Un plein à Florence

Chronique de Patrice Boileau


02H30 du matin en Caroline du Sud. Le carrosse qui me transporte a soif. C’est que nous fonçons droit vers le nord, depuis le départ de Miami à 16H00 la veille. Je m’arrête donc à cette station libre-service, le long de l’autoroute 95. Je connais ce patelin dans lequel je n’ai toujours fait que passer.
En ouvrant la portière de ma monture, la chaleur tropicale m’enveloppe instantanément. Je suis encore bel et bien dans le sud-est des États-Unis. Pas de doute que le réchauffement climatique qui s’installe rendra cette région étatsunienne assez hostile à la vie humaine. La consommation d’énergie électrique, déjà gargantuesque afin de permettre le ronron incessant de millions de climatiseurs, décuplera. Je n’ose imaginer les conséquences dramatiques sur la population d’un incident semblable à celui qui a frappé une importante centrale hydroélectrique en Sibérie, au début du mois d’août! Je plains d’ailleurs les habitants de cette région septentrionale de la Russie, avec l’hiver qui approche. Espérons que l’offre suffira à combler la demande.
Il m’est alors jailli à l’esprit ce commentaire idiot d’un autre baigneur qui est venu se rafraîchir dans la piscine du El Patio, à Key West. L’homme qui a probablement mon âge, avait bondi en apprenant ma nationalité. J’étais presque devenu un miséreux à ses yeux. Il a conclu en affirmant qu’il faudrait le payer, pour vivre dans le Québec nordique. Le pauvre! Je me suis mordu les joues pour ne pas rétorquer que ma patrie était probablement une des mieux située géographiquement, pour affronter les bouleversements climatologiques qui menacent.
Pendant que je remplis mon réservoir, je constate autour de moi une ardente activité. Plusieurs jeunes afro-américains s’agitent autour de leurs bagnoles. Assurément, les plus vieux ont à peine vingt ans. Les filles exposent carrément leurs plantureuses poitrines. Certaines n’ont comme vêtement qu’un haut de bikini accompagné d’un mini short. L’une d’elles y a ajouté des bas rayés qui montent jusqu’aux cuisses. Et c’est d’ailleurs sans chaussure qu’elle décide de pénétrer dans le poste d’essence, déambulant nonchalamment sur ce bitume souillé par un cocktail d’huile à moteur et d’essence! Une autre porte un t-shirt ultra-ajusté qui ne couvre que la moitié du corps. C’est qu’il est capital que tous voient le célèbre tatou qui triomphe au bas du dos, l’empreinte suprême qui la rend socialement acceptable… De généreux bourrelets pendent par-dessus une ceinture qui serre trop les hanches.
Les garçons qui les accompagnent portent ces fameux bermudas à mi-fesse, parce qu’il importe que l’immense sous-vêtement soit également visible de tous les quidams. Eux aussi veulent être admis dans le microcosme américain. De longues et massives chaines en or pendent autour de leur cou. Et il y a évidemment cette célèbre casquette. Le fétiche vestimentaire absolu. Les jeunes l’agitent virilement sur leur tête dans un fébrile va-et-vient qui rappelle une branlette nouveau genre. Ils imitent en fait ce que font leurs idoles à la télévision. Comme beaucoup de ces derniers, à les entendre parler, cette masturbation céphalique n’entraîne pas une augmentation de la masse cérébrale... Pardonnez ces dernières lignes : j’ai toujours éprouvé de la difficulté à conserver mon calme, lorsque je vois des gens reproduire béatement les niaiseries qu’ils voient au petit écran.
Le pauvre préposé du libre-service qui m’a accueilli semblait habitué à tout ce cirque. Un jeune blanc plutôt obèse. Lorsque je lui ai fait remarquer combien la fête battait son plein dans son établissement, il a répondu espérer qu’elle ne dégénère pas. J’avais l’impression que les jeunes dévalisaient littéralement les présentoirs, pendant que je lui tendais mes billets. De retour à l’extérieur, ceux-ci prenaient places dans leur précieuse auto. Certaines étaient garnies de tous ces artifices qui font tant rêver nos adolescents. Il n’est pas ardu de deviner où va l’argent gagné au travail. J’ai alors pensé aux parents de ces enfants, au moment de redémarrer.
Pensez que la société québécoise se distingue de nos voisins du sud? Malheureusement de moins en moins. Elle s’efforce de reproduire ce qui se vit aux États-Unis. Beaucoup d’adultes roulent inutilement en pick-up sinon en 4x4. Plusieurs jeunes travaillent au maximum pendant leurs études pour acheter rapidement une automobile. Une fois le trophée obtenu, moult décrochent. De toute manière, ils accumulaient les échecs à l’école. Les parents là-dedans? Trop occupés à essayer de rembourser leurs dettes. Au fond, c’est commode que les enfants occupent un emploi rémunéré, puisque cela soulage le budget parental de certaines responsabilités.
J’ai observé une nouvelle mode aux États-Unis cet été. Je vous parie qu’elle atteindra bientôt le Québec. Une nouvelle tendance qui touche encore le sacro-saint rêve américain : soit le moyen de transport par excellence de ce continent. Moyennant quelques milliers de dollars, nos voisins du sud affublent dorénavant leurs camions de gigantesques jantes sport. Ils y fixent ensuite un pneu performant au profil bas qui coûte aussi assurément une fortune. Si, si!  Vous avez bien lu : tout ça sur un mastodonte qui n’a rien d’une Formule 1! Pas de doute que les nôtres, dopés par l’influence étatsunienne, s’empresseront de faire de même! N’ont-ils pas agi ainsi avec les VUS, les tatous, piercings et autres plats cuisinés?
Loin de moi l’idée d’une société archi-disciplinée, totalitaire, où tous arborent l’uniforme! Reste que ces puissantes tendances provenant de notre voisin du sud constituent une autre forme d’autoritarisme malsain. Certes, personne n’est forcé de les imiter. Sauf que l’absence de discours différents diffusés par les principaux moyens de communications, entraîne la domination des valeurs de l’Oncle Sam, celles qui moussent la surconsommation. Une consommation boulimique qui a montré ses malices avec la présente récession. Une consommation qui hypothèque littéralement l’avenir de notre jeunesse puisque souvent laissée à elle-même.
Le Québec est perfidement frappé par ce phénomène parce qu’il est francophone. Sa culture différente de l’Amérique anglo-saxonne fait ringarde car elle n’est pas fièrement encouragée par les élites. Jean Charest n’a-t-il pas opté pour l’anglais pour s’exprimer à Bruxelles, lors d’un récent passage au Parlement de l’union européenne? En conséquence, nos jeunes décrochent plus facilement puisque désintéressés de s’identifier à un groupe qui agonise. L’emploi rémunéré qu’ils occupent devient alors primordial parce qu’il permet de s’éloigner d’un monde scolaire qui force l’adhésion à un peuple minoritaire. Y consacrer plus d’heures accélère aussi le processus d’acquisition d’une automobile, idéal absolu de l’Amérique! Et comme l’Amérique est les États-Unis, le sentiment d’appartenir au groupe dominant évite alors d’être identifié à celui des rejets du continent. Vivement un plein à Florence.
Patrice Boileau




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3 commentaires

  • Michel Guay Répondre

    3 septembre 2009

    Nous apprenons justement ce matin que les Québecois francophones sont minoritaire dans les écoles francophones à Montréal et en calculant les écoles anglophones et privées nous sommes dèjà très très minoritaire .
    Voilà le prix de la colonisation anglicisation programmé par les fédéralistes et notre refus de nous libérer de devenir un pays francophone et de nous ouvrir au monde

  • Archives de Vigile Répondre

    2 septembre 2009

    « Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton. »
    EINSTEIN, Albert
    Physicien allemand, naturalisé suisse puis américain (1879-1955)
    Source : Comment je vois le monde

  • Archives de Vigile Répondre

    2 septembre 2009

    Très bon article mais hélas il n y a pas que vous au Québec qui devez subir cette mongolisation oups !!!!!!! Pas très français cette expression mais réaliste cette mondialisation, nous aussi pauvre Français , râleur, pleureur, grogneur, contestataire,ou maudit Français nous sommes à la même enseigne que le Québec .
    Nous devons nous ingurgiter des programmes TV Américains débiles ou des copies indigestes sur nous chaines privées ou publiques , sur nos radios des émissions idiotes bêtement copiées sur le style Anglo-saxon . Voici la meilleur façon d abrutir la populace qui ne demande que ça car trop fainéante pour penser, réfléchir , avoir son auto-critique, avoir un soupçon d'intelligence.
    Ce qui me rassure s' est de constater qu'il y a un peu de sang Gaulois en Amérique du Nord qui fait de la résistance . Ah ses maudits québécois pourquoi ils veulent se différencier de leurs voisins ?????
    Mais les Québécois n'ont pas encore la cervelle en chewing-gum comme le reste du Canada ou les USA et ça c 'est tout a leur honneur au moins ils ont l'esprit auto-critique, leur culture , leur langue, leur histoire mais ça jusqu'à quand ? ???????
    Bonne chance à vous car nous les maudits Français dans quelques générations nous n'auront plus que le nom de Français car notre culture, notre langue va disparaitre dans cette mondialisation Anglophone et quel modèle sociaux économique !!!!!!! bravo nos politiques qui laissent faire , bravo nos intellectuels qui ne réfléchissent qu'avec l argent - Oui le monde bouge , oui il faut avancer mais à quel prix ???? A la disparition de cultures pour une seule et même , non je ne suis pas d accord car non allons droit dans le mur d'une société , d un monde, sans substance, sans intérêt , sans culture , sans saveur bref de la cuisine Anglaise .
    Amicalement le maudit Français. Le village Gaulois qui fait de la résistance.