Un projet de citoyenneté conforme aux exigences internationales

Cela dit, dans la mesure où le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies et la Cour européenne des droits de l'Homme ont tour à tour validé des restrictions beaucoup plus importantes que celles prévues par le projet de loi 195, on voit mal au nom de quels principes les instances internationales pourraient invalider le projet proposé par le Parti québécois.

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue




Aussitôt déposé par le Parti québécois, le projet de loi 195 (Loi sur l'identité québécoise) a vite suscité de vives controverses. En effet, les exigences relatives à la connaissance appropriée du français provoquent chez les plus ardents partisans du «bilinguisme à la canadienne» une réaction assez semblable à celle qu'on a pu observer lors de l'adoption des autres lois québécoises portant sur la promotion du français dans l'espace public québécois.
Parmi les arguments invoqués, celui de la conformité aux différents instruments internationaux de protection des droits et libertés est fréquemment utilisé par les détracteurs du projet. Pour ces derniers, rien ne sert de débattre démocratiquement du sens et de la portée des droits et libertés énoncés dans les textes, l'affaire est entendue : le Québec ne peut «juridiquement» se doter de règles relatives à la citoyenneté. Pourtant, lorsque l'on observe la jurisprudence internationale relative à l'exercice du droit de vote et du droit d'éligibilité, on est forcé de constater que les conditions avancées par le Parti Québécois s'inscrivent à l'intérieur des limites jugées raisonnables par le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies et par la Cour européenne des droits de l'Homme.
Les restrictions au droit de vote en Nouvelle-Calédonie
Appelés à se prononcer sur des restrictions relatives à l'exercice du droit de vote dans l'archipel français de la Nouvelle-Calédonie, le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies (décision du 15 juillet 2002) et la Cour européenne des droits de l'Homme (décision du 11 janvier 2005) ont considéré que le «gel» du corps électoral, visant à garantir le poids politique des «autochtones» néo-calédoniens par rapport aux résidents issus de la France métropolitaine, était conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention européenne des droits de l'Homme. Nettement plus radicales que les conditions prévues par le projet de loi du Parti québécois, ces restrictions au droit de vote négociées par les autorités françaises et les représentants néo-calédoniens avaient pour but d'encourager le développement de l'identité Kanak et de soutenir l'autonomie progressive de la Nouvelle-Calédonie.
À la suite de ces négociations, trois définitions du corps électoral ont été institutionnalisées par les accords de Matignon de 1988 et l'accord de Nouméa de 1998. Premièrement, pour les élections de la France métropolitaine, le Parlement français a imposé les mêmes exigences que sur le reste de son territoire. Puis, un deuxième corps électoral, plus restreint, a été prévu pour les référendums d'auto-détermination.
C'est pourquoi lors du scrutin référendaire de 1988, seuls les citoyens français domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis au moins trois ans ont pu voter. Ce délai a par la suite été allongé à dix ans lors du référendum de 1998 alors qu'il sera de vingt ans en 2014 lorsque les citoyens de cet archipel exerceront de nouveau leur droit à l'autodétermination. Plus restrictive encore, il y a, troisièmement, la définition du corps électoral retenue pour les élections des assemblées provinciales et du Congrès de l'archipel. Dans ce cas, seuls les citoyens français présents depuis au moins 10 ans le 6 novembre 1998 peuvent participer aux élections. Après cette date, nul résident français ne peut acquérir le droit de vote par l'accumulation d'un certain nombre d'années de résidence.
Des limites «raisonnables» à l'exercice des droits politiques
Saisies de la question du «gel» du corps électoral, les instances internationales ont confirmé le caractère «raisonnable» et «justifié» de ces limites à l'exercice du droit de vote négociés par la France et les autorités néo-calédoniennes. Pour le comité onusien, «les critères de définition des corps électoraux restreints permettent de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes au regard de leurs attaches à la Nouvelle-Calédonie.»
Quant à la Cour européenne des droits de l'Homme, après avoir constaté que le «gel» du corps électoral néo-calédonien poursuit, en l'espèce, un but légitime, la Cour a affirmé «que l'histoire et le statut de la Nouvelle-Calédonie sont tels qu'ils peuvent être considérés comme caractérisant des "nécessités locales" de nature à permettre les restrictions apportées au droit de vote du requérant.»
Au regard des décisions rendues par les instances internationales, les restrictions prévues par le projet de loi 195 (Loi sur l'identité québécoise) apparaissent comme étant éminemment plus raisonnables que celles mises en place par les lois françaises sur la Nouvelle-Calédonie. D'abord, le projet de loi 195, contrairement à l'exemple néo-calédonien, ne limite aucunement l'exercice du droit de vote. Il ne vise que le droit de se porter candidat aux élections, de même que le droit de faire des contributions à des partis politiques et le droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale.
Dans ce contexte, on peut même s'interroger sur l'opportunité d'une citoyenneté québécoise lorsque le contenu de cette citoyenneté a une portée aussi réduite. Cela dit, dans la mesure où le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies et la Cour européenne des droits de l'Homme ont tour à tour validé des restrictions beaucoup plus importantes que celles prévues par le projet de loi 195, on voit mal au nom de quels principes les instances internationales pourraient invalider le projet proposé par le Parti québécois.
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Patrick Taillon
Professeur de droit constitutionnel (Université Laval)
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