Un «printemps laïque»?

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Genève, un exemple de courage politique pour nous


Jean Calvin a dû se retourner dans sa tombe. Presque 500 ans plus tard, la ville du grand réformateur protestant, où il avait notamment trouvé refuge, a voté dimanche pour une nouvelle loi sur la laïcité. C’est à 55 % que les habitants de Genève ont entériné par référendum une loi qui interdit aux agents de l’État de porter un signe religieux dès lors qu’ils sont en contact avec le public.


Ainsi donc, les Québécois ne sont pas seuls comme tentent de le faire croire ceux pour qui, au Québec, le débat sur la laïcité ne serait que la manifestation d’un racisme atavique. Si l’exemple de Genève doit nous apprendre une chose, c’est qu’il faut oublier ces anathèmes. À l’exception de l’univers anglo-américain (et encore !), la laïcité est à l’ordre du jour de la plupart des démocraties. Partout, les citoyens cherchent une façon de répondre à la montée des intégrismes dans un monde qui se croyait, il n’y a pas si longtemps, sur le chemin paisible de la sécularisation. En France, en Belgique, en Allemagne et en Suisse, les lois destinées à garantir la laïcité de l’État sont donc légion. Et la plupart ont été validées par la Cour européenne des droits de l’homme.




 

Contrairement à celle que prépare le gouvernement de François Legault, la loi genevoise vient compléter un dispositif déjà ancien. À Genève, la séparation de l’Église et de l’État remonte à 1907. Peu après la loi française de 1905, les Genevois adoptèrent eux aussi une loi de compromis destinée à rétablir la paix religieuse et à assurer l’indépendance de l’État. Ainsi, à Genève, il y a belle lurette que la Loi sur l’instruction publique interdit aux enseignants, en tant que « représentants de l’autorité », de porter des signes religieux.


Largement dénoncée par la gauche multiculturelle et les organisations musulmanes, la nouvelle loi a été soutenue par les Églises chrétiennes qui, à l’exception d’un article s’appliquant aux élus, y ont vu l’expression d’une laïcité pacifiée. Selon les pasteurs, cette loi est en effet conforme à la tradition genevoise. Une tradition qui s’inscrit en faux contre deux autres conceptions, expliquait récemment le pasteur Blaise Menu de l’Église protestante de Genève.


La première, que l’on pourrait qualifier d’anticléricale, voudrait supprimer toute expression religieuse dans l’espace public. Au contraire, la loi genevoise se veut respectueuse de cette liberté qui permet d’afficher partout son appartenance religieuse. La nouvelle loi garantit d’ailleurs le droit à un accompagnement religieux ou spirituel aux malades et aux prisonniers. Le devoir de réserve des fonctionnaires ne sert ici qu’à assurer au citoyen, croyant ou non, un environnement neutre chaque fois qu’il a affaire à l’État.


L’autre conception contre laquelle les Genevois se sont inscrits en faux est celle que le philosophe et pasteur Vincent Schmid n’hésite pas à associer aux « universités américaines », à « l’Open Society de [Georges] Soros » et à « “l’école canadienne” dite de l’accommodement raisonnable ».


C’est cette conception multiculturelle largement dominante dans le monde anglo-américain qu’a reprise le philosophe Charles Taylor samedi dernier lors de la journée de réflexion organisée par Québec solidaire à Trois-Rivières. Pour celui qui avait défendu les « tribunaux islamiques » en Ontario, les droits de l’individu ne souffrent pas de limitations. Le droit d’un fonctionnaire de porter un signe religieux doit donc primer celui de la collectivité, et notamment des élèves, à évoluer dans un environnement neutre. Pour Taylor, cette même société est d’ailleurs essentiellement composée de « communautés ». Rien de plus normal dès lors qu’elles se négocient entre elles l’espace public.


Telle n’est pas la conception de Schmid, qui n’hésite pas à évoquer un « printemps laïque ». L’homme a beau être croyant, il place la citoyenneté au sommet des valeurs civiques. « Quelles que soient nos convictions ou notre absence de conviction, écrit-il, nous sommes tous égaux sur le plan de la citoyenneté et rendus par elle participants d’un bien commun qui dépasse nos enclos confessionnels. »




 

Or, c’est bien dans ces « enclos confessionnels » que le multiculturalisme, et Charles Taylor avec lui, cherche à enfermer les musulmans. Comme si ceux-ci n’étaient pas capables, dès lors qu’ils sont fonctionnaires, de s’imposer un devoir de réserve. « À trop surévaluer le droit à la différence, nous aboutissons à la différence des droits et donc, à terme, au développement séparé des communautés », écrit Schmid.


Les Genevois ont une riche expérience en matière de laïcité. Peut-être parce qu’ils se souviennent qu’après avoir fui la persécution religieuse, Calvin avait fait de Genève une véritable théocratie. En 1553, l’exécution du théologien Michel Servet, condamné par Calvin, marqua le début d’une vague de bûchers qui devait s’étendre à l’Allemagne, à l’Autriche et à la Prusse.


L’expérience genevoise a beaucoup à nous apprendre. Mais retenons surtout que, dimanche dernier, les Genevois ont choisi de formuler leur propre vision de la laïcité conformément à leur histoire et à leurs traditions. Et surtout, sans se laisser intimider.









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