'abord son point de vue sur l'histoire du Québec. Selon lui, notre saine ambivalence, saluée par les fédéralistes Jocelyn Létourneau et André Pratte, nous fut imposée plutôt que choisie. Quant à la redéfinition de la nation québécoise proposée par Gérard Bouchard, «sur des bases essentiellement linguistiques, territoriales et légalistes», elle ne donnerait à cette nation «qu'une cohérence strictement formelle, sans épaisseur authentique, sans une véritable conscience historique largement partagée et profondément assumée». Pour Facal, le sujet central de notre histoire reste «la majorité francophone du Québec», et son «intention nationale primordiale» se résume à «une recherche d'autonomie croissante par rapport à l'Autre». Cette lecture, très près de celles des Joseph-Yvon Thériault et Jacques Beauchemin, règle efficacement le sort des thèses de Létourneau et Pratte, mais laisse en plan les richesses de la lecture bouchardienne, qui méritent mieux.
Facal, sur son élan, se livre à une critique du multiculturalisme qui, en posant «la relative équivalence de toutes les cultures», attaquerait la «cohésion sociale et l'identité nationale du Québec». Peut-on, cela admis, en dire autant de l'interculturalisme défendu par Gérard Bouchard? Facal répond oui, en plaidant que «la culture du groupe francophone majoritaire» doit être «le creuset d'une convergence fondamentale qui doit advenir». Or, posons la question: une fois que l'on a imposé, à tous, l'usage du français dans l'espace public, le respect des lois et chartes québécoises (notamment l'égalité hommes-femmes et la laïcité) et l'enseignement de notre histoire et de notre littérature à l'école, jusqu'où peut-on aller, encore, dans l'imposition de nos valeurs? L'intégration est un devoir; l'assimilation, une option. Facal pense-t-il, lui, qu'on ne peut être Québécois en restant relativement attaché à d'autres identités?
Quand il rappelle «les cinq raisons fondamentales de vouloir encore la souveraineté du Québec», l'essayiste est au sommet de sa forme. Les francophones, explique-t-il, ne seraient plus soumis «au bon vouloir de la majorité anglophone», ils seraient majoritaires dans leur pays et pourraient assurer l'épanouissement de leur identité culturelle, ils seraient enfin vraiment libres, le débat démocratique, délesté de la question nationale, pourrait se déployer pleinement et le Québec aurait une voix sur la scène internationale. La démonstration est claire et forte.
Toutefois, quand il traite de la réforme scolaire et du cours Éthique et culture religieuse, Facal se fait bassement pamphlétaire. Il ne semble connaître, de ces dossiers, que le point de vue des opposants à ces réformes (il l'avoue presque dans la note 27 de la page 312) et il ne cite leurs partisans, au passage, que pour déformer leur pensée. Faire de Georges Leroux, par exemple, un adversaire d'un solide enseignement culturel est une grossièreté.
Sur le plan socioéconomique, Facal s'inquiète des finances d'un Québec attaché à de généreux programmes sociaux et services publics. Il a raison. On ne peut qu'appuyer, d'ailleurs, sa proposition d'investir en éducation pour assurer notre avenir collectif. Ce sont ses autres propositions qui, quoi qu'il en pense, sont contestables. Facal, par exemple, rejette totalement la voie d'une hausse de l'impôt sur le revenu et plaide plutôt pour une hausse des taxes à la consommation et des tarifs des services publics (droits de scolarité, garderies, électricité). Concédons que l'augmentation de la TVQ de deux points de pourcentage, tout comme l'indexation des tarifs, est une solution simple et acceptable; pour le reste, réfléchissons. Si on plaide pour une augmentation des taxes et tarifs (avec crédits de remboursement pour les plus pauvres), c'est que l'on considère que certains (classe moyenne et plus) ont les moyens de les payer. On ne fait donc que déplacer le fardeau fiscal de l'impôt (progressif, donc plus juste) vers le principe de l'utilisateur-payeur (pas nécessairement progressif et plus lourd à gérer). Au mieux, ce sont les mêmes qui paient, mais, dans un cas, l'argent recueilli profite à tous également, alors que, dans l'autre (tarifs et assurances privées en santé), on individualise le rapport aux services publics essentiels et on privilégie les utilisateurs sans restrictions financières. La surconsommation d'électricité dérange Facal? Qu'on surtarifie celle-là, tout simplement, et qu'on laisse la consommation nécessaire tranquille!
Contribution majeure au débat public québécois, cet essai de Joseph Facal ne fera pas l'unanimité, mais il obligera tous ceux qui pensent, au Québec, à se situer par rapport à lui, ce qui est la marque des rares livres qui portent vraiment.
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Quelque chose comme un grand peuple
Joseph Facal
Boréal
Montréal, 2010, 320 pages


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