Projet de loi sur la succession au trône d’Angleterre - Une occasion de sauver ce qui reste du veto du Québec!

Le fait qu’un changement proposé fasse consensus ne devrait pas permettre de faire fi des règles constitutionnelles

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Fantasmes universitaires

Le 31 janvier, le gouvernement Harper a présenté à la Chambre des communes un projet de loi modifiant les règles fondamentales relatives à la succession au trône. Ces modifications, bien que souhaitables à de nombreux égards, touchent directement à la charge de la reine, qui est constitutionnellement protégée par la Constitution de 1982 qui fut adoptée, rappelons-le, sans l’accord de l’Assemblée nationale du Québec. Une telle modification nécessite par conséquent le consentement unanime de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province et fournit au Québec une des très rares occasions de négocier, en échange de son consentement, des modifications à la Constitution du Canada allant dans le sens de ses intérêts.
La question de savoir qui peut être roi ou reine du Canada est une question constitutionnelle qui, au même titre que les questions relatives aux pouvoirs des autorités monarchiques, est visée par le paragraphe 41 a) de la Constitution de 1982. Contrairement à ce que prétend le ministre James Moore, ce n’est pas parce que les changements envisagés sont souhaitables et qu’ils font consensus dans tout le Commonwealth que ces changements ne sont pas constitutionnels pour autant. Que ce soit pour désigner à la tête de l’État un citoyen canadien ou l’héritier de la Couronne britannique, les règles d’accession au poste de chef de l’État sont, depuis 1982, des règles constitutionnelles qui ne peuvent dorénavant être modifiées que dans le respect des procédures spéciales spécifiquement prévues par la Constitution. Cette exigence a d’ailleurs été reconnue par la Cour d’appel de l’Ontario en 2003 (O’Donohue c. Canada, 2003 CanLII 41404 (ON SC), paragraphe 32).
Pour défendre l’idée contraire, plusieurs tenteront de puiser des arguments dans les précédents, les coutumes, les pratiques institutionnelles ou les conventions constitutionnelles de la période allant de l’adoption du Statut de Westminster de 1931 à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 afin de soutenir qu’un tel changement peut être conduit unilatéralement par le Parlement fédéral. C’est là confondre les époques et minimiser les effets des changements survenus en 1982. En effet, bien des normes constitutionnelles souples (c’est-à-dire des lois ordinaires dont le contenu matériel est relatif à l’organisation de l’État) ont été implicitement constitutionnalisées par l’adoption, en 1982, de la formule d’amendement. C’est le cas de l’essentiel de la Loi sur la Cour suprême qui, de son adoption en 1875 jusqu’au rapatriement de la Constitution, a longtemps été une norme modifiable unilatéralement par le Parlement fédéral. Toutefois, elle est dorénavant visée par les procédures spéciales de modification prévues aux paragraphes 41 d) et 42 d) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il en va de même bien évidemment de tous les aspects relatifs à la charge de la reine du Canada, qui englobe à la fois l’existence de la fonction, la désignation de son titulaire et les pouvoirs qui s’y rattachent. Les précédents antérieurs à 1982 n’ont donc plus la même utilité qu’autrefois dans la mesure où la volonté manifeste des auteurs de la Constitution écrite de 1982 a changé profondément la donne.
Une occasion pour le Québec
L’article 41 a) de la Constitution de 1982 ayant été adopté dans le but de rendre la tâche impossible aux réformateurs (nombreux au Québec) qui souhaitent soit l’abolition, soit la modernisation des fonctions de chef de l’État, c’est en quelque sorte aujourd’hui l’ironie de l’histoire de voir un gouvernement aux convictions loyalistes et royalistes, bien affichées et bien assumées, s’engager dans un processus de modernisation des règles relatives à la désignation des futurs chefs de l’État canadien. Pourtant dépouillé depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982 de son droit de veto sur les changements constitutionnels affectant les pouvoirs des provinces, le Québec - à l’instar des neuf autres provinces - dispose néanmoins d’un tel veto pour les modifications relatives à la charge de la reine et à celle de ses représentants que sont le gouverneur général et le lieutenant-gouverneur.
Probablement d’accord avec le fond de la réforme envisagée, c’est là une rare occasion pour le Québec de négocier, en échange de son consentement, des modifications constitutionnelles allant dans le sens de ses intérêts. Par exemple, ne pourrait-on pas à l’occasion de cette modification constitutionnelle reconnaître aux provinces la compétence de modifier à leur guise la charge de lieutenant-gouverneur, donnant ainsi le pouvoir au Québec de moderniser en profondeur cette institution ? Le Québec dispose dans ce dossier d’un véritable rapport de force. Il est donc, selon nous, le temps d’agir d’abord en contestant devant les tribunaux la constitutionnalité de la démarche entreprise unilatéralement par le gouvernement fédéral pour ensuite entreprendre de bonne foi les négociations constitutionnelles qui s’imposent.
Engagé envers les chefs de gouvernement des 15 autres pays du Commonwealth, le gouvernement fédéral, qui semble encore une fois avoir omis d’impliquer les provinces, devra tôt ou tard choisir entre deux scénarios : soit la conduite de nouvelles négociations constitutionnelles, soit le statu quo conduisant éventuellement à la désignation d’un chef de l’État canadien différent de celui des autres pays du Commonwealth. Entre deux « maux », il choisira, du moins nous l’espérons, la voie des négociations constitutionnelles, sachant qu’une telle réforme risque de bénéficier de larges appuis au sein de la population. Ce serait alors l’occasion de rompre avec le « tabou » constitutionnel qui a caractérisé la vie politique canadienne depuis les échecs des accords de Meech et de Charlottetown, et ce, dans l’intérêt du Québec comme dans celui du Canada.


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