Robert Dutrisac , La Presse canadienne - Québec -- Les engagements électoraux d'il y a trois mois ne tiennent plus, la réalité a rattrapé le gouvernement Charest. La ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a confirmé pour la première fois, hier, que l'État québécois essuiera en 2009-10 son premier déficit officiel en dix ans.
«Il y a eu une détérioration brutale en janvier» des revenus de l'État, a déclaré Monique Jérôme-Forget à l'issue de la réunion du conseil des ministres. «Je peux vous dire que le ministère des Finances a été extrêmement ébranlé par ce qui se passait en janvier.» La surprise est d'autant plus grande que les ventes de Noël avaient été fortes, a souligné la ministre.
Ces revenus en chute libre, qui indiquent la nouvelle direction prise par les finances publiques, affectent l'année en cours. Les baisses touchent tant l'impôt des entreprises et celui des particuliers que la taxe de vente, a mentionné la ministre.
Or, Monique Jérôme-Forget continue de soutenir qu'elle maintiendra le déficit zéro pour l'exercice 2008-09. Elle a dû toutefois reconnaître que c'est en puisant dans les réserves affectées à l'an prochain qu'elle arrivera à boucler son budget courant. Ses prévisions budgétaires, contenues dans sa mise à jour économique de novembre dernier -- à 24 heures du déclenchement des élections -- qu'elle a reprises à la mi-janvier dans un énoncé économique, ne tiennent tout simplement plus.
«J'estime que j'ai toujours donné l'heure juste. J'ai toujours été franche», a affirmé Monique Jérôme-Forget, qui doit se défendre d'avoir entaché sa crédibilité. La ministre des Finances s'est dite aux prises avec «un environnement économique troublant». En fait, elle a affirmé pour la première fois, hier, que le Québec était entré en récession.
En outre, ce retour au déficit remet en cause la Loi sur l'équilibre budgétaire adoptée par le gouvernement de Lucien Bouchard en 1996. La ministre des Finances n'a pas pu s'engager à respecter cette loi, qui pourrait s'avérer impossible à appliquer en période de récession. «La Loi sur l'équilibre budgétaire, elle est là, mais elle n'est pas là pour venir nuire à une situation où on va devoir créer du chômage, couper de façon drastique», a-t-elle fait valoir. Il n'est pas question de sabrer les services en santé et en éducation, qui représentent, avec l'aide sociale, plus de 75 % du budget du Québec, a-t-elle réitéré. Le gouvernement du Québec en est un de services alors que le gouvernement fédéral en est un de redistribution», a-t-elle fait observer.
De son côté, la présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay, a indiqué que les «services essentiels» seraient maintenus, sans tenter de les définir.
Pour l'heure, Mme Jérôme-Forget est incapable de préciser quand le gouvernement pourra renouer avec l'équilibre budgétaire. «C'est un défi de taille», juge-t-elle. Rappelons que le gouvernement fédéral, dans le dernier budget de Jim Flaherty, s'est donné cinq ans pour sortir de l'ornière déficitaire et connaître ses premiers surplus après le passage de la récession.
En novembre dernier, Monique Jérôme-Forget avait revu à la baisse ses prévisions de croissance économique en tablant sur une croissance de 0,6 % en 2009. L'équilibre budgétaire était maintenu pour 2008-09 et 2009-10, une prévision commodément reprise par Jean Charest tout au long de la campagne électorale. La ministre des Finances a rappelé, hier, qu'elle s'était fiée à la moyenne des prévisions économiques émanant du secteur privé.
Dès janvier dernier, les économistes du secteur privé ont commencé à revoir leurs prévisions pour l'économie québécoise. Ainsi, le Mouvement Desjardins, pour la première fois, entrevoyait un recul de l'économie au Québec, soit moins 0,5 % en 2009. «Les chiffres ont commencé à être mauvais en novembre», a souligné François Dupuis, économiste en chef de Desjardins. En janvier, les pertes d'emplois ont été bien pires que prévu. On se dirige vers une récession classique, c'est-à-dire longue et soutenue, estime l'économiste. «Les scénarios sont toujours revus à la baisse. On a de la misère à voir comment on va se sortir de la récession.»
Affichant un bel optimisme en novembre, Mme Jérôme-Forget tablait sur une réserve budgétaire de 2,3 milliards pour arriver à l'équilibre budgétaire, plus un coussin de 200 millions appelé réserve pour éventualité. Selon les données du ministère des Finances présentées en novembre, une somme de 1,2 milliard tirée de cette réserve servait en 2008-09 et 1,1 milliard l'année suivante. Or, on sait maintenant que la réserve affectée à 2009-10 est lourdement entamée.
Déjà, lors de la présentation de l'énoncé économique de janvier, le ministère des Finances évoquait la possibilité que cette réserve ne soit pas suffisante pour maintenir l'équilibre budgétaire; le manque à gagner pourrait provenir du Fonds des générations auquel Hydro-Québec a contribué 700 millions de plus que prévu. Il semble aujourd'hui, à la suite de l'aveu de la ministre des Finances, que même ce recours ne pourra éviter que le Québec ne renoue avec les déficits.
Durant la campagne électorale, le Parti québécois, qui présentait des engagements dont le coût total était sensiblement le même que les promesses des libéraux, prévoyait que le Québec ne pourrait éviter les déficits au cours des deux prochaines années. Le porte-parole de l'opposition officielle en matière de finances, François Legault, n'a pas manqué de le rappeler hier. Selon le député de Rousseau, la ministre des Finances a perdu toute crédibilité. «C'était écrit dans le ciel. Tout ce qu'elle a essayé de faire, c'est d'endormir tout le monde en prétendant que le Québec était sur une planète différente des autres provinces et des autres pays», a-t-il dénoncé.
Monique Jérôme-Forget a soutenu, hier, que la cote de crédit du Québec ne sera pas affectée par le retour des déficits. Elle a cité un rapport de l'agence de notation de crédit Moody's, rendu public hier, indiquant que, même si la santé financière des provinces canadiennes se détériorera au cours des 12 à 18 prochains mois, l'état de leurs finances demeurera relativement bon. Les provinces parviendront à faire face à la baisse de leurs revenus et à la hausse de leurs dépenses provoquées par le ralentissement parce qu'elles sont parvenues à réduire leurs dettes ces dernières années. C'est particulièrement le cas de l'Alberta, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique et de Terre-Neuve-et-Labrador. Le Québec ne fait pas partie de la courte liste de Moody's. Pour que les cotes de crédit respectives des provinces demeurent inchangées, les plans financiers des provinces doivent comporter la mise en place de politiques leur permettant de trouver l'équilibre fiscal une fois la reprise économique amorcée, prévient Moody's.
Un premier déficit officiel en dix ans
Les prévisions optimistes de novembre ne tiennent plus, avoue Jérôme-Forget
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